Les castes
En 1955, une loi contre la discrimination raciale et religieuse, constamment renforcée depuis, abolit les barrières sociales et administratives résultant du système des castes en Inde.
Contrairement à ce qu’on pense généralement, ce système n’est pas indissociable de l’hindouisme et de nombreux mouvements religieux qui en sont issus rejettent la notion de caste.
Dans la religion védique des anciens Aryens, les sacrifices d’animaux comportaient trois fonctions : fournir la bête, la tuer et célébrer la cérémonie. Il s’agissait de fonctions sociales entre lesquelles n’existaient pas de cloisons étanches. Ces fonctions se retrouvent dans les trois premières castes :
– les brahmanes-prêtres ;
– les kshatriyas-guerriers ;
– les vaishyas, agriculteurs ou artisans.
Plus tard, à l’époque des grandes épopées, le système se rigidifia tandis que les peuples envahis constituaient tout naturellement une nouvelle caste de serviteurs, les shudras. Encore faut-il ajouter que ceux dont la profession est rituellement impure sont exclus de toute caste, ce sont les
« intouchables ».
On appartient à une caste par la naissance et on y reste jusqu’à la mort. Ce système est extrêmement rigide. Seule la réincarnation permet de monter ou de descendre cette échelle sociale.
Au cours des siècles, la situation s’est compliquée à l’extrême, chaque caste ayant donné naissance à des sous-castes, au nombre de plusieurs milliers, qui correspondent généralement à l’exercice d’un métier. Paradoxalement, même les sans castes se sont ainsi subdivisés en similicastes.
On dispose difficilement de données sur les effectifs des différentes castes. Les sources les plus sérieuses donnent la répartition suivante des hindouistes ou assimilés :
– brahmanes 6 % ;
– kshatriyas 6 % ;
– vaishyas 6 % ;
– shudras 60 % ;
-hors-castes 15 % (intouchables) ;
-membres de tribus 7 % (non-classés).
Le système des castes reste encore très vivant, par habitude mais aussi pour des raisons religieuses : seuls les brahmanes peuvent devenir prêtres et les offrandes des fidèles au temple dépendent de la caste à laquelle ils appartiennent. La caste est généralement identifiée par le nom du fidèle que le prêtre demande avant de choisir l’offrande.
Jadis l’appartenance à une caste fixait très précisément ce que chacun devait et pouvait faire. Par exemple, un brahmane ne pouvait absorber une nourriture préparée par quelqu’un de caste inférieure, a fortiori par un sans-caste. Il y avait donc des restaurants pour brahmanes, à cuisiniers brahmanes et ainsi de suite. Cet exemple montre au passage que les brahmanes n’étaient pas tous prêtres ni d’ailleurs les kshatriyas guerriers. Ainsi Bouddha était de caste kshatriya. C’est la pureté rituelle du métier pratiqué qui caractérise une caste.
Cette rigueur s’est un peu assouplie mais il est toujours choquant de faire ce qui est du ressort d’une autre caste ; il vaut mieux faire médiocrement son propre devoir que parfaitement le devoir d’un autre. On s’explique ainsi la multiplicité du personnel traditionnellement affecté à une entreprise, quelle qu’elle soit. A la limite, ce ne peut être la même personne qui enlève les cendriers et qui les nettoie.
Toutefois le système des castes s’est figé dans un état ancien de la société et il n’y a pas de règle applicable pour les métiers modernes. L’Inde vit aujourd’hui un système composite où les castes jouent un rôle déterminant dans certains cas et n’ont plus grande importance dans d’autres situations. Le changement apporté par la loi de 1955 a surtout été appréciable pour les intouchables qui étaient, jusque-là, véritablement exclus de toute promotion sociale. Gandhi, qui les appelait « harijan » (« enfants de Dieu »), milita vigoureusement en leur faveur et des quotas furent institués pour leur ouvrir l’accès à des professions du service public. On en arrive aujourd’hui à des cas extrêmes et paradoxaux, inimaginables il y a quelques années, où des hindous de haute caste s’efforcent de dissimuler leur origine pour obtenir ces emplois réservés aux défavorisés.
Ces indications ne donnent évidemment qu’une idée très sommaire de la complexité du système des castes. D’ailleurs les langues de l’Inde emploient deux mots distincts selon que la caste est considérée sous son aspect religieux ou en fonction du lignage familial. Dans le premier cas, on parle de vama, littéralement « couleur », et dans l’autre dejati, « naissance ». C’est cette distinction qui explique le paradoxe que les sans-castes soient divisés en castes : la notion de jati est plus vaste et plus complexe que celle de varna.
Soulignons le caractère symbolique, et en aucun cas raciste, de la notion de couleur : Vishnou, par exemple, est généralement représenté avec un visage bleu, tandis que le rouge représente le soleil.
culturel : une personne simple imagine le dieu avec des passions humaines et trouve naturel qu’il ait une épouse et des enfants, tous doués, bien entendu, de pouvoirs surnaturels. En revanche, un hindou d’éducation supérieure et habitué à l’abstraction n’attache aux représentations des dieux qu’une signification symbolique : si un dieu a plusieurs bras, c’est pour figurer sa capacité d’action supérieure à celle de l’homme, tout simplement.
De même, l’épouse doit être interprétée comme une autre facette du dieu qui présente des qualités complémentaires de son aspect mâle. Ceci est très voisin des conceptions taoïstes du yin et du yang : on ne peut concevoir un principe supérieur tel qu’un dieu sans qu’il ait une forme de vie parfaite, associant les complémentarités que présentent, en ce monde, l’homme et la femme. Pour la même raison, le caractère « complet » d’un dieu rend naturel qu’il ait des enfants, c’est-à-dire qu’il se prolonge sous des formes apparemment distinctes mais qui sont encore le dieu lui-même.
Il est exclu de bien comprendre le panthéon 1 hindouiste si l’on n’entre pas dans ce jeu des symboles où l’apparence physique du dieu, sa couleur, ses gestes, ont une signification précise, liée à la culture et à la mythologie hindoues. Nous nous comportons en barbares incultes quand nous n’y voyons que de l’art kitsch ou du délire de primitifs tourmentés.
De la même façon, les trois dieux de la trimurti sont, pour beaucoup d’hindous, trois faces distinctes du même Dieu, ce qui est assez près de la notion chrétienne de la Trinité. Les mêmes hindouistes imaginent aisément aussi que la religion a trois faces, l’hindouisme, l’Islam et le christianisme, le bouddhisme étant, pour eux, une branche de l’hindouisme. Ils jugent donc indifférent d’avoir accès au Dieu unique par l’une ou l’autre de ces religions, de la même façon qu’en adorant Shiva ou Vishnou ils adorent le même principe divin unique sous la forme qui convient le mieux à leur sensibilité spirituelle.