Les divinités féminines : Sarasvati
Ancienne divinité hindoue associée à une rivière indienne du même nom, Sarasvatî fut vénérée dès les temps védiques comme présidant au Savoir. Dans l’Inde brahmanique, elle devint l’épouse de Brahmâ et de Manjushrî et fut considérée comme la divinité de la musique et des arts poétiques. Au Japon, selon le Konkômyô-ô-kyô, elle serait une sœur d’Enma-ten (Yamarâja), considéré comme roi des enfers bouddhiques. Son culte s’y serait développé dès le VIII siècle, venant de Chine : dans le Konkômyô-saishô-d-kyô, il est affirmé qu’elle protège les possesseurs de ce sûtra et leur procure toutes sortes d’avantages matériels. Dans certaines sectes brahmaniques, elle serait une sœur de Vishnu, et dans d’autres sectes bouddhiques, une manifestation féminine de Vairochana.
Chaque secte a tenté de s’approprier cette divinité qui depuis l’aube des temps symbolisait pour les esprits indiens ces deux éléments fondamentaux du rituel que sont la musique et la poésie. En Inde, elle est communément représentée avec deux bras seulement, jouant de la vînâ. Au Tibet, elle assume cette forme mais est également associée au panthéon tantrique : elle tient alors dans la main un vajra et est appelée Vajra-Sarasvatî. Elle peut également prendre la forme et certaines caractéristiques de la Târâ blanche, tenant la vînâ avec deux de ses quatre mains : elle est alors nommée Âryajângulî. C’est ce dernier Benzai-ten (Sarasvatî) aspect qui semble, au Japon, s’être superposé à celui d’un Kami d’un îlot du lac Biwa et à celui d’Ugajin, divinité des eaux représentée sous la forme d’un grand serpent blanc. Par une confusion graphique ou de lecture des caractères composant son nom, on lui attribua, toujours au Japon, vers les XV-XVI siècles, les vertus de Bonne Fortune jusque-là dévolues à Kichijô-ten, et elle fut incluse dans le groupe des sept divinités du bonheur. De même que pour une autre divinité de ce groupe, Daikoku-ten, elle présente deux sortes d’aspects qui, bien que quelque peu similaires au point de vue iconographique, ont des attributions différentes : des aspects bouddhiques et des aspects populaires. Ces deux aspects sont parfois difficiles à définir et à séparer.
Dans le Garbhadhâtu Mandata, elle est représentée comme une jolie femme d’âge moyen, avec deux bras, et jouant du biwa (sorte de luth japonais). On la nomme également Myô-on-ten. Le Hôbôgirin lui connaît nombre d’autres désignations et lui attribue, sur la foi des textes, un aspect masculin, la comparant aux Gandharva, musiciens célestes de l’Inde. Cet aspect masculin se retrouve d’ailleurs parfois dans certaines de ses effigies appartenant au folklore, où elle est représentée comme un grand serpent blanc avec une tête (ou parfois trois) barbue.
Son effigie est parfois sculptée nue, car ses fidèles doivent l’habiller de riches vêtements. Sur sa tête ou dans sa coiffure se trouve un petit torii, symbole des sanctuaires shintô (et peut-être de son appartenance aux doctrines syncrétiques ?). Elle est presque toujours représentée accompagnée d’un paon et d’au moins un serpent blanc. Elle est montrée assise ou debout (ou, en peinture, assise sur une feuille de lotus). On distingue deux types :
- A deux bras, jouant du biwa, ou bien tenant un glaive dans la main droite et un joyau (chintâmani) dans la main gauche (dans ce dernier cas, elle fait partie des Nijûhachi-bushû, acolytes de Senju Kannon Bosatsu).
- Avec huit bras (Happi Benzai-ten) : elle tient dans ses mains droites une corde, un trident, un vajra et un arc. Dans ses mains gauches un chakra, une hache, un glaive et une flèche.
Sur les peintures et mandala, elle est généralement entourée de divers acolytes (dont Mârîchî) et des Lokapâla. Cependant les attributs qu’elle tient dans les mains peuvent varier et comprendre pour les mains droites : glaive, clé (ou crochet), chakra, arc (ou lance, crochet, corde et flèche) ; pour les mains gauches : joyau, trident, chakra et arc (ou lance, sankosho, chakra et arc). Elle est de couleur blanche et est parfois assise sur un paon.
Elle aurait quinze fils (lesquels seraient au nombre réel de seize), incarnations de diverses divinités bouddhiques, qui symboliseraient les divers métiers qu’elle est censée patronner.
Aspects populaires
Ces aspects se rencontrent surtout au Japon, car il ne semble pas qu’en Chine ou au Tibet cette divinité ait rencontré la faveur des couches populaires, celles- ci étant assez peu savantes dans les arts « aristocratiques » de la musique et de la poésie. En revanche, au Japon, en raison de son association avec les génies de l’eau, elle fut largement vénérée. Elle est alors habillée de vert pâle (rappel de son caractère aquatique) et a quatre bras tenant un glaive, un biwa, un joyau et une boîte à fards. Elle est toujours assise, les jambes croisées aux chevilles, et est parfois couronnée (ou entourée) de serpents blancs. Un gros serpent blanc à tête de vieillard, du nom de Hakuja, l’accompagne souvent et, en l’absence de l’effigie de Benzai-ten, est souvent pris pour celle-ci.
Dans certains sanctuaires shintos, on considère qu’elle est l’incarnation du Kami Itsukushima Hime. Au sanctuaire de Kasuga à Nara, elle est vénérée sous le nom de Kayane Hime. Cependant son sanctuaire principal (en dehors de celui de l’île du lac Biwa) se trouve sur l’île d’Enoshima, non loin de Kamakura, où l’on prétend quelle serait apparue dans une grotte. Sa légende y est associée à celle d’un dragon qu’elle aurait épousé afin de le rendre inoffensifElle est alors repré-sentée avec huit bras et est réputée être extrêmement jalouse. Ses temples et sanctuaires sont toujours situés à proximité de l’eau (culte du serpent et des dragons). Cette divinité est encore de nos jours très vénérée par les artistes, les geisha (on dit qu’elle préside à l’amour), les joueurs, les femmes jalouses, les spéculateurs et les boutiquiers, qui lui demandent principalement de favoriser leur chance en amour, au jeu ou en affaires.
La forme bouddhique la plus commune représentant Sarasvatî est à deux bras, une main en Varada-mudrâ, l’autre tenant une tige de fleur de lotus blanche. Au Tibet elle peut prendre un aspect tantrique particulier, et avoir trois visages, un corps rouge, six bras et divers attributs.
Le bouddhisme lamaïque en fait parfois une parèdre d’Amitâbha : dans ce cas, elle n’a que quatre bras et est montrée assise en Vajralîlâ- sana. Mais elle est relativement peu représentée au Tibet comme en Chine.