L'animisme : La mythologie Dogon
Le tissage des causes et des effets crée un ensemble de relations un ensemble de mythes, de modèles, qui constituent une mythologie. Celle des Dogon, du Nord du Mali, nous est la plus connue, grâce à Marcel Griaule qui y vécut durant vingt-huit ans et qui y fut initié successivement à de nombreux degrés de la connaissance.
Amma s’accouple avec la Terre une première fois et engendre le chacal, ou le renard pâle, qui apportera l’intelligence aux être humains. Un deuxième accouplement produira le Grand Non géré par le chiffre 8 et symbole de la perfection. Celui-ci, pour voiler la nudité de la Terre, sa mère, crée un voile de parole : la jupe, jupe est la seule parole dont dispose le chacal, en partage avec mère. Il pourra ainsi inspirer l’être humain mais ne pourra lui parler. Il voudra voler la jupe-parole et violera sa mère. Le saignement teint la jupe en rouge. La Terre est souillée par l’inceste et Am ne veut plus s’y accoupler. Il se reproduira seul et créera deux être un homme et une femme.
Le Grand Nomo fera descendre huit petits Nomos sur la terre Le septième a la parole, le huitième crache les fils et les hommes reçoivent ainsi la deuxième parole : le tissage qui leur permet fabriquer des vêtements et de construire des maisons fermées a des portes. En même temps, le forgeron vole le système du moi et descend sur la Terre, par un fil. Ce système est représenté par le panier retourné (et aussi par le métier à tisser) : le fond carré, haut, indique les quatre points cardinaux avec les différentes étoiles et planètes, le bord du panier, en bas, dessine le chemin du soleil Quand le panier arrive sur la Terre, l’ancêtre forgeron, qui é tout mou, se casse en articulations : coudes, poignets, genoux et devient propre au travail. Il se dispute avec le septième petit Nomo et le tue. Celui-ci se répand dans la terre avec la parole qu’il portait. C’est la troisième parole qui rend la Terre propre à être labourée. Le septième petit Nomo se réveille de sa mort et aval huitième puis le recrache sous forme d’eau impure (les rivières de cailloux (le système social).
Ces deux Nomos se fondront en une nouvelle unité : le Lébé. sous forme de serpent humide, celui-ci distribue chaque nuit l’humidité pour le lendemain. Il vient lécher le Hogon, le prêtre, dans son sommeil et l’enduit d’une humidité énergétique. Le lendemain Hogon distribue cette humidité, cette énergie à la société, pour la journée. Le Hogon ne doit pas transpirer car ce serait l’évapora brutale de la parole du Lébé. Donc le Hogon ne doit pas bouger Il doit rester couché toute la journée à l’ombre. Malgré cela, la
goutte qu’il transpire de temps en temps explique un accident, un désordre qui a lieu dans les heures qui suivent.
Le tissu mythologique, destiné à couvrir et à cacher le chaos, est ici clairement exposé. Il est parole, donc invention, discours de l’homme et se déroule en trois nappes. Tout d’abord, la jupe cache la nudité de la terre-mère. Ensuite, le tissage permet de recouvrir les corps par les vêtements et de couvrir la terre de maisons fermées, bien fermées par des portes contre les puissances de la nature ; au même moment naît un système du monde parfaitement structuré. Enfin, l’étoffe-modèle pénètre la terre dans sa substance même, la rendant apte à être cultivée, c’est-à-dire à porter les marques de l’homme, sa culture, dans tous les sens du terme. Dans la foulée, se créeront les rivières, sans lesquelles une civilisation ne saurait exister, et les cailloux qui représentent le système social.
Cette belle construction qu’est la mythologie des Dogon, cette parole totale, d’un ordre très serré, recouvre sans défaut le chaos des puissances naturelles. Dans ce – très bref — résumé, on rencontre déjà un grand nombre d’éléments de la vie de tous les jours : la terre, le chacal, le chiffre 8, la jupe, le tissage, la maison, le forgeron, le panier, le terrain cultivé, la rivière, les cailloux, le serpent, l’humidité, la transpiration, l’accident. Griaule en expose un nombre beaucoup plus grand et nous donne pour chacun les significations. Il serait évidemment trop long de les présenter toutes ici. Ce qu’il faut en retenir est que, comme au Zaïre, l’accident qui aura lieu quelque part recevra une explication : la transpiration du Hogon, inévitable dans ce climat tropical, justifie a priori toutes les anomalies de la journée. Sur l’insupportable chaos, l’homme plaque l’or d’un système explicatif où tous les éléments du monde connu, absolument tous, sont reliés. C’est le système mythologique. Rien ne reste inexpliqué, rien ne reste isolé, par peur du grand désordre. Ainsi la terre est recouverte de sentiers, de labours, de cultures, ainsi le corps est tracé de scarifications, de maquillages, de bijoux, ainsi la nature est recouverte d’une culture.
Il est normal qu’avec une telle mentalité, tout changement soit vu comme un danger. Et que le mot développement, inexistant dans certaines langues africaines, se traduise alors par chaos !