Le culte et les rites: rites religieux
Toute religion instituée a ses cérémonies, ses cultes et ses rites : prières, chants, sacrifices et offrandes sont l’expression de la dévotion courante. Dans les occasions les plus solennelles, les fêtes religieuses deviennent des manifestations de masse ; processions et pèlerinages rassemblent parfois des centaines de milliers de fidèles.
Le culte englobe les différentes formes de dévotion, personnelle, ou collective, tandis que les rites sont les règles, plus ou moins précises et contraignantes, qu’exige la célébration du culte.
Force est donc de constater que les religions ont besoin de s’extérioriser et que les hommes ressentent, du moins jusqu’à présent, la nécessité de suivre certains rites qui sont la marque de leur culture. Les rites en effet ne sont pas l’apanage des religions : il y a un rituel des séances de l’Assemblée nationale comme il en a pour les Jeux olympiques, les Chevaliers du Tastevin ou la franc-maçonnerie. Toutefois les rites pratiqués par les religions, quelles qu’elles soient, ont un côté paradoxal : ils prétendent satisfaire une divinité qui est d’une autre nature que la nôtre mais la méthode employée est toujours marquée par les habitudes humaines les plus terre à terre. On offre aux dieux un spectacle, des parfums, de la nourriture, des animaux sans se demander ce que lesdits dieux peuvent bien en penser.
L’explication de ces pratiques est évidemment à rechercher dans leur caractère symbolique : les rites de purification, tels que les ablutions des musulmans avant leur prière par exemple, sont le symbole de la pureté morale que requiert l’approche de Dieu.
On pourrait pourtant imaginer une vie spirituelle plus intériorisée d’où les rites extérieurs seraient absents. Ainsi le protestantisme, agacé par les excès du catholicisme trop démonstratif de la Renaissance, a-t-il rendu ses cérémonies très austères, sans toutefois les supprimer. L’Islam aussi, très attaché à la pratique sociale de la religion, a voulu la débarrasser de tout ce qui pouvait être interprété comme une idolâtrie : toute représentation de Dieu est interdite sauf celle, purement symbolique de l’écriture de Son nom. On peut se demander quelle différence il y a au fond entre une représentation artistique de la majesté de Dieu, par exemple par une peinture abstraite, et son expression par une écriture calligraphiée, mais ce sont les règles de l’Islam.
On voit que les différents rites religieux sont profondément marqués par les traditions. La plupart des religions sont attachées à leurs rites d’une façon qui peut, de l’extérieur, paraître bien excessive et qui contribue, en tout cas, à donner une image traditionaliste, sinon passéiste, aux
l’homme, religieux ou non, la création d’un rite : le bizutage est un rite d’entrée dans les grandes écoles et la soutenance de thèse est une sorte de rite de la Sorbonne. Les rites interviennent aussi dans la sexualité : on édicté des règles et des tabous qui sont la marque d’une culture autant que d’une religion.
La caractéristique commune aux différents rites est qu’ils prétendent donner à des gestes une efficacité transcendantale ou surnaturelle. Dans les religions primitives, cette efficacité est attribuée au geste lui-même, pour peu qu’il soit exécuté selon les règles et par une personne compétente ou initiée : le prêtre, sorcier ou magicien, a le pouvoir de contraindre les esprits à se plier à sa volonté… Dans le catholicisme ou l’orthodoxie, c’est Dieu qui donne aux gestes du prêtre l’efficacité surnaturelle des sacrements. Dans de nombreuses autres religions, les gestes rituels ont surtout une valeur symbolique, même s’ils sont explicitement exigés par la loi divine comme marque d’obéissance
Il arrive aussi que les rites perdent progressivement leur caractère sacré ; le culte devient une occasion de rencontre, parfois même une habitude sociologique ; il n’exprime plus que l’appartenance à une communauté, à une culture. Cependant, l’enseignement des mythes, les rites d’initiation, de mariage ou de funérailles subsistent longtemps après la disparition de leur contenu sacré. Combien de chrétiens d’Europe exigent le baptême, le mariage à l’église et l’enterrement religieux alors que leur vie s’est vidée de toute préoccupation métaphysique ? Combien de musulmans pratiquent le ramadan pour faire comme les autres, par pression sociale ?
Le respect des coutumes et des tabous religieux est d’autant plus facile que la société est repliée sur elle-même. En revanche, le contact avec une culture étrangère peut lézarder cet édifice traditionnel et parfois le faire écrouler : par exemple, les scarifications faciales pratiquées par de nombreuses ethnies africaines animistes ont pratiquement dis¬paru depuis les années 1950 ; il en est de même du tatouage du visage des femmes dans la société berbère du Maghreb. D’autres pratiques, comme l’excision des jeunes filles et, surtout, la circoncision ont la vie plus dure.
D’une façon générale, les rites apparaissent comme le carrefour privilégié où se rencontrent la culture et la religion : ils sont la marque d’une société et contiennent une bonne dose de folklore. Rien d’étonnant donc
à ce que les rites religieux soient « récupérés » par la culture, ce qui a pour effet de confiner chaque religion à l’intérieur d’une culture.
Toutes les religions sont confrontées à ce problème. Ce n’est que dans la mesure où une religion a la force d’âme de relativiser la valeur de ses rites qu’elle a des chances d’avoir un destin universel. D’ailleurs quelle importance y a-t-il à prier Dieu assis en tailleur ou agenouillé sur une chaise basse ? Pourquoi Dieu, qui a créé les hommes si différents,
privilégerait-Il une culture ou une langue ? La religion qui aurait l’humilité de relativiser l’accessoire au profit du spirituel fera progresser l’humanité d’un grand pas vers Dieu. C’est la grande question de « l’inculturation » que l’Eglise catholique se pose depuis le concile de Vatican II mais qui ne semble pas autant préoccuper les religions non chrétiennes.
Puisque les rites ont un contenu culturel important, procéder à leur examen détaillé relèverait autant de l’ethnologie que de l’étude des religions. Nous ne nous attarderons donc pas davantage sur leur description que nous n’avons pris en compte les avatars politiques des diverses religions. Cependant, pour donner au lecteur une idée de la complexité étonnante de certains rites, nous présenterons l’exemple des rites alimentaires et du jeûne qui tiennent une grande place dans la plupart des religions.