Moon
L’ Association du Saint-Esprit pour l’Unification du christianisme mondial, A.U.C.M., fondée en 1954 par le Coréen Mun Yun Myung1, a connu un succès spectaculaire. Même s’il est difficile d’apprécier précisément le nombre de ses membres (2 millions officiellement, 400 000 d’après des estimations plus prudentes, dont près de la moitié en Corée et au Japon), elle joue un rôle important qui a déjà suscité une littérature abondante. Mais son influence semble s’exercer davantage dans le domaine financier et politique que dans celui de la spiritualité.
La doctrine de Moon est simple : le monde est entre les mains des forces du Mal. Jésus-Christ a échoué dans sa lutte contre le Mal parce qu’il ne s’est pas donné les moyens matériels de sa victoire et qu’il est mort sans avoir fondé une famille. Moon est le vrai Messie, son épouse et lui sont les « parents de l’humanité », ils seront vainqueurs de Satan mais il leur faut des moyens financiers et politiques que les fidèles s’emploient à rassembler. Les adeptes constituent l’armée des élus qui seuls seront sauvés.
Dans la pratique, ceci implique une rigoureuse dépendance des disciples vis-à-vis de leur hiérarchie : aucun pouvoir n’est électif et les décisions proviennent toujours du sommet. Même les mariages sont strictement réglementés.
L’organisation choisit les conjoints qui ne peuvent convoler qu’après une certaine ancienneté de service et après avoir fait preuve de leur dévouement à la cause. L’organisation dispose d’internats pour élever les enfants, car les parents sont souvent séparés pour les besoins de leur
activité mooniste. Celle-ci consiste pour l’essentiel à faire du prosélytisme et à rapporter de l’argent au mouvement.
La vie quotidienne du fidèle débute par un salut matinal aux photos de Moon et de sa femme. Les occupations sont ensuite incessantes : outre les activités de démarchage, les moonistes assistent à des conférences périodiques d’endoctrinement ou à des prières collectives, ils confessent leurs fautes, pratiquent des jeûnes de trois ou sept jours durant lesquels ils n’absorbent que de l’eau ou du café sans sucre… D’une façon générale, le sommeil et la nourriture sont réduits au minimum. Malgré cette vie Spartiate, les moonistes se doivent de garder le sourire en toute occasion. L’absence de sourire annonce la présence de Satan, ce qui mobilise tous les frères autour du malheureux ainsi habité par l’esprit du Mal.
La communauté témoigne ainsi d’une extrême cohésion ; chacun est dans une situation de dépendance vis-à-vis de son chef et la solitude est complètement proscrite. Bien sûr, comme adhérent volontaire à un mouvement dit religieux, le mooniste n’est pas salarié et il n’est protégé par aucune loi sociale.
Le sort est manifestement meilleur au sommet de la hiérarchie. Les moonistes convaincus et désintéressés qui accèdent à des responsabilités découvrent l’exploitation qui est la nature même de l’organisation et ont souvent une crise de conscience qui leur fait abandonner le mouvement.
Vu par un esprit occidental, le moonisme est aisément perçu comme un attrape-nigauds qui ne peut séduire que des naïfs. On ne peut qu’être choqué par le contraste entre la vie de sous-prolétaires des basses couches de l’organisation et le faste des dirigeants. Le personnage de Moon lui- même est fort peu sympathique : plusieurs fois traîné en justice pour délits sexuels ou fraude fiscale, il apparaît comme un homme sans scrupules qui a trouvé une activité lucrative et conforme à ses ambitions.
Le phénomène Moon est manifestement à contre-courant du christianisme dont il prétend se draper.Il ne peut trouver d’indulgence qu’auprès de ceux pour qui tout ce qui est anti-communiste est bon à prendre. Cet argument semble aujourd’hui bien dépassé.
Si l’on se place d’un point de vue plus asiatique, il est intéressant de noter que Moon est bien dans la ligne des « nouvelles religions » d’inspiration bouddhiste dont le Japon connaît plusieurs exemples depuis le début du siècle. En particulier, il n’est pas sans rappeler le Soka Gakkaï, mouvement également très politique qui s’appuie sur le Nichiren Shoshu, sorte de bouddhisme réformé présenté sous un jour moderne.
Pour conclure, il semble bien que la religion ne soit chez Moon qu’un support idéologique à la constitution d’un empire économique et d’une machine politique. Le poids de Moon se situe à ce niveau, comme en témoigne son action : à partir de la Corée, du Japon et des Etats-Unis où se concentrent ses plus gros moyens, le mouvement même des opérations financières considérables dans les pays d’Amérique Latine tels que
l’Uruguay, la Bolivie ou le Chili. En Uruguay par exemple, Moon dispose d’un journal, de deux imprimeries, d’un hôtel, d’un centre de congrès et d’une grande banque.
On évalue à plusieurs centaines de millions de dollars les bénéfices annuels du mouvement dans son ensemble, ce qui place le groupe à la hauteur de Toyota et devant Unilever ou I.T.T. Nous sommes bien loin de nos conceptions occidentales de la vie spirituelle.