L'épanouissement de l'homme
La religion veut ouvrir l’homme aux dimensions de Dieu en le faisant participer à l’infini de Son amour et à l’éternité de Son existence.
Pour qui adhère véritablement à de telles croyances, il est impossible d’imaginer un épanouissement plus complet.
On peut spéculer indéfiniment sur ce que sera le contact de notre être, par essence limité, avec ce Dieu dont la nature nous est, pour le moment inaccessible : cet exercice est inutile puisque la seule certitude est que nous ignorons ce qui nous attend. A cet égard, la notion bouddhiste de nirvana est plus prudente et raisonnable que les images folkloriques du paradis que donnent parfois le christianisme ou l’Islam, mais il serait toutefois peu satisfaisant pour l’esprit que l’union à Dieu, finalité de notre existence, soit comparable à la disparition de la goutte d’eau dans l’océan.
Si l’homme est appelé à Dieu pour s’y épanouir, la logique que Dieu a mise en nous ne peut admettre que c’est en nous abrutissant ou en nous avilissant sur cette terre que nous prendrons le chemin du Créateur. Si c’est bien nous qui sommes appelés à rencontrer Dieu, une certaine continuité de notre être exige que dès cette terre nous nous préparions à cette apothéose. Ainsi paraît suspecte toute religion qui rend l’homme étriqué, qui favorise ses dispositions naturelles à se refermer sur lui-même, qui brime directement ou indirectement ce que nous avons de positif en nous tel que nos qualités d’amour, d’intelligence ou d’enthousiasme.
Il serait en effet contradictoire avec le concept d’une élévation continue vers Dieu que s’effacent sans lendemain les qualités de notre personnalité- Cependant ces qualités doivent s’orienter progressivement vers la vie en pieu, ce qui implique qu’elles se décantent et changent, dans certains cas, de point d’application.
Sous cet angle, la notion bouddhiste et hindouiste du « karma » et le thème judéo-chrétien et musulman du jugement de nos actes par Dieu se rejoignent : nous sommes responsables de notre avenir et nous le construisons un peu chaque jour.
Mais, encore une fois, la nature de l’épanouissement qui nous attend nous échappe complètement. Ainsi peu importe que les opinions des religions divergent à ce sujet, autant que l’opinion des fidèles à l’intérieur d’une religion, l’essentiel est de faire confiance à l’amour de Dieu. Cette confiance n’a nullement besoin d’une crispation frileuse et obsessionnelle sur la morale et la pratique religieuse : l’une et l’autre sont la conséquence logique d’une attitude d’amour ; il convient donc de se méfier des religions qui placent la charrue avant les bœufs en édictant des préceptes avant de parler de l’amour qui les fonde et les justifie.
Évidemment, l’épanouissement de l’homme en général implique, en particulier, celui de la femme. Pourtant les religions ont trop souvent la faiblesse d’accepter les contraintes des cultures sur lesquelles elles sont greffées et de ne pas réagir bien vigoureusement contre une pression sociale défavorable aux femmes. Parfois même la religion accentue cette pression ou impose des contraintes supplémentaires.
D’une façon quasi générale, les religions, à l’exception de certaines variantes du protestantisme, marquent une nette discrimination entre les sexes et réservent la plénitude du sacerdoce aux hommes Rappelons que, dans l’hindouisme, seuls des hommes, de caste brahmane, peuvent célébrer le culte. Bouddha, quant à lui, faisait preuve de méfiance envers les femmes qui ont le pouvoir de pervertir les hommes ; il n’a accepté qu’avec réticence que des femmes deviennent bonzesses, mais avec une nuance d’infériorité.
Le Coran distingue de façon tranchée les rôles de l’homme et de la femme dans la société ; il conçoit leurs rapports en termes de protection de la femme par l’homme, ce qui conduit à des situations non égalitaires : l’homme peut répudier sa femme mais pas l’inverse ; l’homme peut avoir quatre femmes légitimes mais une femme ne peut avoir quatre maris, etc.
En ce qui concerne Jésus-Christ, on ne peut manquer d’être frappé par le contraste entre son attitude très « moderne » envers les femmes, avec lesquelles il discute aussi librement qu’avec les hommes, et le choix de douze hommes comme apôtres : on a nettement l’impression que la société de l’époque rendait impossible et inefficace l’éventualité d’un autre choix. Peut-être que dans une société moins outrageusement « macho », il aurait souhaité une participation plus grande des femmes aux responsabilités de l’apostolat. Toujours est-il que la plupart des Eglises chrétiennes ont tiré de ce passé lointain la tradition de ne confier le sacerdoce qu’à des hommes.
Heureusement, le sacerdoce n’est pas un avantage mais un service parmi d’autres et les femmes ne se privent pas d’avoir d’autres rôles éminents dans l’Eglise : les saintes sont aussi nombreuses que les saints et, de nos jours, le rayonnement de mère Theresa de Calcutta ou de soeur Emmanuelle des bidonvilles du Caire vaut bien celui des hommes les plus totalement consacrés à Dieu. Quant à la Vierge Marie, en acceptant de porter l’Enfant-Dieu auquel croient les chrétiens, elle a joué un rôle sacerdotal sans égal dans l’Histoire. C’est pourquoi on peut se demander si ce n’est pas la société plus que l’Eglise qui n’est pas encore mûre pour l’abolition de toute discrimination en matière de fonction religieuse : l’ordination des femmes qui semble acceptable dans une bonne partie de l’Europe soulèverait vraisemblablement de vives réactions dans les sociétés de type méditerranéen, latino-américain ou philippin. Le souci de l’Eglise de ne pas se créer inutilement de problème et d’adopter la même règle dans le monde entier peut expliquer sa position apparemment peu féministe. Toujours est-il qu’il faudrait une certaine dose de mauvaise foi pour soutenir que l’épanouissement de la femme passe obligatoirement par son accès à la prêtrise. Il est plus équitable de constater que ce sont les pays de culture chrétienne qui ont, assez naturellement, vu germer en leur sein les mouvements les plus favorables à la condition féminine.