Les nouvelles religions japonaises
Pour un Occidental, l’univers religieux japonais est paradoxal : la population pratique selon les circonstances des religions différentes et celles-ci, bouddhisme et shintoïsme, avec leurs rites d’un autre âge, semblent bien inadaptées au monde moderne.
En réalité, l’attitude religieuse des Japonais procède d’une autre logique : puisque les dieux sont inaccessibles, ils le sont aussi par l’intelligence ; il n’y a donc aucune raison d’être rationnel en religion. L’essentiel est de témoigner d’une attitude de respect envers les dieux cachés qui vivent dans la nature. D’où une religiosité vague, sans contours précis, qui s’accommode fort bien des diverses religions établies.
Cela n’empêche pas que fleurissent depuis déjà plus d’un siècle de nombreuses « nouvelles religions » qu’il est intéressant d’analyser.
Selon le processus de raisonnement occidental, le plus logique consisterait à classer ces religions en fonction de leur origine : les unes sont issues du bouddhisme et d’autres du shintoïsme. On serait ainsi amené à compléter le chapitre sur les différentes formes de bouddhisme par l’étude de mouvements tels que le Rissho Kosei-kai ou le Soka Gakkai et le chapitre sur le shintoïsme par une analyse du Tenrikyo.
Cette approche donnerait malheureusement le sentiment que les Japonais sont séparés en blocs religieux nettement tranchés, voire antagonistes.
Certes ces mouvements ont des caractéristiques bien distinctes qui les identifient clairement mais ils ont aussi et surtout en commun des méthodes et des objectifs non religieux qui sont le reflet de l’âme japonaise.
C’est pourquoi nous avons renoncé à désarticuler les nouvelles religions japonaises et préférons les rassembler au sein du présent chapitre.
Parmi les caractères communs à toutes les nouvelles religions japonaises, deux sont particulièrement frappants, qui sont d’ailleurs liés : ce sont leur puissance économique et leur ambition politique.
Puisque ces religions sont des phénomènes purement japonais, il est naturel qu’elles soient marquées par le nationalisme. Leurs options politiques sont très apparentes : elles vont de la droite raisonnable jusqu’à l’extrême droite fascisante. Le culte de la personnalité du chef n’estjamais absent et la direction du mouvement se transmet souvent héréditairement. Les fidèles sont très attachés à leur religion, parfois de façon fanatique, pour des raisons généralement intuitives et passionnelles, mais fort peu intellectuelles.
D’autre part, les nouvelles religions qui ont réussi disposent toutes de moyens financiers considérables et d’installations spectaculaires. Les dons généreux des fidèles contribuent à cette aisance mais ces religions n’hésitent pas non plus à se lancer dans des activités fort peu religieuses et parfois très lucratives.
Enfin, et ceci est un phénomène récent, ces nouvelles religions ont acquis le réflexe de l’exportation. Malgré leur nature typique mentjaponaise, elles n’hésitent pas à investir à l’étranger. Rien qu’à Paris, ce sont au moins quatre ou cinq religions japonaises qui sont établies (Tenrikyo, Soka Gakkaï, PL. Kyodan, centres de bouddhisme zen…).
Les « sectes » shinto
Comme nous l’avons vu, la pratique du shinto est un phénomène national japonais qui se manifeste généralement par la participation à de grandes fêtes et une religiosité diffuse.
Toutefois, des religions plus structurées et plus contraignantes ont été constituées à partir du shinto. C’est ce qu’on appelle les « sectes » shinto.
Les trois plus importantes sont :
– Le Tenrikyo, avec 15 000 temples et 2 500 000 fidèles dont 100 000 sont formés pour pouvoir célébrer le culte.
– Le Konkokyo, avec 1 350 temples et environ 600 000 membres dont 3 600 prêtres.
– Le Kurozumikyo, avec 300 temples, 700 000 membres et 3 400 prêtres.
Nous ne décrirons, à titre d’exemple que le Tenrikyo.
Le Tenrikyo, littéralement « enseignement (kyo) de la loi (ri) du ciel (ten) », a été, comme d’autres religions japonaises, fondé par une femme, Nakayama Miki née en 1798, de parents bouddhistes.
Elle se maria à treize ans, mit au monde quatre enfants et mena une vie simple pendant de longues années. Mais en 1838 une maladie frappa sa famille et elle eut recours à ses dons de médium pour essayer d’obtenir une guérison par le spiritisme. Elle tomba en transes et eut une apparition. C’était le « Général du Ciel » (Tenno Shogun en japonais), qui lui déclara vouloir sauver l’humanité en la prenant pour temple vivant et pour intercesseur. Cette prétention du dieu ne fut pas du goût du mari qui préférait voir sa femme vaquer aux soins du ménage mais on ne résiste pas à un appel de cette nature et le conseil de famille accepta que Nakayama Miki suive son destin. Elle eut encore de nombreuses apparitions et vécut par la suite comme une déesse vivante. Elle acquit le pouvoir de rendre la vue aux aveugles et la raison aux fous, ainsi que de chasser les mauvais esprits qui provoquent les maladies.
Le livre saint, OfucLesaki, littéralement « la pointe du pinceau », qu’elle écrivit en caractères katakana1, est d’une interprétation difficile, précisément à cause de l’imprécision de cette écriture. On y lit que le monde entier est le corps de Dieu2. Celui-ci peut donc être reconnu soit dans les
Kamis, soit dans la lune et le soleil ( Tsuki-Hi, en japonais) soit dans les ancêtres. La lune et le soleil étant des Kamis, c’est-à-dire des divinités du panthéon shintoïste, il est difficile de nier l’importante influence du shinto sur le Tenrikyo. Toutefois cette religion ne se considère plus comme une secte shintoïste mais comme une religion universelle. Elle s’est donc lancée dans une grande activité missionnaire, notamment en Amérique du Nord et au Brésil, où la colonie japonaise est considérable. Il y a quelques années, le Tenrikyo a ouvert à Paris un centre culturel où l’on enseigne le japonais.
Une des affirmations de la fondatrice du mouvement était que la durée de la vie humaine est normalement de 115 ans, mais elle réduisit volon¬tairement cette durée en mourant de mort naturelle à 90 ans en 1887.
Son successeur, Zenye Nakayama, un de ses parents, porte le titre de Shimbashira, « les Colonnes de la Maison ». Il règne sur la communauté.
Une ville de 60 000 habitants permanents, Tenri-shi, la « ville de Tenri », près de Nara est le quartier général de cette religion, et même le centre sacré de la terre. Elle reçoit de nombreux pèlerinages et dispose d’hôpitaux et d’une université propres au mouvement.
Un phénomène bien japonais : le Soka Gakkai
Parti vers 1871 d’un mouvement de réforme pédagogique lancé par des professeurs de l’île d’Hokkaido, le mouvement Soka Gakkaï, c’est- à-dire la « Société pour la création de valeurs », est un phénomène typiquement japonais qui s’est épanoui brutalement après la Seconde Guerre mondiale.
Son objectif est de créer une société heureuse sur terre, grâce à un gouvernement mondial, ce qui implique une religion mondiale.
C’est ainsi que ce mouvement se trouve impliqué dans le domaine religieux, qu’il n’a abordé que tardivement, vers 1960.
En fait, les idées religieuses du Soka Gakkai sont rudimentaires. Elles se fondent sur le bouddhisme réformé du moine Nichiren et comportent l’idée-force d’une réforme de l’homme pour le préparer à la domination politique du mouvement. Le Soka Gakkai s’est doté d’un parti, le Komeito, littéralement « parti d’un gouvernement propre », pour appuyer son action. Celui-ci eut son heure de gloire vers 1960 quand, avec 47 députés, il fut le troisième par importance de la Diète japonaise. Dès 1972, il n’en comptait plus que 24.
Malgré son déclin, le Soka Gakkai reste un mouvement puissant qui a encore peut-être plusieurs millions d’adhérents.
L’encadrement strict, la conviction que le bien et le mal sont liés à la position sociale, le souci de mener des actions concrètes pour atteindre
le bonheur sont autant de caractéristiques de la société japonaise sur lesquelles le mouvement a bâti son succès.