Civilisation islamique : Les grands problèmes du monde musulman contemporains
Le problème démographique
Le monde musulman a connu au XXe siècle une véritable « éruption » démographique entraînant de graves conséquences économiques et sociales. La natalité y est souvent l’une des plus fortes du monde (près de cinquante pour mille dans certains pays : Algérie, Maroc) alors que la mortalité a beaucoup régressé par suite de l’extension de la médecine, de la fin des épidémies et des famines. Le taux d’accroissement est ainsi très fort (entre deux et trois pour cent), ce qui implique l’investissement d’une part importante du revenu national dans les biens sociaux pour que le niveau de vie demeure stable. Il reste ensuite souvent peu d’argent à consacrer aux investissements économiques. Certains pays ont recours au planning familial, dont on perçoit les premiers résultats (Tunisie : trente-six pour mille). Les États consacrent une part importante de leur budget à l’éducation pour instruire les jeunes, former les cadres et les techniciens. Cette formation coûte cher alors que les efforts sont souvent compromis par la lourde déperdition et le très fort exode de cerveaux vers les pays industrialisés.
La population est très jeune : plus de la moitié à moins de vingt ans. Cette jeunesse est inquiète devant l’avenir et les faibles débouchés qui lui sont offerts. Ces générations nouvelles risquent de bouleverser profondément le monde musulman dans les décennies à venir.
La population est mal répartie dans l’espace ; des secteurs densément peuplés (Maghreb, vallée et delta du Nil, Pakistan, Bangla Desh, Indonésie) contrastent avec les déserts ou les steppes.
Le développement rapide des villes
L’explosion urbaine est un des phénomènes majeurs du monde actuel : les villes principales se développent parfois à une vitesse vertigineuse, formant des têtes hypertrophiées par rapport à leur pays. Certaines villes absorbent la majeure partie des migrants ruraux : Casablanca, Rabat, Kénitra, au Maroc ; Alger, Tunis, Le Caire et Alexandrie… Les villes ont un secteur tertiaire sur développé et un secteur secondaire au contraire beaucoup trop réduit, et elles connaissent un important chômage et sous-emploi. Les médinas surpeuplées se dégradent, de sinistres bidonvilles apparaissent tandis qu’une spéculation effrénée s’exerce sur les terrains à bâtir.
Les pays du Maghreb et du Moyen-Orient envoient une partie de leur main-d’œuvre en Europe occidentale ou dans les pays arabes pétroliers sous-peuplés (Libye, Arabie, Koweit).
Les problèmes économiques
La réforme agraire
L’agriculture occupe encore la majeure partie des habitants dans la plupart des pays. Dans la civilisation 246 musulmane qui a généralement privilégié le citadin et
le grand nomade, le paysan sédentaire fut oublié, voire méprisé. Il y a une impérieuse nécessité aujourd’hui de moderniser l’agriculture pour augmenter les rendements, afin de faire face à la croissance démographique galopante.
Une réforme agraire s’impose, car au cours des siècles une puissante aristocratie de propriétaires fonciers s’est constituée. L’inégalité est frappante dans la propriété de la terre. Il y a généralement dissociation entre la propriété et l’exploitation. La petite exploitation domine avec le statut du métayage qui est encore très répandu. Beaucoup d’agriculteurs sont sans terre ou n’ont que d’infimes parcelles. Les réformes agraires qui ont eu lieu ont été limitées et n’ont pas assouvi la « faim » de terre des paysans arabes.
Si la terre est mal mise en valeur, les conditions climatiques en sont en partie la cause. Toute amélioration repose sur l’eau, aussi le mot de barrage est-il un mot magique. De gros efforts ont été faits pour l’utilisation de l’eau dans de nombreux pays (Maroc, Syrie), mais il faut aussi pouvoir compter sur les fellahs eux-mêmes ; ceux-ci sont souvent trop pauvres ou trop peu instruits pour pouvoir fournir un effort continu.
Le nomadisme, surtout le grand nomadisme, a connu une rapide régression par suite de la mort du commerce caravanier, de l’institution d’États centralisateurs avec des frontières fixes, de l’apparition de nouvelles ressources comme le pétrole… Cependant l’élevage constitue encore une activité primordiale.
Les meilleurs sols sont consacrés à des cultures d’exportation : coton, olive, raisin, agrumes, dont les cours varient en fonction de la conjoncture mondiale, alors que les pays musulmans sont de plus en plus acheteurs de produits céréaliers ou laitiers pour nourrir leur population urbaine.
Le pétrole : Chance ou malédiction
Le sous-sol du Moyen-Orient renferme les plus importantes réserves de pétrole du monde (cinquante-huit chance pour cent) et fournit actuellement trente-cinq pour ou malédiction ? cent de la production mondiale, alors que les pays producteurs n’en consomment qu’une part infime. L’exploitation du pétrole a commencé en Iran en 1911, en Irak en 1927, en Arabie Séoudite en 1939, au Koweit en 1946… les grandes compagnies anglaises, puis américaines, se firent attribuer de vastes concessions avec une liberté entière de prospecter, d’exploiter et de vendre contre une faible redevance. Les États-Unis ont inauguré la règle du fifty-fifty (1950) qui accorde à l’État propriétaire la moitié des bénéfices ; le système se généralisa rapidement. En 1951, Mossadegh jeta le trouble dans le monde du pétrole en nationalisant le pétrole iranien, mais il fut renversé en août 1953 dans des circonstances troubles. Le Cartel du Pétrole formé par les sept majors en 1928 était alors une superpuissance, mais son monopole fut peu à peu entamé par les indépendants (E.N.I. italien, E.R.A.P., etc.) qui négocièrent directement avec les producteurs dans des conditions plus avantageuses pour eux. Enfin en 1960, pour protéger leurs intérêts face aux grandes compagnies qui gelaient les prix depuis 1950 ou même les baissaient, quelques Etats producteurs (Venezuela, Iran, Irak, Arabie Séoudite et Koweit) fondèrent l’O.P.E.P. (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole). L’O.P.E.P. n’obtint pas de résultats spectaculaires pendant la décennie 60 du fait du manque de cohésion, mais elle fit des études et, en recevant progressivement l’adhésion des grands producteurs du Tiers-Monde, elle prit conscience de sa force. Une hausse générale fut obtenue en 1970. Encouragée par ce succès, l’O.P.E.P. exigea une augmentation de la fiscalité, une hausse des prix et une indexation pour compenser les pertes dues à l’inflation. Les grandes compagnies s’inclinèrent (1971). En 1973, la guerre du Kippour fut l’occasion d’accélérer le mouvement vers la prise du contrôle de leurs richesses par les producteurs eux-mêmes. En dix-huit mois, le prix du pétrole quadrupla. Une stagnation des prix intervint ensuite jusqu’en 1979, où la chute des exportations iraniennes entraîna une nouvelle flambée des prix.
C’est le deuxième choc pétrolier. Le marché du pétrole se transforme. Depuis la guerre de 1973, les pays de l’OPEP imposaient leur loi au marché qui était demandeur. A partir de 1982, un renversement de tendance se produit à la suite de la mise en valeur de plusieurs gisements hors OPEP, de la baisse de la consommation sous l’effet de la crise industrielle et des mesures d’économie d’énergie. Le marché redevient offreur et l’OPEP, victime de ses divisions, voit régulièrement sa part dans la production et les exportations baisser tandis que le prix du pétrole chute… Le monde finissait par oublier que le Moyen-Orient renferme près des deux-tiers des réserves mondiales lorsqu’éclate, le 2 août 1990, la crise que provoque l’annexion du Koweit par l’Irak…
L’utilisation des revenus du pétrole
Parallèlement à cette lutte pour les prix, les pays producteurs ont retrouvé la libre disposition de leurs concessions ; ils ont souvent nationalisé les compagnies ou pris leur contrôle. Les producteurs de pétrole ont alors perçu des sommes fabuleuses qu’ils utilisent de différentes manières. Les pays vides d’hommes comme l’Arabie et les émirats recyclent leurs pétrodollars sur les grandes places financières du monde et s’approvisionnent de façon accélérée en biens d’équipement et en armement. D’autres pays : Algérie, Irak,
Iran du shah, veulent ou voulaient se servir de ce pactole pour créer les bases d’une industrie solide. Le pétrole apparaît comme un facteur d’inégalités entre les pays musulmans : certains pays très peuplés en sont dépourvus, comme le Liban, le Maroc, le Pakistan, le Bangla Desh…
L’augmentation du prix du pétrole a suscité en Occident des courants d’hostilité orchestrés par la presse contre les pays de l’O.P.E.P., mais il suffit de jeter un coup d’œil en arrière pour constater que pendant un demi-siècle les pays industrialisés, ravis de profiter d’une énergie bon marché qui alimentait leur prospérité, ne se sont nullement préoccupés de la situation des pays producteurs où le luxe de quelques nantis côtoyait l’archaïsme et la misère. La stagnation des prix pétroliers avait paralysé le développement de ces pays de 1950 d’ailleurs ne sont pas uniquement fortune pétrolière. Ils sont, par leurs achats de produits industriels occidentaux et leurs achats de technologie, des soutiens de l’économie occidentale. Ils fournissent aussi des emplois intéressants à des experts et assistants techniques et une aide financière à des pays moins favorisés, également clients des Occidentaux… La hausse incontrôlée des prix gêne autant les pays producteurs que les pays consommateurs, car l’inflation se retourne contre eux. On voit l’intérêt majeur qu’il y aurait à indexer le prix du pétrole.
Le pétrole bouleverse profondément la vie du Moyen- Orient. Beaucoup de pays sous-peuplés sont obligés de faire appel à une main-d’œuvre importante venue de pays pauvres : Pakistanais, Égyptiens, Philippins…, ce qui n’est pas sans poser de problèmes sociaux. Un 24 pays comme le Koweit a une population étrangère supérieure à la population nationale. Le pétrole a souvent entraîné l’abandon ou la régression de l’économie traditionnelle, une urbanisation incontrôlée et la mise en place de structures modernes qui ne profitent qu’à une minorité, tandis que les masses se sentent délaissées. C’est ce qui explique le drame de l’Iran. Même dans un pays comme l’Arabie Séoudite, la prise de la mosquée de La Mecque (1979) indique que des tensions existent… Les pays qui ont placé leurs dépôts dans les circuits financiers mondiaux en perdent le contrôle, car ils sont soumis à l’inflation et aux revers du dollar.
Les pays de l’O.P.E.P. qui ont à construire leur développement ne consomment qu’une faible part de leur énergie alors que dans trente ou quarante ans les ressources seront épuisées. Peuvent-ils laisser échapper l’instrument primordial de leur développement ? La crise de l’énergie a réveillé les pays industrialisés qui ont mis l’accent sur les énergies nouvelles et sur le redéploiement industriel, mais combien les pays producteurs de pétrole devront-ils payer la technologie pour obtenir les sources d’énergie de l’ère post-pétro-lière ? Enfin n’y a-t-il pas de danger à voir les populations de certains pays sous-peuplés, habitués à recevoir une partie de la manne pétrolière des mains de l’État, sans aucune activité productrice, s’endormir dans une douce torpeur, alors que le monde est lancé dans une lutte économique sévère ?
La sous industrialisation
L’industrialisation est prioritaire dans tous les programmes de développement, car on compte sur elle pour absorber le trop-plein de main-d’œuvre et élever le niveau de vie. Les pays disposent généralement de sources d’énergie. La majeure partie du pétrole est encore exportée brute, mais il sert ou servait de moteur de développement pour l’Algérie qui a créé des pôles industriels à Annaba (sidérurgie), Arzew et Skikda (raffineries et pétrochimie), pour l’Iran qui a d’immenses raffineries à Abadan et pour l’Irak.
Le Maroc et la Tunisie se servent, pour leur part, de leur phosphate. La plupart des industries sont des industries de main-d’œuvre comme le textile ou des industries mécaniques légères. Elles n’emploient encore qu’une faible partie de la population. Le goulot d’étranglement est constitué soit par les capitaux pour certains pays, soit par le manque de techniciens pour d’autres. Les conflits sont également néfastes. On voit par exemple que la longue guerre d’usure entre l’Iran et l’Irak (septembre 1980-août 1988), risque d’anéantir plusieurs années d’efforts et de retarder de plusieurs décennies leur décollage industriel.