L'adab
Les œuvres en pose
Les premières œuvres en prose sont nées dans les Les œuvres milieux des secrétaires à la fin du califat omayyade et en prose au début de l’ère abbasside. Abd al Hamid ibn Yahya (mort en 750) et Salh ibn Harun lancent un genre qui se répandra dans le monde abbasside, celui de l’épître (risala.) Le Livre de Kalila et Dimna d’Ibn al Muqaffa, est « sans contredit, le premier chef-d’œuvre connu de la prose arabe » (A. Miquel).
Bientôt, devant les travaux spécialisés qui s’effectuent, tant dans les sciences profanes que religieuses, certains auteurs éprouvent le besoin de mettre un résumé de tous les savoirs à la disposition de l’honnête homme cultivé, c’est ce qu’on appelle Yadab.
Djahiz
Le maître de l’adab est Djahiz (776-868), « champion Djahiz d’une culture arabe » (C. Cahen). Né à Basra, élève des grands grammairiens théologiens, pourvu d’une culture encyclopédique, il fut appelé à Bagdad par Al Mamun, puis il suivit la cour à Samarra. Mêlé à tous les problèmes de son temps, appartenant à l’école mutazilite, il a laissé une œuvre considérable de plus de deux cents ouvrages. Il s’intéresse à tout, et admet sans difficulté les éléments de culture étrangère qu’il estime nécessaires pour la formation de ses contemporains. Il veut instruire, tout en distrayant le lecteur.
C. Cahen a brossé un excellent portrait de Djahiz : « À l’instar de certains esprits de la Renaissance, c’était un passionné de s’intéresser à tout, de parler de tout, ce qu’il en fallait, sans trop, un essayiste, on pourrait presque dire un publiciste, polémiste, bluffiste à ses heures et dilettante, sophiste, simple, plein de verve, bon témoin de son temps, bon reporter […] » C’est aussi un modèle pour la prose arabe. Esprit très critique, sachant manier l’ironie, il a écrit plusieurs pamphlets contre les chrétiens, les secrétaires, les Turcs…
Ibn Qutayba (828-889), curieux de tout, a également fait une vulgarisation de la culture arabe et persane, mais il défend la religion contre la philosophie. « Ibn Qutayba […] s’est acquis l’adhésion unanime des milieux orthodoxes par une limitation des notions dignes d’intérêt. Il prend sa revanche en donnant aux questions religieuses islamiques plus d’importance qu’aux connaissances profanes dont l’intérêt ne lui apparaît pas clairement », dit de lui C. Pellat. Qudama ibn Djafar (mort en 958) est un encyclopédiste proche des milieux de secrétaires. Al Tawhidi (vers 927-1023) fut un encyclopédiste et un grand maître de la langue arabe, « un des plus grands écrivains de la littérature arabe », estime R. Blachère ; « probablement le plus grand prosateur du Xe siècle », pense G. Wiet. Son livre, La délectation, est divisé en quarante nuits dont chacune est consacrée à un thème et ses « entretiens » sont faits de dialogues tournant autour de divers sujets. Après de malheureuses expériences, il réussit à entrer dans les cercles littéraires autour d’un mécène, mais cela ne lui valut que déceptions et humiliations. « Al Tawhidi, sur le plan littéraire, reste surtout […] un peintre humoristique et sarcastique, libre, pamphlétaire à la langue acérée et plein d’esprit. Son art consiste surtout à raconter ses expériences et à en tirer des vérités sur l’homme et sa destinée » écrit de lui M. Bergé, qui a étudié son œuvre.
Les Séances
Un genre nouveau, spécifiquement arabe, naît avec Hamadhani (968-1008) : les maqamat, ou séances. Ce sont « des œuvres romanesques, si l’on veut, organisées autour d’un personnage central, sans intensité de concentration dramatique, et où se déroule un panorama de notations, harangues, situations diverses »(L. Gardet). « La maqamat est toute action et Hamad-hani l’a rédigée dans un style qui aurait pu devenir langue de théâtre […] Mélange de fiction et de réalité où l’auteur ne dissimule pas son dessein de traiter avec sérieux des questions dignes d’intéresser unpublic cultivé » (G.Wiet). La maqamat connut la perfection avec son propre créateur, Al Hamadhani, sur-nommé dans la littérature arabe « Badi al Zaman » : « le prodige du siècle ». Il eut, un siècle plus tard, un successeur et un imitateur en la personne de Hariri (1054-1122), virtuose de la langue arabe.
L’histoire ( Tarikh)
C’est la discipline en prose la plus développée et une des plus originales, car très peu touchée par les 116 influences étrangères. L’histoire apparaît d’abord comme une science auxiliaire des sciences religieuses ; il s’agissait d’éclairer la vie du Prophète et de ses com-pagnons ; c’est ainsi que naquirent les biographies du Prophète par Ibn Ishaq (mort en 767) et Al Wakidi (748-922) ; ensuite, pour les besoins de l’administration (listes de pensionnés ou de convertis), on fit les récits de la conquête. Al Baladhuri (mort en 892) fit, dans Les conquêtes des pays, l’histoire de l’expansion musulmane. Il s’agissait de trouver des faits pour établir une loi ou pour donner un statut juridique à un homme ou à un groupe ; c’est pourquoi l’histoire est souvent l’œuvre de juristes qui s’attachent essentiellement au témoignage. Lorsque les Kalbi, Mohammed (mort en 763) et son fils Hisham (mort en 819), voulurent donner à l’histoire une place indépendante auprès de la science des hadiths proprement dite et qu’ils se consacrèrent à l’étude de l’Arabie préislamique et des débuts de l’Islam pour faire pendant au succès du Livre des Rois d’Ibn Al Muqaffa (mort en 757), ils furent critiqués par les traditionnistes qui n’aimaient pas entendre parler du paganisme anté-islamique.
Tabari
L’histoire franchit une étape avec Tabari (839-922), « Roi des Historiens ». Né dans le Tabaristan au sud de la mer Caspienne, il étudie et voyage, avant de se fixer à Bagdad pour se consacrer à l’étude. C’est encore un esprit encyclopédique, auteur d’un commentaire réputé du Coran, mais surtout d’une énorme Histoire universelle dont ne nous est parvenu qu’un résumé en treize volumes. Il essaie d’être aussi neutre que possible, il recueille toutes les traditions et les expose sans les critiquer. En écrivant cette histoire universelle où chaque ethnie retrouve son passé plus ou moins glorieux, Tabari travaille à l’œuvre d’unification des ethnies du monde islamique voulue par les Abbassides.
Al Masudi
Al Masudi (mort en 956), né à Bagdad, passa sa vie à voyager avant de s’établir au Caire, où il mourut dix ans plus tard. De son œuvre immense, il ne nous reste que Les prairies d’or et Le livre de l’avertissement. C’est un auteur très varié, d’une curiosité extraordinaire, souvent très proche des auteurs d’adab ; mais c’est l’historien qui l’emporte et il sait conter avec beaucoup de verve et de charme, ce qui le fait apparaître souvent comme un véritable reporter. L’histoire ensuite se spécialise, devient plus partielle avec Al Isfahani (897-967), qui fait un Livre des¬chansons, anthologie de la poésie arabe où il se révèle historien de la littérature arabe.
As Suli (873-947) vécut dans l’intimité des califes, émirs et vizirs au cours de l’époque troublée qui pré¬céda la prise du pouvoir par les Buyides. Il a laissé Le livre des vizirs et un livre sur les califes abbassides qu’il a connus, qui sont des sortes de mémoires très intéressants pour l’historien contemporain. L’historien, philosophe, moraliste Ibn Miskawaih vécut dans l’entourage des Buyides et écrivit un livre d’histoire, L’expérience des nations, destiné, comme l’annonce le titre, à servir d’enseignement pour les générations futures.