La civilisation islamique : Les Aghlabides et les Fatimides
L’émirat aghlabide
Après avoir repris en main l’Ifriqiya, grâce à l’énergique gouverneur Yazid ibn Hatim, les Abbassides acceptèrent qu’elle fût gouvernée par Ibrahim ibn al Aghlab, l’ancien gouverneur arabe du Zab (Sud cons- tantinois) ; et, en 800, un accord fut passé entre le calife Harun al Rashid et Ibrahim, par lequel l’Ifriqiya devenait une province concédée à titre héréditaire à la dynastie aghlabide contre le paiement d’une redevance et la mention du calife de Bagdad dans le sermon du vendredi. Leur autorité s’arrêtait à l’Aurès et à la Petite Kabylie.
Les Aghlabides transportèrent en Ifriqiya les institutions et le mode de vie qu’ils connaissaient à Bagdad.
Ils firent de leur capitale Kairouan une copie des villes abbassides. Kairouan connut alors son apogée comme plate-forme commerciale et comme centre artistique. Les émirs s’installèrent d’abord dans les palais d’Al Abbassiya, situés dans les environs immédiats de la ville, puis ils fondèrent Raqqada à neuf kilomètres au sud-ouest. Là, ils menèrent une vie raffinée et tout à fait dans le ton de la Cour de Bagdad, sous l’œil réprobateur des docteurs malikites de Kairouan.
L’histoire politique intérieure fut assez mouvementée par suite des fréquentes révoltes de l’armée (824, 893…). La méfiance vis-à-vis des troupes arabes conduisit Ibrahim Ier (810-816) à se constituer une garde personnelle d’esclaves noirs.
C’est en partie pour détourner sur l’extérieur l’attention et l’énergie des fauteurs de troubles que les Aghlabides entreprirent la conquête de la Sicile byzantine sous le couvert de la guerre sainte, à partir de 827. Ils constituèrent une flotte, s’emparèrent de Palerme en 831, ce qui leur permit d’organiser un émirat dans l’Ouest de l’île. Ils continuèrent la conquête de la Sicile, tout en lançant des raids audacieux sur les côtes de l’Italie du Sud et même jusqu’à Rome (846). Cette politique extérieure brillante les avait affaiblis alors qu’un terrible danger s’était constitué à l’intérieur : le danger fatimide.
Les Fatimides en Ifriqiya
Nous avons déjà parlé des mouvements clandestins shiites ismaïliens qui apparurent au grand jour à la fin du IXe siècle. Un propagandiste ismaïlien, connu sous le nom d’Abu Abdallah le shiite, originaire du Yémen, rencontra à La Mecque des pèlerins de la tribu Kotama de la Petite Kabylie, déjà sans doute indépendante de l’émirat aghlabide. Abu Abdallah les suivit au Maghreb vers 813 et constitua une armée soutenue par la population avec laquelle il attaqua l’émirat. L’armée de Ziyadat Allah III fut écrasée et les shiites entrèrent à Kairouan. Le mahdi arriva d’Orient et fut proclamé calife, Commandeur des Croyants en 910. Un califat shiite était né en Occident. Comme les Abbassides avaient éliminé ceux qui les avaient portés au pouvoir, le mahdi Ubayd Allah se débarrassa d’Abu Abdallah en 911. Les Fatimides se donnèrent une nouvelle capitale, maritime cette fois, Mahdiya, dont l’édification s’étendit de 912 à 921.
Les Fatimides durent faire face à plusieurs révoltes ou sécessions parmi lesquelles celles des Kotama et des Siciliens. En pratiquant une politique fiscale écrasante pour subvenir à l’entretien de leur armée et en voulant imposer le shiisme par la force, ils provoquèrent des mécontentements qui permirent à un kharijite venu des Aurès, Abu Yazid, « l’homme à l’âne », de prendre la tête d’un terrible soulèvement qui faillit entraîner la chute du califat. Celui-ci fut sauvé par un lieutenant fatimide, Ziri ibn Manad, alors que Tunis et Kairouan étaient tombées aux mains des rebelles et que Mahdiya subissait un siège.
Les Fatimides luttèrent contre les Omayyades d’Al Andalus pour le contrôle du Maghreb occidental, morcelé en une multitude de petits Etats-cités berbères. Ils agirent en opposant les tribus berbères les unes aux autres, les Omayyades soutenant les tribus zenata et les Fatimides, les tribus sanhadja. La lutte avait une portée religieuse sunnisme contre shiisme mais aussi économique, à cause du contrôle des routes de l’or transsahariennes. Dans un premier temps, les Fatimides gagnèrent du terrain et s’emparèrent notamment de Fès (922), mais au moment de la révolte d’Abu Yazid, les Omayyades réussirent leur contre-attaque, au point que vers 950 l’autorité d’Abderrahman III était reconnue de Tanger à Alger ; mais quelques années plus tard, une nouvelle offensive fatimide ramena le Maghreb sous leur influence.
Le Maghreb n’était cependant, aux yeux des Fatimides, qu’une base pour la conquête de l’Orient. Dès 913, ils envoyèrent une expédition vers Alexandrie, récidivèrent en 919 et 929 et enfin réussirent à enlever l’Egypte aux Ikhshidides, grâce à leur excellent général, Djawhar ar Rumi, en 969.