La situation de la femme dans le monde
Elle n’en est pas au point qu’elle puisse déstabiliser l’Islam. La découverte d’autres cultures par les femmes musulmanes est encore trop récente pour que les effets en soient partout déjà perceptibles.
Il n’est cependant pas douteux que le cadre familial traditionnel commence à être perturbé par la généralisation de l’instruction secondaire de type occidental ainsi que par l’influence des télévisions étrangères captées par des paraboles.
Ainsi, en Arabie Saoudite, où la femme est encore maintenue dans son foyer presque toute la journée, le magnétoscope la conduit à passer une part considérable de son temps à regarder des vidéocassettes, parfois très éloignées de la morale islamique, aux dépens de la formation traditionnelle des enfants.
En Algérie, où la situation est fort différente, l’éducation secondaire et supérieure des femmes s’est généralisée et celles-ci se soumettent de plus en plus difficilement aux contraintes de la génération précédente : mariage arrangé par les parents, vie exclusivement axée sur la famille, acceptation de la polygamie de l’époux, port du voile, etc. La forme d’Islam que les mères de famille de la nouvelle génération inculqueront à leurs enfants réservera sans doute bien des surprises aux intégristes.
De tels exemples peuvent être cités dans tous les pays musulmans. On peut y trouver, peut-être, une explication partielle au renouveau de l’intégrisme : il pourrait s’agir d’un combat d’arrière-garde des hommes qui voient menacer l’équilibre traditionnel de leurs foyers.
L’évolution des mœurs
Elle ne fait que prolonger les constatations faites à propos de la femme. La diffusion sur une grande échelle de la formation technique entre inévitablement en concurrence avec l’enseignement traditionnel du Coran. Le simple fait que le Coran perde sa place exclusive dans l’enseignement conduit fatalement à en relativiser l’importance dans 1» vie quotidienne. Il suffit de songer, par une comparaison très imparfait à l’effondrement des formations d’humanités classiques grec et latin ’ en Europe au profit des matières scientifiques.
Ainsi la société musulmane traditionnelle se trouve, pour la première fois, soumise à un risque de contamination par un autre style de vie inspiré d’un Occident considéré comme infidèle. C’est ainsi qu’Atatürk a imposé des mœurs non coraniques à la Turquie et que le président tunisien Bourguiba a préconisé, pour des raisons économiques, de ne pas respecter rigoureusement le ramadan.
Des chefs d’Etats ne prendraient pas de tels risques s’ils se sentaient complètement isolés, mais ils restent des exceptions tant la société est, en général, profondément imprégnée par le mode de vie de l’Islam. Aussi ceux qui relativisent l’observation des règles de leur religion en sont-ils réduits à pratiquer « l’hypocrisie » : pour ne pas s’exposer à la réprobation publique ou parfois même à des sévices, ces musulmans continuent à suivre apparemment les usages de leur religion mais ils s’en dispensent à la première occasion.
Ce sont tout naturellement les musulmans au contact de l’étranger qui sont les plus contaminés. La multiplication des échanges internationaux conduit des musulmans de plus en plus nombreux à vivre en dehors de leur communauté. Ils n’y sont plus soutenus par un environnement islamique et les moins convaincus perdent facilement toute pratique.
Les musulmans qui habitent les pays occidentaux ont le sentiment de vivre dans un cadre culturel d’indifférence religieuse, et ceci d’autant plus que les chrétiens ne sont pas tenus comme eux à extérioriser leur foi : la prière ne se fait pas en public et le jeûne du Vendredi saint se remarque moins que celui du Ramadan. Comme il existe, malgré tout, une certaine fascination pour la prospérité matérielle de l’Occident, le doute de l’excellence de la société islamique peut s’installer dans les esprits spirituellement les moins forts.
Une telle évolution n’est pas l’exclusivité des musulmans expatriés en terre infidèle. L’afflux soudain de richesses dans les pays producteurs de pétrole n’a pas, comme on s’en doute, entretenu l’austérité des mœurs. Pour ce qui concerne la consommation d’alcool, chacun sait que la contrebande va de pair avec la prohibition. L’attrait du fruit défendu est une constante de la nature humaine, même en pays d’Islam. C’est la contrainte exercée par la société, qu’elle soit islamique ou pas, qui crée l’hypocrisie. Augmenter la contrainte ne fait qu’augmenter l’hypocrisie. En vertu de la parole du Coran « pas de contrainte en religion », on se demande d’ailleurs ce qui justifie que de pieux musulmans imposent à leurs coreligionnaires moins pieux des contraintes, religieuses ou sociales.
Toujours est-il que les tendances au rejet des règles morales de la religion s’accélèrent. Ce mouvement, jugé dangereusement pervers par les lmans rigoristes, est, pour une bonne part, à l’origine des mouvements de réaction, généralement qualifiés de fondamentalistes, tels que lui des Frères musulmans.
L’évolution future de l’Islam dépendra de l’issue de la lutte entre ces ¿eux courants : le retour à la pureté traditionnelle considérée sous l’angle d’une application stricte et littérale de la loi coranique, la chariah, ou bien une certaine « contamination » par des idées étrangères à la lettre du Coran mais qu’on pourrait cependant peut-être y trouver, en les cherchant bien.