Les groupes de divinités féminines
Les cinq Dâkinî (tib. Mka-gro-ma ; skt. Khechara)
Ce sont des divinités féminines d’un rang inférieur du panthéon tantrique, lesquelles accompagnent souvent d’autres divinités, représentant peut-être la puissance des invocations à celles-ci. Elles sont représentées dans des attitudes dansantes, tenant en main un khatvânga ou bâton magique. Elles sont très nombreuses. Parmi elles, on distingue un groupe de cinq qui correspondrait à celui des Cinq Bouddha et Bodhisattva :
- Bouddha-Dâkinî, tenant un chakra à la main. Une de ses formes tibétaines, appelée Na-romkha Spyod-ma, est devenue la patronne de la secte des Sa-skya. Elle est représentée comme une acolyte de Vajra-varâhî, dansant, son pied gauche écrasant deux personnages (bleu et rouge), tenant entre ses mains un couperet et une calotte crânienne. Elle est ornée d’une guirlande de crânes et tient également un khat-vânga. Elle est parfois, en sculpture principalement, représentée nue.
- Vajradâkini tient à la main un vajra et appartient au cycle de Hevajra. Elle danse, et son pied gauche écrase un cadavre (Nairriti). Elle tient un vajra, une calotte crânienne et un khatvânga sous le bras.
- Rathadâkinî tient un joyau (chintâmani) à la main. Padmadâkinî tient un lotus. Dâkinî, gravure tibétaine
- Vishvadâkinî tient un double vajra.
En dehors de ce groupe, d’autres Dâkinî existent, parmi lesquelles Karmadâkinî (tenant un glaive à la main), et Simhavaktrâ, une Dâkinî acolyte de Lha-mo au Tibet et qui est généralement représentée avec une tête de lion blanche. Elle est parfois accompagnée de deux autres personnages, l’un à tête de lion (la sorcière Vyâghravaktrâ) et l’autre à tête d’ours (la sorcière Rikshavaktrâ).
Au Japon, les Dâkinî ne sont généralement pas vénérées ni représentées, sauf peut-être l’une d’entre elles appelée Dakini-ten. Selon une légende, le moine Kangon, à son retour d’un voyage en Chine, à la suite d’un rêve dans lequel une démone Dâkinî lui était apparue, réalisa une statue de cette divinité montée sur un renard. En 1441, le moine Gieki aurait emporté cette statue à Mikawa où il aurait fait édifier pour elle le temple du Myôgon-ji. Par la suite, on associa cette Dâkinî, appelée Dakini-ten, au renard (Kitsune) qui lui servait de messager, et on l’identifia même avec cet animal qui déjà jouait un rôle important en connection avec le Kami shintô des céréales, Inari-Myôjin.
Celui-ci fut « bouddhisé » sous le nom d’Inari-ten. Son culte semble s’être popularisé sous l’impulsion du ministre Tanuma Okitsugu (1719- 1788) qui en répandit le culte, chez les Samurai principalement. La croyance populaire l’associa alors avec Inari Myôjin (celui-ci parfois considéré comme étant l’ancienne divinité des moissons Ta-Ukanoma- no-Mitama no Kami) et avec son renard. Inari Myôjin étant désormais appelé Inari-ten, la confusion s’établit définitivement. On le représenta sous l’aspect d’un vieillard debout, tenant une gerbe d’épis de riz, des renards couchés à ses pieds. Il est également représenté en femme (bien qu’exceptionnellement) et se nomme alors soit Uganoma no Kami, soit Miketsu no Kami, soit encore Tome-Miketsu-gami, tome étant un ancien nom du renard au Japon.
Au Tibet, on classe parfois dans le groupe des Dâkinî huit divi¬nités féminines, aussi appelées « les huit mères », probablement des « bouddhisations » de divinités appartenant au chamanisme tibétain ancien (Bon). Elles sont généralement représentées comme de belles jeunes femmes. Ce sont (selon A. Waddell, op. cit.) :
- Lâsyâ (tib. Sgeg-mo-ma), de couleur blanche, tenant un miroir dans laquelle elle se regarde.
- Mâlâ (tib. Prem-ba-ma), de couleur jaune et tenant un rosaire dans les mains.
- Gîtâ (tib. Glug-ma), de couleur rouge, tenant un instrument de musique.
- Pushpâ (tib. Me-tog-ma), de couleur rouge et tenant une fleur.
- Dhupâ (tib. Bdug-spôs-ma), de couleur jaune, tenant une cassolette à encens.
- Dîpâ (tib. Snang-gsal-ma), de couleur rouge et tenant une lampe.
- Gandhâ (tib. Dri-cha-ma), de couleur verte, tenant un vase à parfum (en forme de coquillage).
Les cinq Râksha
Ce sont, au Tibet, les formes féminines des « cinq protectrices » ou, au Népal, les « cinq ombrelles » dont le chef serait Mahâmâyûrî. Ces cinq divinités correspondent aux horizons et, bien entendu, aux Jina. Elles seraient (selon A. Foucher, Iconographie bouddhique) :
- Au centre, Mahâsâhasrapramardanî, protectrice des tremblements de terre et des tempêtes. Elle est blanche, avec six bras (glaive, corde, arc et flèche, hache). Elle correspond à Vairochana dont une petite image peut se trouver dans sa coiffure.
- Au sud, Mahâpratisarâ (jap. Daizuigu Bosatsu), qui protège contre les dangers corporels. Elle est jaune et a trois ou quatre visages, avec huit ou dix bras. Elle tient une ombrelle et correspond à Ratnasam- bhava (voir à Bodhisattva).
- À l’ouest, Mahâsîtavatî, qui protège contre les animaux féroces et les plantes vénéneuses, est rouge. Elle a une tête et quatre bras dont l’un serre un livre sur sa poitrine. Elle correspond à Amitâbha.
- Au nord, Mahâmayûrî, qui protège contre les morsures de serpents, de couleur verte, a trois visages et huit bras. Son emblème principal est une plume de paon. Elle correspond à Amoghasiddhi.
Les Shakti
Elles sont presque aussi nombreuses que les divinités masculines dont elles expriment l’énergie active. Elles sont souvent représentées, surtout au Tibet et au Népal, en embrassement étroit (tib. Yab-yum) avec la divinité qu’elles complètent. Elles sont généralement, lorsqu’elles ne sont pas isolées de leur parèdre, vêtues comme des Bodhisattva, portant une couronne à cinq feuilles. Lorsqu’elles sont isolées, elles sont souvent assises en aise royale et ont les mains en Vara-mudrâ (main droite) et Vitarka-mudrâ (main gauche). Cependant, il existe ici aussi un groupe de cinq Shakti qui correspondent aux Cinq Jina, surtout au Tibet et au Népal :
- Au centre, Vajradhârîshvarî correspond à Vairochana. Elle a les mains en Dharmachakra-mudrâ, et est de couleur blanche. Ses symboles sont le chintamâni et le triangle.
- À l’est, Lochanâ correspond à Akshobhya. Elle a les mains en Vajra-Vitarka-mudrâ. Elle est grise. Ses symboles sont des vajra posés verticalement sur des fleurs de lotus.
- Au sud, Mâmakî correspond à Ratnasambhava. Elle est jaune pâle. Ses symboles sont des plumes de paon.
- A l’ouest, Pândarâ correspond à Amitâbha. Elle est de couleur rose et tient des lotus bleus (utpâla).
- Au nord, Târâ correspond à Amoghasiddhi. Elle est de couleur vert clair et tient des doubles vajra sur des fleurs de lotus.
Lorsque ces Shakti sont représentées en Yab-yum, elles peuvent tenir une coupe de la main gauche élevée à la hauteur de leur parèdre, leur bras droit enserrant le cou de leur divinité. Il est évident que la plupart des divinités dites « masculines » possèdent également leur Shakti. Ces dernières sont généralement représentées avec les mêmes attributs que ceux de leur contrepartie et ont le corps de la même couleur, bien que d’une teinte plus claire. On ne connaît pas tous leurs noms qui souvent varient. C’est ainsi que les divinités masculines farouches ont, au Tibet tout au moins, chacune leur Shakti particulière :
- Vishvamâtâ (de couleur dorée) pour Kâlachakra ;
- Nairâtmâ (ou bien Vajravarâhî, ou encore Vajradhârîsvarî) pour Hevajra ;
- Vajravarâhî (de couleur rouge) pour Samvara, etc.
Shrî (lakshmî ; jap. Kichijô-ten ; tib. Lha-mo, Dpal-ldan Lha-mo)
Cette divinité hindoue, aussi appelée Mahâshrî ou Shrî Mahâdevî, l’épouse de Vishnu, ne semble pas avoir été adoptée par le bouddhisme des écoles du Nord, sauf par les sectes japonaises, où elle fit très tôt son apparition sous les noms de Kichijô-ten et de Kudoku-ten, en tant que déesse de la Bonne Fortune, de la Beauté et du Mérite. Son rôle est exalté dans le Konkômyô Saishô-ô Kyô. Vers le XV ou le XVIe siècle, elle se serait trouvée supplantée dans l’affection des fidèles par Benzai-ten (Sarasvatî) . Avant cette époque, on la représentait comme une très belle femme d’âge mûr, richement habillée à la chinoise (époque des Tang), avec une longue robe parée de bijoux. Ses cheveux bien peignés tombent en lourdes mèches sur ses épaules. Un diadème de pierreries sur lequel se trouve l’image d’un phénix (jap. hôo) et une roue de la Loi (chakra) lui enserre la tête derrière laquelle se tient un halo solaire. Elle a la main droite en Varada-mudrâ ou en Kichijô-in (mudrâ de Kichijô) et tient à la main gauche un lotus ou un joyau.
Kichijô-ten remplace parfois le dieu Fukurokuju dans le groupe des sept divinités du bonheur. Elle n’est plus vénérée, Benzai-ten ayant pris ses fidèles, ses fonctions et ses attributs. Au Tibet cependant, cet aspect de la déesse hindoue Lakshmî est considéré comme protecteur de la secte des Dge-lugs-pa et du monastère de Bkra-shis.