Le Maghreb
Jusqu’au XIVe siècle, le Maghreb avait connu la croissance économique, grâce aux relations commerciales transsahariennes et il dominait la Méditerranée occidentale à un moment où l’Europe était très attardée. Il amorça ensuite une lente décadence, face à une Europe en plein essor commercial et de plus en plus puissante. Du XVIe au XIXe siècle, pour le Maghreb, c’est « l’équilibre de la décadence » (A. Laroui).
L’évolution politique
Les régences d’Alger et de Tunis faisaient partie, du moins théoriquement, du domaine ottoman, alors que le Maroc conserva une farouche indépendance.
- La crise du XVe et du début du XVIe siècle
Le Maroc Le Maroc connaît une grave crise politique : les Banu Wattas (1471-1554), privés de prestige religieux et de base ethnique, ne réussissent pas à s’imposer aux tri¬bus marocaines. Les Portugais en profitent pour s’ins¬taller dans tous les sites portuaires, visant à établir une sorte de protectorat économique sur le pays. Cette pénétration étrangère provoque la vive réaction des marabouts qui prennent en main des régions entières, collectant des fonds et rassemblant des hommes pour la guerre sainte.
Le pays connaît aussi une crise économique et sociale. La population stagne par suite de la prédominance de l’économie agricole traditionnelle soumise aux aléas climatiques. Le Maroc connaît des disettes et des épidémies (1519-1521, 1557-1558..). Le commerce traditionnel vers l’Afrique noire est menacé d’asphyxie par le commerce maritime et l’occupation des ports marocains par les Portugais. Les villes, peu nombreuses, s’appauvrissent et la vie intellectuelle régresse. Dans cette période de crise, la population cherche son salut auprès des marabouts et des confréries religieuses.
- La dynastie des Chorfas Saadiens
Les marabouts appelèrent un chérif du Souss, Ahmed 200 el Qaim, pour lui confier la direction de la guerre sainte contre les Portugais qui s’étaient installés à Agadir (1505). Ses successeurs reprennent la ville en 1541, ce qui leur confère un grand prestige, indispensable pour se lancer à la conquête du pays. Ils battent les Banu Wattas, se protègent contre la menace turque et continuent la guerre sainte contre les Portugais. La bataille de l’oued Makhazin (1578), au cours de laquelle meurt le roi du Portugal Dom Sebastien, fait apparaître le Maroc comme une grande puissance aux yeux des Européens.
L’apogée de la dynastie fut atteint sous le règne d’Ahmed el Mansur (1578-1603). Celui-ci fit régner l’ordre avec l’aide d’une armée de mercenaires (renégats, Turcs…) ; afin de régler ses problèmes financiers et de reprendre le contrôle de la route de l’or, il organisa une expédition vers le Soudan, malgré l’opposition des oulémas qui s’insurgeaient de voir le souverain attaquer une région déjà islamisée. Cette expédition perturba profondément l’économie de la région de Tombouctou, mais enrichit prodigieusement Ahmed, surnommé Al Dahabi (« Le doré »). Il put alors se faire construire à Marrakech le palais du Badi (« l’incomparable »).
La république corsaire de Salé
Après la mort d’Ahmed, le Maroc sombra dans l’anar¬chie, connut les crises de succession et se morcela à l’extrême. C’est alors que se forma la république corsaire de Salé. Les zaouias reprirent en main le pays. Deux d’entre elles dominèrent : celle de Dila (Moyen Atlas) et celle d’Illigh (Souss), qui se battirent pour le contrôle des « ports » sahariens.
- La dynastie des Chorfas Alaouites
Dans ce contexte, une famille de Chorfas installés dans le Tafilalet, une des portes sahariennes, tenta sa chance, celle des Alaouites. En s’appuyant sur les Arabes Maquil du Maroc oriental, Moulay Rachid s’empara de Fès en 1666 et de Marrakech en 1669. Le Maroc était réunifié.
Cette unité fut maintenue et renforcée sous le long règne de Moulay Ismaïl (1672-1727), figure légendaire de l’histoire du Maroc. Ce despote cruel et cupide réorganisa l’armée en créant la milice arabe (guich des Oudaïas) et une garde noire formée d’esclaves lui appartenant. Il engagea aussi des combattants de la foi pour lutter contre les chrétiens. Il soumit les confréries religieuses et restaura l’ordre en faisant régner la terreur. Un réseau de soixante-seize forteres¬ses jalonnait les principales routes et entourait les montagnes. Ce mégalomane se donna une gigantesque capitale : Meknès, où il édifia un ensemble colossal de murailles (vingt-cinq kilomètres), de casbahs, de palais, qui tomba vite en ruine, alors que pour son embellissement, il n’avait pas hésité à détruire le Badi de Marrakech.
La mort de Moulay Ismail
Après sa mort, le Maroc connut à nouveau l’anarchie pendant trente ans, les principaux fauteurs de troubles étant précisément les Oudaïas et la garde noire. À ce moment, s’effectua une poussée de Berbères montagnards vers les plaines atlantiques, chassés par la surpopulation, la sécheresse…
Le pays se souleva sous le règne de Sidi Mohammed ben Abdallah (1757-1790), qui tenta une ouverture sur la mer (fondation d’Essaouira, en 1765), reprit en main l’armée et arrêta la poussée berbère. Sous le règne de Moulay Slimane (1792-1822), le pays se replia sur lui-même et connut de terribles révoltes menées par les Berbères des montagnes, puis par les grandes confréries religieuses.
La régence d’Alger
La régence fut rattachée par Khaireddine à d’Alger l’Empire ottoman. Elle connut assez rapidement un développement et une prospérité apportée par la course, qui fit d’Alger une ville très brillante au XVIIe siècle. Alger était dominée par deux groupes rivaux : les janissaires turcs qui formaient une milice (odjak) de vingt-deux mille hommes en 1634 et la taifa des raïs (corporation des capitaines corsaires). La vie politique fut très compliquée. Les pachas nommés par Istanbul (trente en cent dix ans) n’avaient aucune autorité sur les janissaires ou sur les corsaires. Au milieu du XVIIe siècle (1659), la milice des janissaires imposa son chef (Yaghà), mais les aghas furent tous assassinés par les janissaires eux-mêmes. En 1671, les raïs firent élire un dey avec le concours de la population. À partir de 1689, le dey fut élu par les janissaires. Tout comme Alger vivait en marge de l’Algérie, les janissaires et les corsaires n’avaient aucun contact réel avec la majorité de la population. L’intérieur de l’Algérie était gouverné par trois beys résidant à Constantine, Mascara et Médéa.
La régence de Tunis
La conquête définitive de Tunis par les Turcs en 1574 mit fin à une longue période de désordres et de guerres. La régence de Tunis connut aussi les pachas et la milice des janissaires répartis entre Tunis et les principales villes. Le pacha fut très vite réduit à un rôle honorifique au profit du dey élu par la milice. Celui-ci fut à son tour supplanté par le bey, chef de la mahalla (troupe armée qui visitait chaque année les tribus pour percevoir les impôts). La dynastie des beys mouradides gouverna la Tunisie de 1631 à 1702. Ils reprirent à leur service les grandes familles locales et adoptèrent les traditions administratives hafsides, si bien qu’à Tunis, au contraire d’Alger, l’élément turc se fondit avec la population, en particulier tunisoise. Une guerre civile (1675-1686) entraîna une véritable intervention des Turcs d’Alger, ce qui permit au chef de la cavalerie, Hussein, de prendre le pouvoir en 1702. Il fonda ainsi la dynastie husseinide qui régna jusqu’en 1957. Istanbul lui accorda le titre de pacha en 1708. La Tunisie dut parfois payer tribut à la régence d’Alger, mais elle connut une période brillante sous le règne d’Hammouda Pacha (1782-1814).