La verite
Peu de notions suscitent autant de controverses et d’interprétations diverses. La vérité, dont on pourrait croire qu’elle est une réalité objective, devient trop souvent l’enjeu d’intérêts divergents qui l’habillent à leur guise et la maquillent au point que son visage devient méconnaissable. En outre, même sans aucune intention malveillante, l’homme n’est jamais capable de saisir tous les aspects de la réalité et il y a toujours une part de subjectivité dans son appréciation de la vérité.
Rappelons à ce propos la célèbre parabole bouddhiste des aveugles et de l’éléphant : cinq aveugles rencontrent un éléphant ; le premier touche la défense et la prend pour une carotte géante ; le second touche une oreille et croit qu’il s’agit d’un grand éventail ; le troisième touche la patte et pense avoir affaire à un mortier ; le quatrième touche la trompe et déclare que c’est un pilon tandis que le dernier, touchant la queue, affirme que c’est une corde.
Si la réalité est une, la façon de la percevoir varie donc et la description qu’on en fait peut apparaître contradictoire.
Cette constatation est d’une importance considérable en matière religieuse puisque nous sommes très mal-voyants en ce qui concerne Dieu et son plan sur nous.
Contrairement au taoïsme qui admet parfaitement la validité simultanée d’une position et de son contraire, les deux religions numériquement les plus importantes, le christianisme et l’Islam, ont une définition très stricte et rigide de la vérité, surtout pour ce qui touche la révélation divine.
Il faut bien reconnaître que la parabole bouddhiste peut fournir un élément d’explication à qui trouverait bloquée cette situation des reli¬gions. Le respect, en principe légitime, que le croyant porte à la révélation qu’il pense avoir reçue devrait s’assortir d’une très grande modestie sur ses capacités à la comprendre et à l’interpréter. Quelle que soit en effet la perfection de la révélation, elle est exprimée en langage humain et ne
donc être comprise qu’imparfaitement. Hélas, la modestie n’est pas bien fréquente si l’on en juge par toutes les formes de guerres de religion menées au nom de la vérité que chacun des protagonistes pensait détenir
exclusivement.
Certes les religions n’ont pas le monopole de ce tragique défaut humain, forme pernicieuse de l’orgueil intellectuel : les politiciens et même les scientifiques donnent aussi fréquemment le spectacle d’un attachement forcené à des convictions contradictoires.
Pourtant les scientifiques devraient aujourd’hui savoir qu’ils ne peuvent qu’approcher la vérité, asymptotiquement, sans jamais l’atteindre complètement. Il est donc dérisoire de se quereller au nom d’une vérité qu’on prétendrait posséder.
A l’inverse, il ne faut pas déduire de ce qui précède que la vérité, parce qu’elle est inaccessible, n’existe pas. Ce n’est pas parce qu’on peut discuter à l’infini sur ce qu’est la notion de noirceur qu’on peut affirmer qu’elle est synonyme de blancheur. Notre incapacité à connaître parfaitement la vérité ne nous interdit pas de savoir identifier ce qu’elle n’est pas.
Encore faut-il dénoncer les erreurs avec assez de nuances pour ne pas tomber dans le défaut de l’affirmation d’une vérité qui nous échappe
Force est de reconnaître que la vérité absolue, si elle existe, n’appartient qu’à Dieu.
Il nous reste à vivre dans un univers ou les constatations comme les décisions se fondent sur des probabilités. L’expérience montre que cela suffit pour agir.
En somme, la vérité est un peu comme Dieu lui-même : rien ne permet d’être sûr de son existence mais en le cherchant, on peut s’en approcher de plus en plus.