Les religions « polythéistes »: religion polythéiste
Ce chapitre regroupe d’une part l’hindouisme et son proche parent le jaïnisme et, d’autre part, les religions d’inspiration animiste, qu’elles soient d’origine africaine, amérindienne ou asiatique (comme le shintoïsme japonais ou le taoïsme chinois).
Le seul point commun à ces religions est précisément d’être polythéistes, c’est-à-dire d’admettre plusieurs dieux, souvent en nombre considérable.
Cependant cette pluralité de dieux n’exclut pas obligatoirement l’existence d’un Dieu suprême, créateur ou non, dont l’autorité sur les autres divinités est plus ou moins explicite.
Ainsi la distinction entre les religions monothéistes, comme le sont les religions révélées, et les religions polythéistes n’est pas toujours aussi nette qu’il pourrait sembler : imaginons que l’on affuble du titre de divinité les anges ou les saints auxquels les croyants préfèrent parfois s’adresser en lieu et place d’un Dieu jugé inaccessible…
L’hindouisme
L’approche de l’hindouisme est profondément déroutante. On ne perçoit dès l’abord qu’un foisonnement de dieux aux formes étranges, au rôle mal défini, qui s’entremêlent dans une mythologie sans fin.
Pour faire bonne mesure, rien, semble-t-il, ne peut s’expliquer en français. Il paraît exclu que notre vocabulaire possède des équivalents, même approximatifs, pour rendre les notions mystérieuses de karma, dharma, yoga, mantra, etc. Certains occidentaux se passionnent pour cet exotisme où ils voient la révélation d’une spiritualité inconnue. Notre propos est, au contraire, d’apporter le plus de clarté possible à la description de cette religion.
Après un rappel historique et l’examen des principes fondamentaux de 1 hindouisme, nous verrons comment cette religion est vécue en pratique.
L’hindouisme dans l’Histoire
Contrairement à la plupart des grandes religions, l’hindouisme remonte à la nuit des temps et n’a pas de fondateur historique identifié.
Le mot d’hindouisme est plus récent que la religion elle-même : ce sont les musulmans qui, rencontrant pour la première fois des hindouistes dans la province du Sind où coule l’Indus, leur ont donné un nom dérivé de celui de cette province et de ce fleuve.
On pourrait aussi parler de brahmanisme, c’est-à-dire la religion des prêtres, les brahmanes, ou employer le terme indien de sanatana dharma, la « loi éternelle ».
Cette religion, qui a subi d’importantes évolutions au cours des siècles, est issue de celle des Indo-Européens primitifs dont nous sommes les lointains parents. On retrouve d’ailleurs le nom de brahmane dans celui des prêtres de la Rome antique, les flamines (br est phonétiquement l’équivalent de fl).
Des études fouillées, dont l’initiateur fut Georges Dumézil, ont montré la parenté des religions et des mythes des divers peuples indo-européens.
Leur point commun le plus frappant est une sorte de séparation des pouvoirs militaire et religieux tandis que l’activité économique était l’apanage du reste de la population. Ce sont ces principes qui ont été le fondement du système hindouiste des castes.
Lorsque les Indo-Européens, dont le berceau paraît être situé dans les steppes de l’Asie Centrale ou de l’Europe orientale, envahirent l’Inde vers l’an 1000 avant notre ère, ils apportèrent avec eux leur religion. Celle-ci a pour textes sacrés les Vedas (littéralement: «connaissance»), eux- mêmes complétés par les Upanishads. Les Indo-Européens, appelés aussi Aryens, c’est-à-dire les « fidèles » ou les « nobles » rencontrèrent en Inde d’autres religions préexistantes dont ils assimilèrent les divinités2.
Ceci explique en partie à la fois la complexité inextricable du panthéon hindou et le fait qu’un même dieu porte fréquemment plusieurs noms.
Constatant que l’hindouisme n’est guère répandu parmi les populations non-indiennes, on pourrait en déduire que son contenu culturel le rend difficilement exportable. Pourtant, l’hindouisme est jadis sorti du sous-continent dans le sillage des marins et des commerçants indiens. Il s’implanta dès le début de notre ère dans les pays de l’Asie du Sud-Est
1. Voir plus loin les indications données sur les religions antiques, grecque et romaine.
2. Aryen proviendrait d’une racine ar signifiant « diviser », « ouvrir la terre ». Le mot s’appliquait primitivement aux populations agricoles par opposition aux nomades touraniens (de tura, « courir »).
mais il résista mal à des religions moins marquées par la culture de l’Inde. Selon les pays, le bouddhisme dès le VI siècle et l’Islam, à partir du XII siècle, se substituèrent progressivement à l’hindouisme.
Finalement la civilisation indienne, que rappellent les noms d’Indochine et d’Indonésie, a laissé des traces profondes dans tout le Sud-Est asiatique, mais seule une part de cette influence est imputable à la religion hindouiste. La marque la plus évidente que l’Inde a laissée est constituée par les différentes écritures de la région birmane, thaïe, laotienne, khmère, javanaise, etc. qui sont toutes dérivées d’alphabets indiens. En outre, de nombreux noms de lieux d’origine indienne ont subsisté1.
En ce qui concerne la religion, il est curieux de noter que quelques rites hindouistes ont été conservés dans les cérémonies royales de la très bouddhiste Thaïlande. Cependant, d’une façon générale, l’hindouisme n’existe en dehors de l’Inde que chez des populations indiennes émigrées. Les plus importants contingents vivent en Malaisie, à Singapour, à Fidji, à l’île Maurice, en Afrique du Sud, à Trinidad, au Surinam ou aux Etats- Unis. La seule exception d’hindouistes non-indiens est constituée par les habitants de l’île de Bali en Indonésie et quelques groupes numériquement peu importants de Javanais.
Rappelons que nous avons estimé le nombre d’hindouistes dans le monde à 900 millions, dont plus de 880 millions (90 %) en Inde même.
Principes de l’hindouisme
Comme dans la plupart des religions, l’univers dans l’hindouisme est imaginé de façon très variable selon le niveau d’éducation des individus. Pour les personnes très évoluées, la conception traditionnelle est purement symbolique. Pour d’autres, elle est prise, plus ou moins, à la lettre.
L’essentiel de l’hindouisme ne se situe donc pas là. Rappelons seulement que, selon les textes anciens, le centre de l’univers est une montagne, le mont Meru, et il existe trois mondes, la terre, le ciel et un espace intermédiaire entre ciel et terre.
Ce qui est plus important, c’est que l’hindouisme ne ressent pas l’univers comme créé, au sens du christianisme ou de l’Islam.
Il existe un Être suprême, sorte de Dieu absolu et impersonnel, au-delà de toute atteinte sensible. On l’appelle Brahma.
L’univers procède de lui, un peu comme l’air est exhalé par la respiration ; il peut aussi bien disparaître comme s’il était à nouveau aspiré. Ce souffle est l’essence de la vie, il est souvent identifié au « moi » de chaque être dont la destinée est de retourner à l’absolu de Brahma. Ainsi le divin existe dans toute créature et son âme, Y atman, est indestructible
Cependant Brahma, inaccessible, se personnifie en quelque sorte sous forme de deux dieux complémentaires qui sont plus à la portée des humains. Ce sont Shiva et Vishnou. Le premier, Shiva, est un dieu dyna¬mique qui, semblable à la vie, crée et détruit successivement. Vishnou est, au contraire, un dieu statique chargé de maintenir l’ordre du monde.
Pour simplifier, et en négligeant de nombreux points de vue qui peuvent être notablement divergents, on peut parler d’une Trinité hindoue comportant Brahma, le « Créateur », Vishnou, le protecteur, et Shiva, le destructeur.
Ce schéma grossier ne doit pas faire oublier que Brahma a un rôle plus abstrait, qu’il est à l’origine de tout mais reste à l’arrière-plan, comme occulté par Vishnou et Shiva.
C’est pourquoi Brahma n’est que rarement honoré. Ses temples les plus célèbres sont ceux de Khajuraho et de Pushkar. En revanche, de nombreux hindouistes mettent Vishnou ou Shiva au premier plan, constituant les sectes vishnouites ou shivaïtes. Pour elles, Brahma n’est qu’un dieu secondaire.
Rien n’oblige d’ailleurs à limiter le nombre des dieux aux trois principaux. Une quantité d’autres, plus ou moins importants, vivent au ciel et sont aussi l’émanation de Brahma. Comme tels, ils sont également des êtres transitoires mais leur « durée de vie » est incomparablement plus longue que la nôtre. Dès l’époque védique, c’est-à-dire avant le premier millénaire précédant notre ère, on comptait 33 dieux dont le chef était Indra, source de la force cosmique et maître de la pluie, habitant du mont Meru. Il s’y est ajouté ultérieurement de très nombreuses divinités mineures, souvent récupérées de cultes locaux que l’hindouisme a absorbés. Leur importance dans la piété populaire est très inégale.
Ainsi, la forme extérieure de la piété peut varier considérablement selon les hindouistes. Ce qui les unit, c’est un état d’esprit religieux, la recherche d’un dépassement en vue de connaître la divinité et de s’identifier à elle. Chacun des dieux de l’Inde exprime un des aspects de cette divinité, abstraite et absolue, et chaque hindouiste consacrera sa dévotion selon sa sensibilité au dieu qui lui convient le mieux.
Aucune voie n’est à rejeter et, en principe, l’hindouisme tolère toutes les formes de recherche spirituelle et ne jette l’anathème sur aucune hérésie. Il paraît donc vain de savoir si l’hindouisme est monothéiste ou polythéiste puisque les dieux multiples peuvent être aussi bien considérés comme l’expression de l’absolu unique.
Un autre point sur lequel s’accordent les hindouistes, c’est le caractère cyclique de l’univers, symbolisé par la respiration de Brahma. Le monde est périodiquement détruit pour renaître à nouveau. Selon la tradition hindouiste, nous serions dans le quatrième de ces cycles appelés « yuga » et dont la durée se compte en milliers d’années
De la même façon, mais avec une période bien plus brève, les hommes disparaissent pour réapparaître dans une autre vie.
La destinée humaine selon l’hindouisme
Les hommes partagent le destin de toute la nature : naître, vivre, mourir mais aussi renaître sur cette terre pour un cycle indéfini de vies successives. C’est la croyance en la réincarnation, la samsara.
Cette renaissance n’est pas seulement un phénomène physique, les hindouistes y ajoutent une composante morale : le poids de nos actes condidonne étroitement la qualité de ce que sera notre prochaine vie sur cette terre. Selon la façon dont nous nous serons acquittés de notre tâche dans la société, nous revivrons dans une condition sociale brillante ou misérable. Les moins méritants peuvent aussi bien revivre une vie d’animal plus ou moins impur.
C’est ici qu’intervient le système des castes si particulier de la société hindouiste.