La civilisation islamique : Le choc mongol: les mongoles et l'islam
Les invasions mongoles et la constitution d’un immense empire apparaissent comme un événement capital dans l’histoire du monde. Pour l’Islam qui a failli sombrer, l’événement revêt une importance particulière, car il coupe son monde en deux camps, de part et d’autre d’un Irak ravagé.
Les Mongols viennent du vaste monde des steppes asiatiques entre forêts et montagnes, où une mosaïque de peuples, nomades éleveurs et guerriers se trouvaient constamment en déplacement à la recherche de pâturages et de butins. Ces déplacements se transformaient parfois en invasions et l’Europe avait déjà connu les Huns et les Avars ; l’Asie, les Turcs Seldjoukides… Ce sont des hommes d’une résistance inouïe, faisant corps avec leur monture, se contentant d’une nourriture frugale. Leur supériorité provenait de leur 170 mobilité extraordinaire et d’une discipline de fer ; dans leurs campagnes foudroyantes, ils surprenaient l’adversaire, l’encerclaient, simulaient la fuite et le criblaient de flèches acérées.
Gengis Khan fut un des plus grands conquérants de l’histoire, bâtisseur en vingt ans d’un empire s’étalant de Pékin à la Volga. Temudjin fut d’abord le rassembleur du peuple mongol en proie à des luttes intestines. Il réduisit les tribus et fut reconnu souverain en 1206 par l’assemblée de toutes les tribus mongoles. L’Empire mongol garda l’allure d’une vaste confédération de tribus dirigée par la famille de Gengis Khan (traduction du chinois, « Fils du Ciel »), nom qu’il se fit donner. Il mena une première expédition contre la Chine du Nord, puis une autre contre l’Empire des Khwarizmshahs, ce vaste ensemble peu solide et cohérent comprenant la Transoxiane et le monde iranien. À sa mort, il pouvait dire à ses fils : « Je vous ai conquis un empire si vaste que, de son centre à son extrémité, il y a une année de chemin. » Pour réaliser l’unité de la majeure partie de l’Asie, Gengis Khan avait sacrifié des millions d’hommes. Il était mû par un idéal messianique de domination mondiale : « L’Empire mongol avait une base religieuse, écrit C. Lemercier-Quelquejay. Il était conçu comme un instrument du Ciel éternel pour établir l’ordre dans l’univers tout entier. La conquête du monde était une obligation pour le grand Khan et la paix universelle en était le but final. »
Sa devise était : « Un seul soleil au Ciel, un seul souverain sur terre. » Les Mongols adhéraient à différentes confessions : christianisme nestorien, chamanisme, manichéisme, bouddhisme…
Gengis Khan partagea son empire entre ses quatre fils, mais l’un d’eux, Ogodaï, eut la prépondérance. La conquête se poursuivit vers la Corée et surtout vers l’Occident où la vague arriva devant Vienne. La mort d’Ogodaï (1241) et le court règne de Gûyük (1241-1248) sauvèrent l’Occident chrétien, car l’armée fut rappelée à l’Est.
Sous l’empereur Môngkà (1251-1259), la troisième poussée mongole eut lieu vers le monde musulman. Son frère Hulagu, un bouddhiste, fils et époux de chrétiennes nestoriennes, envahit la Perse, élimina les « Assassins » d’Alamut en 1257, et l’année suivante prit
Bagdad. Tout le monde islamique oriental fut ravagé par la tornade mongole. Après la reddition de Bagdad, le pillage et les destructions durèrent sept jours… Les habitants sunnites furent massacrés. Il y eut huit cent mille égorgés, dit-on, tandis que les shiites et les chrétiens nestoriens furent épargnés. Le calife fut mis à mort étouffé sous des tapis. La destruction de Bagdad est un des épisodes les plus noirs de l’histoire de l’Islam. Même si la ville n’avait plus l’importance passée, même si le califat n’était plus qu’une relique, Bagdad était un symbole. Elle ne sera plus désormais jusqu’a XXe siècle qu’une capitale provinciale. La conquête continuant vers l’ouest, Alep résista, ce qui lui valut un massacre encore plus horrible qu’à Bagdad, tandis que Damas se rendit et fut épargnée. Hulagu allait poursuivre sa chevauchée en Egypte, lorsqu’il fut rappelé en Mongolie par la mort de Môngkâ. Un de ses lieutenants fut battu à Aïn Djalud, en Galilée, par les mamelouks égyptiens. C’était la première défaite mongole et le coup d’arrêt à l’ouest.
En 1259, l’Empire mongol se divisa en quatre États : la Chine, le Qiptchak (Russie), le Turkestan et la Perse, Dans ces trois derniers, les souverains adoptèrent l’islam qui était la religion dominante. Après les ruines de la conquête, la Perse se releva sous le règne de Ghazan (1295-1304), lequel se convertit à l’islam avec toute son armée, fit un recensement des terres, repeupla les campagnes et multiplia les constructions dans sa capitale, Tabriz.
La conquête mongole bouleversa profondément le Moyen-Orient par les destructions, les massacres, la ruine des villes, la rupture des systèmes d’irrigation qui entraîna en maints endroits la progression de la steppe pastorale.
La force de l’État mongol continua à reposer sur l’armée. La paix mongole régna grâce à elle, ce qui favorisa le commerce avec la réouverture de la route de la soie par le Nord de l’Asie Mineure et de la Perse. Cet axe commercial a cependant dû être beaucoup moins fréquenté que celui du Sud par l’Egypte, la mer Rouge et l’océan Indien. L’armée contrôlait le pays, formait l’administration, percevait les impôts dont le régime était très dur : « Comme la paix romaine, la paix mongole fut une paix policière, protégée à l’intérieur 172 comme à l’extérieur par une armée, qui devait rester
des siècles encore un merveilleux instrument guerrier. Le souvenir des massacres suffisait d’ailleurs à empêcher toute velléité de révolte des peuples conquis », écrit C. Lemercier-Quelquejay.
Le service de la poste, grâce à un excellent réseau de relais, fonctionnait remarquablement bien.
La Perse fut gouvernée pendant un siècle par les Ilkhans, descendants d’Hulagu. Les Mongols allaient être conquis par la civilisation persane. La littérature en langue persane connut un grand épanouissement. Le persan, qui s’écrit en caractères arabes, devint une des langues littéraires mondiales les plus réputées.
Djelal ed Din fut un très grand poète mystique, fondateur de la confrérie des « Derviches tourneurs ». Le nom vient de certains adeptes qui accompagnent le chant des sourates du Coran par une danse au tournoiement infatigable. Le grand poète Saadi (1184-1290), après avoir beaucoup voyagé, s’établit dans un ermitage à Shiraz. C’est dans cette ville aussi, ville des poètes et des roses, que vécut Hafidh (1320-1389), poète de l’amour, chantre des beaux garçons et des belles filles. Le poète satirique Obeid-i- Zakani (1300-1370) raille la noblesse et dénonce aussi l’hypocrisie.
La plupart des monuments édifiés par les Ilkhanides ont disparu, mais nous savons par les éléments qui en restent qu’ils reprenaient les formes seldjoukides. Ce sont des constructions octogonales à coupoles bulbeuses ou de hautes tours. Dans le domaine de la céramique, on mit au point une nouvelle technique : le minai (émail émaillé) qui consiste à appliquer les couleurs en deux fois. La céramique recouvre entièrement les monuments, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.
Mais c’est la miniature, née au début du XIIIe siècle sous les Seldjoukides, qui connaît son âge d’or à l’époque mongole. L’influence chinoise apparaît nettement dans les paysages, les costumes et les traits. Les œuvres les plus illustrées furent le Shah-Namé de Fir- dawsi, le livre de Kalila et Dimna d’Ibn al Muqaffa et surtout les Séances d’Hariri. Partant du « principe d’invraisemblance », plusieurs éléments indiquent que l’artiste crée un monde imaginaire et ne représente pas le monde réel, ce qui est interdit. Les peintres persans n’utilisent que la spirale, qui a une signification ésotérique, et l’arabesque. Ils sont de merveilleux
coloristes procédant par aplats de couleurs pures très intenses qui seront de plus en plus invraisemblables pour les fonds alors que la couleur des personnages est réaliste. Les plus grands artistes furent Wasiti et Behzad.
Timur lenk (« l’homme de fer boiteux ») était un Turc né près de Samarkande, mais il se disait descendant de Gengis Khan, le héros qu’il voulait imiter et si possible dépasser. Il s’empare du pouvoir en Transoxiane tararían en 1370, puis se lance à la conquête de la Perse, soumet l’Adharbaïdjan, le Sud de la Russie, l’Inde, la Syrie et l’Asie Mineure, où il fait prisonnier le sultan ottoman Bayezid (Bajazet). Il mourut alors qu’il s’apprêtait à conquérir la Chine. Il ne fut qu’un destructeur saccageant les canaux d’irrigation des régions peuplées de sédentaires, et incendiant les villes, un massacreur d’une cruauté et d’une inhumanité inimaginables, alignant les pyramides de crânes… En 1398, il fit égorger cent mille prisonniers indiens qui alourdissaient son armée alors qu’il marchait sur Delhi ; en 1400, quatre mille cavaliers arméniens chrétiens furent entassés vivants dans les fossés de la ville de Sivas et recouverts de terre… Ibn Khaldun, qui se trouvait à Damas lors de la prise de la ville et qui fut présenté à Tamerlan, écrit : « Quant aux habitants de la ville, il leur confisqua sous la torture des quintaux d’argent […] Il permit ensuite de piller les maisons des habitants et ceux-ci furent dépouillés de tous leurs biens. Les objets et ustensiles sans valeur qui restaient furent brûlés et le feu gagna les murs des maisons qui reposaient sur des poutres. L’incendie continua jusqu’a ce qu’il eût atteint la Grande Mosquée ; les flammes montèrent jusqu’au toit, en faisant fondre le plomb, et le plafond et les murs s’écroulèrent » Les milliers de personnes qui s’y étaient réfugiées périrent.
Ce qui est impensable, c’est que ses conquêtes se firent au nom de l’islam. Il écrit lui-même dans ses Instituts :
« L’expérience m’a fait voir qu’une puissance, qui n’est pas appuyée sur la religion et les lois, ne gardera pas longtemps son État et sa force .Le premier règlement, que je conçus dans mon cœur, fut d’étendre la religion et d’affermir la loi de Mohammed. Je répandis dans les provinces du monde l’islamisme, ce code de la plus excellente des créatures ; j’en fis l’ornement de mon Empire. » Beaucoup de personnes n’y virent que pure hypocrisie devant les massacres de musulmans qu’il dirigeait.
Dans chaque ville, il épargnait les intellectuels, les artistes et les artisans, qu’il déportait dans sa capitale, Samarkande, car il voulait en faire une capitale mondiale merveilleuse. Il la couvrit de palais et de mosquées, mais Samarkande fut à son tour ruinée par d’autres Mongols et ce ne fut, comme le note C. Cahen, qu’« une création artificielle d’une durée limitée à un siècle et payée du sang et des larmes de la moitié de l’Orient ». Il nous reste les ruines d’une medersa qu’il éleva en 1399 et le tombeau de Tamerlan construit vers 1500 par son petit-fils, célèbre par son dôme très élevé, étroitement cannelé et revêtu de faïences émaillées d’un bleu éclatant. Toutes ces constructions ont un aspect titanesque, colossal.