Les diagrammes ( mandala )
Ancienne tradition brahmanique reprise par le tantrisme, la confection de diagrammes représentant la Divinité et ses forces, ou bien des groupements de divinités, demeure la meilleure manière de représenter l’univers invisible des forces qui régissent le cosmos. Ces représentations « organisées » de l’univers divin sont encore largement utilisées en Inde même en de nombreuses occasions, rituelles ou autres, pour invoquer la Divinité, éloigner les esprits maléfiques, se concilier les âmes errantes ou encore demander une faveur aux puissances célestes. En témoignent encore de nos jours les dessins rituels tracés sur le sol devant leur maison par les femmes dans les campagnes indiennes (Alpona du Bengale, Aripana du Mithilâ, Osa en Orissâ, Chowk en Uttar Pradesh, Mehndi Mandana du Râjasthân, Rangoli au Mahârâshtra, Kolam au Tamilnadu, Sathia au Gujarât, etc.). Ces diagrammes rituels sont en fait une sorte d’écriture pour correspondre avec les divinités et tirent peut-être leur origine de signes magiques. L’Agni Purâna, un des plus anciens textes en sanskrit, décrit l’un de ces diagrammes, le Sarvato- bhadra, considéré comme l’un des plus puissants, constitué de quarante- deux croix attachées ensemble… Ces représentations collectives de symboles ou de divinités sont réputées avoir une très grande force magique. Il n’est donc pas étonnant que le bouddhisme se soit emparé de cette idée et ait élaboré lui aussi des mandala servant son besoin d’organisation du monde matériel comme du monde subtil. Dans un mandala (jap. mandara ; tib. dkyil-’kor) les divinités (ou leurs symboles), assemblées selon un certain ordre, représentent « l’univers entier dans ses lignes essentielles, dans le dualisme de son processus, d’une émanation divine et de sa résorption dans l’humain, dans sa dialectique de désintégration et de réintégration, un cosmogramme qui est le paradigme de l’évolution et de l’involution cosmique ».
Un mandala est toujours organisé autour d’une divinité, d’un point (bindu) ou d’un symbole majeur. Au Tibet, il est parfois centré sur un personnage historique, comme Padmasambhava ou le traducteur Marpa. Il est formé d’enceintes concentriques circulaires ou carrées, munies de quatre « portes » orientées suivant les points du compas (au Tibet, le Sud est représenté à gauche, le Nord à droite, l’Est et le Zénith étant en bas, l’Ouest et le Nadir en haut). Chaque cercle ou enceinte est occupé par des divinités ou des symboles. Lorsque la divinité centrale est une divinité « courroucée », un cercle extérieur renferme des images des lieux de crémation ou des « huit charniers ».
Généralement, la divinité centrale est entourée de trois cercles de pétales de lotus, de vajra (foudres) et de flammes. Mais cela n’est qu’une convention, et les mandala peuvent avoir de très nombreuses enceintes. En fait toute figure formée par une divinité centrale entourée d’autres divinités (aspects, émanations, acolytes, symboles et personnages accessoires) constitue un mandala.
On distingue en général, dans le monde bouddhique, quatre catégories de mandala, représentations graphiques dans lesquelles sont groupées, iconographiquement et symboliquement, toutes les puissances et forces du monde phénoménal et de l’esprit, et dont la réunion organisée forme la personne, l’entité du Bouddha identifié à l’univers. Ces mandala, décrits en détail dans de nombreux sûtra, différents les uns des autres suivant les textes, sont en général peints sur soie, coton ou papier, parfois sur bois, gravés sur métal ou bois. Au Japon, certains furent réalisés en bas-reliefs de bronze. Dans de nombreux temples bouddhiques, au Tibet comme en Chine ou au Japon (par exemple au Tôdai-ji de Kyôto ou au Sangatsudô du Tôdai-ji de Nara), les statues des divinités, par leur groupement même, forment des mandala. Le plus grand mandala bouddhique est sans conteste formé par les terrasses concentriques du stûpa du Borobudur, à Java, datant du VIIIe siècle. Ce gigantesque monument, coiffant le sommet d’une colline, est en effet composé de plusieurs terrasses carrées surmontées d’une triple terrasse circulaire que couronne un stûpa central. C’est un monument initiatique, sorte de labyrinthe cosmique. La structure même du complexe tend à devenir une représentation du cosmos. Elle comprend trois niveaux : le monde des Désirs (Kâmadhâtu), caché par une grande terrasse additionnelle ; le monde de la Forme (Rûpadhâtu), consistant en quatre terrasses carrées décorées de mille huit cents bas-reliefs représentant la vie du Bouddha Shâkyamuni Gautama, les Jâtaka (2e et 3e galeries), puis les Bouddha à venir ; enfin le monde sans forme ou de Pure Perception, qui est représenté par les quatre autres terrasses circulaires : la première sans décoration, les trois autres ornées de Bouddha à demi cachés dans des stûpa ajourés (soixante-douze en tout). Le croyant qui fait l’ascension de ce prodigieux monument parcourt les cercles successifs d’un mandala, partant de la terre et de ses désirs, suit l’enseignement du Bouddha en parcourant les galeries carrées (aspect terrestre), pour enfin arriver aux cercles où plus rien ne vient le distraire de sa méditation ambulante. Face au grand stûpa central, il peut alors méditer sur le Tout sans forme, la personne même du Bouddha suprême jamais atteinte, qui ne peut être perçue ni conçue, et qui n’a ni commencement ni fin. En fait, tout temple ou stûpa est un mandala en lui-même, et les terrasses dont s’entourent les stûpa, en Inde comme ailleurs, sont les enceintes concentriques qui entourent la divinité centrale. En Inde brahmanique, le plan des temples était également conçu comme un mandala.
Les quatre grandes catégories de mandala se trouvent en fait réunies dans les deux grands mandala que nous avons choisis pour ordonner notre propos. Ils se trouvent également tous les quatre dans l’un d’eux, le Vajradhâtu Mandala : le mandala des Éléments (Mahàbhûta Mandala ; jap. Dai Mandara), le mandala des Attributs (Samaya Mandala ; jap. Sanmaya Mandara), le mandala des Lettres-Symboles (Dharma Mandala ou Bîja Mandala ; jap. Hô Mandara) et le mandala des Actions (Karma Mandala ; jap. Katsuma Mandara)1.
Selon le Guhya Tantra, le nombre des mandala pouvant entrer dans ces catégories serait de trois mille cinq cents. Mais ce nombre n’est aucunement limitatif, les mandala pouvant, théoriquement, être une infinité. Bien que leur origine soit indienne, ils furent utilisés au Tibet et en Chine pour les besoins des sectes tantriques et ésotériques. Leur apparition au Japon coïncide avec la création, sur le modèle chinois du Shenyan, de la secte Shingon, au début du IX’ siècle. Ces mandala furent rapportés de Chine par les moines qui s’y étaient rendus, bravant les dangers des voyages sur mer, pour y chercher de nouvelles doctrines. Ils ont alors revêtu au Japon une importance extrême, bien plus qu’en Chine, car ils permirent aux moines-artistes de se fonder sur eux pour élaborer les innombrables statues et peintures de divinités que les sectes et les temples réclamaient. En effet, la plupart des divinités bouddhiques vénérées au Japon dans le cadre des doctrines ésotériques ont été tirées principalement des deux grands mandala adoptés par la secte Shingon, ainsi que par d’autres, telle celle du Tendai (chin. Tiantaï), ceux du mandala double des Deux Mondes (jap. Ryôkai Mandara), le Garbhadhâtu Mandala (jap.Taizô-kaï), parfois appelé « mandala des Émanations des Trois Étages » (jap. Sanju Mandara), et le Vajradhâtu Mandala (jap. Kongô-kai), dont nous avons déjà parlé.
Le Garbhadhâtu Mandala (Mahâkarunâgarbha Mandala) est symétriquement disposé : autour du Grand Illuminateur, le Bouddha Ma- hâvairochana (jap. Dainichi Nyorai), se trouvent répartis, dans l’ordre de leur importance et suivant leur horizon, tous les groupes de divinités du panthéon du bouddhisme ésotérique, lesquelles sont représentées telles que le veut la tradition iconographique religieuse. Ces groupes de divinités sont divisés en « classes » suivant leurs fonctions. Le Vaj- radhâtu Mandala qui le complète est composé de neuf mandala différents, appartenant aux quatre catégories sus-mentionnées, disposés, à partir du centre, en spirale en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, et chacun est consacré à une certaine catégorie de divinités, de symboles ou de lettres-symboles (bîja ; jap. shûji). Il est plus abstrait et symbolique que le premier mandala, qui ne représente que le monde des apparences, alors que le mandala du Vajradhâtu symbolise les forces spirituelles. Néanmoins, ces deux mandala sont inséparables.
En dehors de ces deux grands mandala, les mandala divers qui ont, soit en Chine, soit au Tibet et au Japon, inspiré peintres et sculpteurs en définissant pour eux formes et attitudes des divinités bouddhiques, sont relativement nombreux. Tous ces mandala eurent une très grande importance, non seulement en tant que support matériel pour les méditations des moines, mais également pour l’enseignement. Ils définissent en effet visuellement chaque divinité en lui assignant une place précise dans l’ordre cosmique par rapport à la divinité centrale et par rapport à l’homme, en incluant ce dernier dans des classes « qualitatives », selon les lois de la logique bouddhique. Un mandala représente donc à la fois la Divinité suprême dans son Unité ou sa Diversité, le monde créé dans son organisation cosmique, l’ensemble de l’humanité par rapport à cette dernière, et finalement l’homme lui-même dans sa totalité, matérielle et spirituelle. Il est donc à lui seul une visualisation particulière de tout l’univers.
Tout cela n’était bien compris que des moines. Pour l’homme du commun, la véritable signification des mandala demeurait impénétrable : il n’y voyait qu’une sorte de reflet protéiforme de la Divinité.
Une réponse pour "Les diagrammes ( mandala )"
Bonsoir Sammy,Merci de ta vtiise ce soir.A mon tour de te découvrir.Je ne suis pas déçue : ce billet m’a bien fait rire, et en plus ici on s’instruit en rigolant !Je ne connaissais pas le Ban bourguignon, pauvre inculte que je suis. Ouf sauvée par Sammy !J’ai lu le Gone de Chaaba j’ai bien aimé, et j’ai même vu le film (ou téléfilm ?) qui en a été tiré.Je pense qu’Azouz Begag aurait dû rester écrivain, et militant associatif. Mais l’attrait du pouvoir lui a été fatal. Le pouvoir tue, il ne le savait pas…A bientôt Sammy