Le taoisme
Dans le monde spirituel qu’explore ce livre, le taoïsme est vraisemblablement ce qu’on peut trouver de plus éloigné des conceptions occidentales. C’est dire que le terme de religion s’y applique fort mal, car il ne s’agit nullement des rapports de l’Homme avec un Dieu. Ce n’est pas non plus une philosophie, car il comporte une quantité de cultes et de pratiques très déroutantes pour notre raison. On peut même dire que le taoïsme n’existe pas à l’état pur : il imprègne la vie sociale de la Chine et la forme de bouddhisme qu’on y pratique, sans pour autant s’opposer au confucianisme.
Comment essayer de décrire ce taoïsme qui n’a jamais débordé le monde de la civilisation chinoise ? Si nous tentons d’apporter la clarté que recherche l’esprit occidental, nous dénaturerons fatalement le taoïsme qui est par nature ambigu.
La tentative de comprendre ce monde si étranger est pourtant de celles qui provoquent le plus la réflexion et la remise en question de nos façons de penser.
Tao est un mot chinois couramment employé de nos jours encore pour désigner tout ce qui correspond à l’idée de route, de voie, de méthode. La transcription moderne de ce mot selon l’écriture pin yin est dao, que les Japonais prononcent do ou to et que l’on a rencontré dans le shinto.
1La notion de Tao est pourtant bien autre chose qu’une méthode et n’a rien à voir, par exemple, avec des exercices spirituels.
Une traduction meilleure de Tao serait plutôt « cours des choses », car le mot chinois comporte une notion de mouvement que ne rendent pas les mots « voie » ou « méthode ».
Le texte suivant, assez tardif puisqu’il est du XVI siècle, définit ainsi le Tao :
« Oui, vaste est le suprême Tao Auteur de lui-même, agissant par le non-agir Fin et commencement de tous les âges Né avant le Ciel et avant la Terre
Embrassant en silence la totalité du temps Traversant sans arrêt la continuité des siècles A l’ouest, il a instruit le grand Confucius Et à l’est il a converti l’Homme d’or ;
Pris pour modèle par cent rois.Transmis par des générations de sages,Il est l’ancêtre de toutes les doctrines Et le mystère dépassant tous les mystères. »
A cette lecture, on pourrait presque penser se trouver devant un texte de l’une des grandes religions monothéistes décrivant Dieu avec lyrisme. Mais, si cette interprétation, pas plus qu’aucune autre, n’est à rejeter, elle n’est que très partielle.
Le Tao reconnaît une multitude de dieux dont « l’Empereur d’En-Haut », Shang-di, parfois assimilé à l’étoile polaire ; le soleil, la lune, des fleuves, des montagnes, des empereurs, des génies divers protecteurs des champs ou des récoltes sont également divinisés. Mais il s’agit là d’une mythologie d’origine animiste qui a été absorbée et assimilée par le grand courant du Tao.
Pour l’esprit taoïste, l’univers est un tout dontl’individunepeutêtre isolé. Chaque être ou chaque chose est une partie de ce courant infini qui s’écoule inexorablement et où s’équilibrent des forces contraires.
L’univers est ainsi un ensemble continu d’évolutions et de changements dont nous faisons partie.
Rien n’est donc stable et rien n’est indépendant. Il est illusoire et impossible de schématiser un monde où tout interpénétrée dans la continuité. Les constructions mentales, cartésiennes ou non, n’ont aucune valeur et la réalité témoigne d’un inextricable mélange de chaque chose et de son contraire. C’est pourquoi on ne peut s’exprimer que par symboles où la réalité n’est décrite que par référence à une autre réalité, tout aussi complexe.