Les différentes formes du bouddhisme
Il est inévitable que la doctrine de Bouddha ait pris différentes colorations en imprégnant des peuples aussi divers que ceux de l’Inde, de la Chine, du Japon, du Tibet ou de l’Asie du Sud-Est.
Par son origine géographique aussi bien que par la théorie des réincarnations, le bouddhisme se rattache à la culture brahmanique de l’Inde. Cependant les Indiens, profondément religieux et habitués à vivre dans une véritable jungle de divinités, n’ont pas supporté plus de quelques siècles la doctrine bouddhiste qui se passe fort bien de dieux et se complaît
trop souvent dans un renoncement à l’existence peu compatible avec leur exubérante vitalité.
La forme initiale du bouddhisme, sévère et élitiste, est encore celle pratiquée au Sri Lanka, en Thaïlande, au Laos, au Cambodge et en Birmanie. C’est ce qu’on appelle le Theravada, ce qui signifie « doctrine des anciens ». Il est aussi connu sous le nom de « Petit Véhicule ».
Dès le début de l’ère chrétienne, une interprétation plus large et plus humaine du bouddhisme se fait jour qui complète la tradition écrite par des enseignements transmis oralement par Bouddha à ses plus fidèles disciples : c’est le « Grand Véhicule » ou Mahayana.
Enfin, vers le VII siècle, le courant Mahayana donne naissance à la troisième forme du bouddhisme. C’est le tantrisme qui intègre dans le bouddhisme des pratiques magiques et mystiques. On appelle aussi ce courant Vajrayana, « Véhicule de l’éclair », tant il est supposé raccourcir le pénible trajet vers le nirvana. Une expression importante du bouddhisme tantrique est le lamaïsme tibétain.
Pour faire une image et tenter une comparaison bien imparfaite avec le christianisme, le tantrisme évoque l’orthodoxie par son mysticisme, le Grand Véhicule le catholicisme par le culte des saints et le Petit Véhicule le protestantisme par son côté plus puritain.
Toutes ces formes du bouddhisme respectent l’enseignement du Bouddha mais, comme nous allons le voir, leurs conceptions des moyens d’accès au nirvana sont profondément différentes.
Le bouddhisme theravada
C’est le bouddhisme originel dans toute sa rigueur et sa pureté. Selon ses préceptes, seuls les moines, et par protection, les nonnes, peuvent espérer atteindre le nirvana grâce à leur vie de renoncement. C’est pourquoi les moines sont si nombreux dans les pays où règne le Theravada2. Pour les autres, l’accès au nirvana devra attendre une prochaine réincarnation, en admettant que leurs mérites leur permettent de revivre dans la peau d’un moine.
Cette doctrine austère du Theravada satisfait mal, à vrai dire, deux aspirations profondes de l’homme : le goût de la vie et la religiosité.
En ce qui concerne la joie de vivre dont les Asiatiques ne manquent pas, on trouve toujours des accommodements associant l’idéal de
renoncement et des pratiques plus terre à terre. Quant à la religiosité, un pays comme la Birmanie la satisfait grâce au culte des Nats, sorte de génies bienfaisants ou pittoresques, parfois des mortels divinisés, auxquels on rend publiquement hommage dans les pagodes. Mais cette religion populaire est, en bonne logique, en contradiction avec la pureté du bouddhisme. Aussi, dès le règne de l’empereur Ashoka, apparut une interprétation différente du bouddhisme. Il en résulta une véritable scission, d’ailleurs toute pacifique, d’où est né le bouddhisme Mahayana.
Le bouddhisme du grand Vehicule(Mahayana)
L’innovation majeure apportée par le Grand Véhicule est la possibilité, pour qui atteint l’illumination, de ne pas accéder aussitôt au nirvana pour se consacrer, par pure grandeur d’âme, à l’éducation et au salut des autres hommes. Ceux qui renoncent ainsi provisoirement à leur libération sont de véritables saints auxquels le peuple est en droit de vouer un culte. Le salut devient ainsi une affaire collective, ce qui constitue une explication de l’appellation « Grand Véhicule », par opposition à celle de « Petit Véhicule » donnée par dérision au bouddhisme Theravada qui, lui, ne peut conduire les hommes au salut qu’individuellement.
Bien que toutes les formes de bouddhisme reposent sur la même doctrine, la pratique du Mahayana se différencie par ses préoccupations métaphysiques et la véritable religiosité vouée par les fidèles à Bouddha et aux bodisattvas Ces derniers sont fort mal identifiés, ils sont d’ailleurs représentés de façon quasiment identique à Bouddha lui-même ; c’est pourquoi on trouve souvent des temples aux « mille bouddhas » dont les innombrables statues, apparemment semblables, ne se distinguent que par leur nom.
Rien n’interdit d’inclure parmi les bodhisattvas des « divinités » diverses dont les rapports avec le Bouddha seraient bien difficiles à établir. Ainsi en est-il d’Amitabha, célèbre au Japon sous le nom d’Amida, bodhisattva mythique qui règne sur le très taoïste « paradis de l’ouest ». Selon la secte bouddhiste chinoise de la « Terre pure » (jingtu), on peut s’assurer d’une vie éternelle en croyant à ce personnage. Cette position contredit l’enseignement bouddhiste originel qui n’évoque nullement cette sorte de paradis. C’est vraisemblablement aussi sous l’influence du taoïsme que le bouddhisme chinois modela ce qui est devenu le zen2 : le rejet de tout
raisonnement ou de toute doctrine fait partie de ses principes, puisque seule compte la prise de conscience de l’inanité des choses.
On mesure la distance qui sépare les différentes expressions du bouddhisme, mais la plus originale est, à coup sûr, celle du bouddhisme tantrique.
Le bouddhisme tantrique
Appelé également Vajrayana ou « Véhicule du Diamant », le bouddhisme tantrique se relie à une variante de l’hindouisme adorant la forme féminine des divinités, shakti, qui symbolise l’énergie cosmique1.
C’est peut-être l’une des raisons de son implantation au Tibet dont le système social est matriarcal, admettant même la polyandrie.
Le tantrisme est parfois aussi rattaché au bouddhisme Mahayana parce qu’il admet comme lui l’existence des bodhisattvas. Toutefois le tantrisme présente des caractères originaux qui justifient d’en faire la troisième branche du bouddhisme.
C’est avant tout un système ésotérique, c’est-à-dire un enseignement secret auquel initient des maîtres spirituels. Il repose sur l’observation de rites, divers et compliqués, qui peuvent permettre un accès instantané, rapide comme la foudre, «vajra»2, à la libération du nirvana.
Parmi ces rites, le plus connu est la récitation à satiété de formules sacrées, appelées mantras ; ce sont ces textes que contiennent les fameux moulins à prière. L’usage du yoga, de différentes techni¬ques de magie font également partie des pratiques tantriques dans lesquelles le symbolisme des formes et des couleurs tient une grande place.
Au contact des religions animistes du Tibet, le culte « bon-po », le bouddhisme a pris une forme particulière, le lamaïsme. Il s’agit d’une organisation théocratique, ou plutôt cléricale de la société où les moines, les lamas, détiennent le pouvoir temporel et spirituel.
Historiquement, on distingue deux grands mouvements, les « Bonnets rouges » qui tolèrent le mariage des lamas et, en réaction contre un
certain laxisme, les « Bonnets jaunes » ( Gelugpa, « ceux de la méthode de vertu », en tibétain). Ce dernier mouvement est dirigé par le dalaï-lama (le «lama-océan»), exilé en 1959 à la suite de l’occupation chinoise, tandis que le Panchen-lama (le « lama-joyau ») préside aux destinées des « Bonnets rouges », minoritaires.
Ces chefs spirituels sont des réincarnations de bodhisattvas : Avaloki- teshvara pour le premier, Amitabha pour le second.
A leur mort, ils revivent dans un jeune enfant que les lamas repèrent par sa capacité à identifier les objets familiers du défunt. Selon les croyances tibétaines, la réincarnation dans cet enfant se produit 49 jours après la mort du lama ; c’est le délai nécessaire pour que la conscience du défunt perde toute possibilité de communication avec le monde.
De nombreux autres lamas se réincarnent de la sorte. Un jeune enfant espagnol de parents convertis au bouddhisme a ainsi été choisi en 1987.
Le lamaïsme s’est jadis répandu profondément en Chine et en Mongolie. Il reste aujourd’hui la religion par excellence des Tibétains et c’est au Bhoutan, où il est reconnu officiellement, qu’il est le plus pur et le moins menacé.
Les manifestations les plus spectaculaires et les plus originales du lamaïsme sont les cérémonies relatives à la mort2 et de nombreuses fêtes évoquant des événements historiques ou mythiques. Au cours de ces fêtes hautes en couleurs, les lamas exécutent des danses riches de symboles : ils tournent lentement sur eux-mêmes pour écraser le Mal, brandissent une épée pour trancher les chaînes de l’ignorance et portent des masques de mort pour rappeler que la vie n’est qu’illusion.
Le lamaïsme est implanté en France. Un temple a été ouvert en 1987 près d’Autun, en Bourgogne.
Il existe bien d’autres formes de bouddhisme ; nous présenterons ultérieurement les « nouvelles religions » japonaises dont l’importance est considérable et sont, pour l’essentiel, inspirées par le bouddhisme.
Le texte ci-dessous présente le mouvement vietnamien Hoa Hao à titre d’illustration de ce que peuvent être les « sectes » bouddhistes.