Achalanàtha
Surtout représenté au Japon, Fudô Myô-ô, de son nom mystique Jôjû Kongô, « le diamant éternel et immuable », est le chef des cinq grands rois de Science magique, correspondant à la forme sanskrite d’Achala- nâtha, le Vidyârâja au corps vert foncé ou noir, « l’immuable ». C’est le destructeur des passions. Dans les doctrines de l’ésotérisme, il est considéré comme un « corps de métamorphose » (Nirmânakâya) de Vairochana dont il personnifie la fermeté d’esprit et la volonté de détruire le mal. Il a pour symbole un glaive tenu verticalement et autour duquel s’enroule un dragon (jap. kurikard) entouré de flammes. Son halo de flammes est censé consumer les passions. Il est décrit dans nombre de sûtra et particulièrement dans le Mahâvairochana-sûtra jap. Dainichi-kySf. Il assumerait, « à l’encontre des obstacles, l’énergie de l’adepte lui-même», montrant ainsi la puissance de compassion de Vairochana. Son glaive lui sert à combattre les « trois poisons » : avarice, colère et ignorance. De la main gauche il tient une corde (pâsha) pour attraper et lier les forces mauvaises et les empêcher de nuire. Fudô Myô-ô ayant fait le vœu de prolonger de six mois la vie des fidèles et de leur donner une inébranlable résolution de vaincre les forces du mal , il est parfois, à ce titre, invoqué comme «prolongateur de la vie ». Dans le Vajradhâtu Mandala, il est une manifestation terrible de Kongô Rikishi et est situé au nord-est, d’où il protège les hommes des mauvaises influences. Dans le Garbhadhâtu Mandala, il est la force de Vairochana et se trouve placé à l’ouest de celui-ci.
Achalanâtha est parfois identifié à un autre Vidyârâja, Ucchushma Vidyârâja (jap. Ususama), divinité des endroits nauséabonds ; à ce titre il est souvent placé (dans les temples bouddhiques) près des lieux d’aisance, afin qu’il puisse dévorer tous les péchés et matières immondes. Dans le commentaire écrit par le pèlerin chinois Yijing (jap. Gijô) sur le Mahâvairochana-sûtra, Achalanâtha, envoyé par le Bouddha vers Maheshvara (une forme du dieu hindou Shiva) pour le convertir, aurait été inondé de substances malodorantes par cette divinité (ce qui, en magie, est un moyen de rompre les enchantements). Achalanâtha aurait incontinent dévoré ces immondices et écrasé sous ses pieds Maheshvara et son épouse Umâ . Bien qu’on ne connaisse pas de représentation d’Achalanâtha en Inde sous la forme qu’on lui attribue en Chine et au Japon, on pense généralement qu’il correspondrait (ainsi d’ailleurs que d’autres Vidyârâja) à une évolution d’anciens types de génies du folklore indien et qu’il pourrait provenir plus directement encore des formes du Yaksha Vajrapâni citées dans le canon pâli. On trouve quelques-unes de ses représentations en Chine dans les grottes de Dunhuang, au Tibet et au Népal où il est parfois appelé, dans un de ses aspects tantriques. Kâlâmanjushrî (Manjushrî noir).
Son culte et ses images furent introduits au Japon au début du IX siècle par Kûkai, et forment depuis un des éléments essentiels des doctrines de la secte Shingon, dont il est par ailleurs l’un des treize Bouddha (Jûsan Butsu). C’est aussi la forme dite Kongô Rikishi de L» manifestation en deux formes de Vairochana (des Ni-ô, des « bons rois »). Sous cet aspect, il a la bouche fermée, symbole de force latente, et tient à la main un vajra.
Au Tibet, Achalanâtha est appelé Achala-Vajrapâni et est ur. Dharmapâla. Il est représenté avec quatre têtes, quatre bras et quatre jambes, piétinant des démons. Il tient le glaive, la corde, un vajra et une calotte crânienne.
S’il n’a jamais joui d’une grande popularité au Tibet et en Chine, en revanche ce Vidyârâja fut de tout temps très vénéré du peuple japonais qui lui a élevé de très nombreux petits autels, l’assimilant syncrétiquement à des Kami du shintô. L’image de son glaive est parfois offerte sur des ema ou plaquettes votives aux sanctuaires shintô, afin de remercier Fudô de sa protection contre des calamités diverses car pour le peuple, Fudô Myô-ô appartient autant au bouddhisme qu’au syncrétisme dans lequel se fondent de nombreux aspects du shintô et du bouddhisme, distinction souvent peu évidente aux yeux de la plupart des fidèles.
Représentations d’Achalanâtha
Achalanâtha revêt souvent l’aspect d’un enfant au visage courroucé, mais c’est là peut-être une confusion de ce Vidyârâja avec l’un de ses huit acolytes, Chetaka (jap. Seitaka).
Achalanâtha est le plus souvent représenté assis sur un roc de pierre précieuse. Dans un passage sur les « Rites mystiques de la Dhâranî d’Achala le Messager » (jap. Fudôshisba Darani Himitsu Hô), il est décrit comme ayant le corps rouge et jaune. Les flammes qui entourent son corps symboliseraient alors les passions et l’embrasement de toutes les impuretés qui sont attachées au cœur humain. Cependant. Achalanâtha est plus habituellement représenté avec le corps vert foncé, vêtu d’une robe rouge lui laissant l’épaule droite découverte. Il est debout ou assis sur un roc symbolisant le mont Meru de la mythologie indienne et sa volonté inébranlable. Il est parfois assis sur un trône (plus rarement sur un lotus), en Vajraparyankâsana ou en Vajrâsana ou encore, mais plus rarement, en aise royale (Mahârâjalîlâsana). Une auréole de flammes, parfois avec une double auréole ronde, lui enveloppe tout le corps. Il a de longs cheveux, hérissés ou peignés avec une grosse tresse qui lui retombe sur l’épaule gauche. Son visage est menaçant, ses sourcils sont froncés, il louche ou a un œil à demi fermé (le gauche généralement) ; l’autre œil est rouge. Son rictus laisse entrevoir deux crocs, l’un dirigé vers le bas, l’autre vers le haut, et il se mord la lèvre supérieure avec les dents de la mâchoire inférieure.
On lui connaît de nombreuses formes qui, bien qu’ayant les mêmes caractères généraux, varient cependant sur certains détails :
- Avec deux bras (forme la plus commune) : il a un corps massif, une robe vert et rouge. Il tient son glaive (jap. sankotsuka-no-ken, avec une poignée-vajra à trois pointes, ou tokkotsuka, avec poignée-vajra à une pointe) de la main droite, la gauche tenant une corde terminée par un crochet à chaque extrémité (jap. saku, ryûsaku, kensaku) ou par un vajra à deux pointes.
- Avec quatre bras (jap. Chintaku Fudô) : les mains principales sont identiques à la forme précédente, les autres sont en « poings de Fudô » (Fudô-in) à la hauteur du visage. Il peut aussi être représenté avec quatre têtes et quatre bras (principalement sur des mandala). Il a alors un corps jaune et il est considéré comme « destructeur des ennemis » du bouddhisme.
- Avec six bras et six faces à trois yeux : la face centrale est souriante, la face droite est jaune avec la langue pendante, la face gauche est blanche avec une expression courroucée. Son corps est bleu foncé. Ses mains droites portent un glaive, un vajra et une flèche ; il a dans ses mains gauches une corde, le rouleau de la Prajnâpâramitâ-sûtra et un arc.
Dans la peinture japonaise, trois images de Fudô sont particulièrement célèbres et vénérées : ce sont les « trois vénérables Fudô » (San Fudô-son) :
- Aka Fudô, de couleur rouge, assis sur un fond de flammes, la main droite tenant le glaive entouré d’un dragon, la main gauche serrant une corde (XIIIe siècle).
- Ki Fudô, de couleur jaune, debout en pose statique, sans acolyte. Il est attribué au moine-artiste Eshin (942-1017). C’est la plus ancienne représentation picturale de Fudô au Japon.
- Aoi Fudô, de couleur bleu foncé, entouré de flammes et assis sur un grand rocher. Son dessin est tracé en lignes « fil de fer » (jap. tessenbyô).
D’autres images de Fudô Myô-ô montrent celui-ci :
- avec deux acolytes, et courant ;
- appuyé sur son glaive (dessin à l’encre de Chine, d’une facture assez particulière, sur kakémono, peint par Shinkai en 1282, peut-être pour obtenir la protection de Fudô contre les envahisseurs mongols).
Les Acolytes d’Achalanâtha
Achalanâtha est généralement accompagné de huit acolytes (jap. Dôji) enfants dont deux au moins, Kongara et Seitaka, sont souvent repré¬sentés près de lui. Ces « Hachi Fudô Dôji » sont, selon le Butsuzô-zu-i et le Nihon Butsuzô Zuzetsu dont les images diffèrent :
Ekô Dôji
Vêtu d’une robe monastique légère avec une « écharpe céleste », l’épaule droite découverte ou non, assis ou debout, la main droite tenanf un triple vajra ou un double trident, la main gauche avec tige de fleurs de lotus supportant un chintâmani ou un disque solaire.
Anokuta Dôji (Anokudatsu)
Assis ou monté sur une licorne (jap. kirin), ou debout avec une couronne ornée d’un phénix (jap. hôô), un vajra à la main droite, un lotus à la main gauche.
Eki Dôji
De couleur rouge, le visage avec une expression douce, la main droite tenant une lance ou un trident, la main gauche un chintâmani.
Shitoku Dôji
Identique à Eki Dôji, mais revêtu d’une armure, avec une hallebarde et un chintâmani à la main,
Ukubaga (Ugubaga Dôji)
Les cheveux hérissés, avec un vajra sur la tête et dans la main droite.
Shôjôbiku
Vêtu comme un moine, le crâne rasé, les dents en crocs, un triple vajra à la main droite, un livre ou rouleau de sûtra à la main gauche.
Kongara Dôji (skt. Kimkara)
Enfant nu ou avec une écharpe céleste, le visage serein ou souriant avec ou sans couronne de fleurs de lotus, la coiffure parfois bouclée. Représenté isolément, il est parfois monté sur un lion marchant sur des lotus (et est alors confondu par certains avec Manjushrî). Il est toujours situé à la gauche de Fudô. Ses mains sont en Anjali-mudrâ avec ou sans simple vajra posé dessus, ou bien il tient un glaive et une corde.
Seitaka Dôji (skt : Chetaka)
Enfant nu ou avec une écharpe céleste et une jupe, le visage furieux, la chevelure parfois hérissée, hirsute ou comportant plusieurs chignons. On le représente parfois, lorsqu’il est seul, monté sur un cheval (rare). Il est normalement placé à la droite de Fudô. Ses bras sont croisés sur sa poitrine, ou bien il tient un bâton dans la main droite et un triple vajra dans la main gauche.
On peut comparer les attitudes de Kongara et de Seitaka à celles des acolytes de Shiva (Nandisha et Mahâkâla), d’Avalokiteshvara (Târâ et Bhrikutî-Hayagrîva) et de Manjushrî (Sudhâna et Yamâri). Il convient aussi de signaler que Fudô Myô-ô sous forme d’enfant est souvent confondu avec Seitaka, et on le voit parfois monté sur un lion et entouré de ses acolytes.
Bien que Fudô puisse avoir théoriquement deux, huit, trente-six ou même quarante-huit acolytes, il est le plus couramment représenté avec seulement deux de ceux-ci, Kongara et Seitaka. Les huit acolytes enfants de Fudô sont également parfois attribués comme messagers à Zaô Gongen, lequel peut alors être assimilé (ou identifié) à Fudô. Ces messagers sont vénérés en tant que tels sur le mont Kinbu, au sanctuaire shintô de Kumano Ôji.
Dans les mandala et la secte de Nichiren, Fudô est représenté sans ses acolytes.
Il est également très souvent associé aux chutes d’eau, étant considéré comme le purificateur par excellence. On sait par ailleurs l’importance que prennent cascades et chutes d’eau dans les purifications rituelles au Japon. Son image se trouve donc souvent sculptée à proximité de ces chutes.
Enfin, symboliquement, Fudô Myô-ô est représenté par son glaive entouré d’un dragon qui en mord la pointe. Cette image, appelée Kurikara Fudô, est censée avoir un pouvoir efficace dans la lutte contre les calamités qui pourraient atteindre l’Etat. Parmi les nombreux temples qui lui sont dédiés, ceux appelés Narita Fudô à Narita (Chiba-ken) et Meguro Fudô à Tôkyô sont parmi les plus célèbres.
Cultes populaires de Fudô Myô-ô au Japon
La force combative de Fudô le fait invoquer par les gens du peuple en maintes circonstances, principalement contre les attaques de la maladie, non pas que Fudô soit considéré comme un guérisseur, mais comme une force efficace pour lutter contre les impuretés et les démons qui provoquent les maladies. On l’invoque aussi pour se protéger des gens réputés méchants et contre les sorts dont on pourrait être victime de la part des sorciers. Enfin Fudô est souvent considéré comme le défenseur du Japon contre une éventuelle attaque d’ennemis venus de l’extérieur. Il doit à tous ces titres d’être l’une des divinités bouddhiques les plus invoquées au Japon, et aussi l’une des plus populaires. Les temples et sanctuaires qui lui sont consacrés se rencontrent dans toutes les campagnes et les villes, parfois dans les endroits les plus inattendus, et aux carrefours des routes. La plupart de ces temples appartiennent aux sectes Shingon ou Tendai. Les sectateurs de Nichiren lui rendent aussi un culte, surtout en tant que « protecteur de l’Etat ».