Les Hoa Hao
Cette forme du bouddhisme tire son nom du village de son fondateur, Huynh Phu So, Vietnamien né en 1919 d’un paysan catholique. En 1939, il eut une crise d’extrême surexcitation à la suite de laquelle sa santé maladive s’améliora ; il décida alors de prêcher une nouvelle religion.
Les principes en sont la piété filiale, l’amour de la patrie, l’amour du prochain, le respect du bouddhisme Hoa Hao. Quant au fondateur, il se dit l’incarnation de plusieurs héros historiques vietnamiens, ce qui lui confère également vocation à un rôle politique national.
Son nationalisme intransigeant lui valut des ennuis avec la puissance coloniale française, mais ce sont des communistes vietnamiens qui l’exécutèrent en 1947. Le mouvement ne s’est pas éteint pour autant, il reste vivant dans les populations rurales du delta du Mékong, quoique nullement favorisé par le pouvoir politique.
La pratique du bouddhisme
En toute rigueur, la voie tracée par Bouddha pour atteindre la libération du nirvana implique un détachement absolu que permet seulement la vie monastique. Il s’agit là d’une situation comparable à celle de l’hindouisme, dont le bouddhisme est issu, où seul un brahmane dont les actions ont été parfaites peut se libérer du cycle indéfini des réincarnations. La différence réside dans ce que le bouddhisme rejette le système des castes et que chacun peut se faire moine. A cet égard, on peut soutenir que le bouddhisme est un « élitisme clérical » dans lequel seuls les moines vivent complètement leur « religion ».
Le bouddhisme, qui connaît la nature humaine, n’a jamais eu l’optimisme de penser que tous ses fidèles pourraient souhaiter devenir
simultanément moines : une telle éventualité poserait un problème de survie à la société, ce qui, en bonne logique bouddhiste, est d’ailleurs sans importance.
C’est dire que la pratique du bouddhisme reste limitée et médiocre tant que le disciple n’a pas choisi de devenir moine ; pour l’écrasante majorité de la population bouddhiste qui n’entre pas au couvent, la pra¬tique consiste à respecter de son mieux la morale, à participer aux fêtes et à contribuer à la vie des moines par des offrandes. Une vie ainsi réglée permet d’espérer, pour la réincarnation suivante, de devenir moine et d’espérer enfin la libération.
Décrire la pratique du bouddhisme revient donc à décrire la vie des moines. Nous donnerons plus loin, dans le chapitre sur le clergé quelques indications générales sur les moines du Petit Véhicule et les lamas tibétains. Nous présenterons ici un exemple de vie monacale selon le zen japonais qui se rattache, en principe, au Grand Véhicule. Si l’on peut remarquer des analogies avec la vie monacale des couvents chrétiens, il ne s’agit que d’une coïncidence de forme (respect du supérieur, humilité, austérité…), car les moines bouddhistes ne s’adressent à aucun dieu et ne se préoccupent donc pas d’aider autrui par leurs prières.
La pratique du zen
C’est dans les monastères que le bouddhisme zen revêt sa forme la plus pure. Il en existe près de 60 au Japon. Ils sont généralement situés dans de paisibles sites de montagne ou au milieu d’espaces verts.
Ils se rattachent à deux écoles différentes : la plus importante est celle de Rinzai, plus dynamique ; l’autre, celle de Soto, est plus statique. Dans chaque école, le but du zen est de parvenir à l’illumination qu’a connue Bouddha lui-même. Cet objectif s’obtient précisément par le zen, ce qu’on traduit assez mal par méditation puisqu’il ne s’agit pas de penser mais de se vider l’esprit.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le sommeil n’est pas la meilleure façon d’y parvenir, aussi les moines sont-ils réveillés très tôt, entre 3 et 4 heures du matin, par une cloche ou un claquoir en bois.
L’exercice spirituel principal est la méditation assise, dite za-zen en japonais. La journée commence donc par une telle séance qui dure le temps de combustion d’un bâton d’encens, c’est-à-dire de 30 à 40 minutes.
Les moines s’asseyent sur un coussinet, jambes repliées en position de lotus, le dos bien droit. Ils alternent récitation à voix basse de prières les Sutras et période de silence. Dans l’école Rinzai, les moines se font face niais baissent les yeux vers le sol alors que, dans l’école Soto, ils font face au mur. Ceci constitue la différence la plus remarquable entre les deux rites.
Pendant la méditation, un des moines marche lentement en tenant un bâton verticalement devant lui. Ceux qui souhaitent être stimulés demandent de temps en temps à en recevoir un coup, ce qui est fait après un salut de part et d’autre. Ceux qui ont tendance à s’endormir reçoivent également du bâton.
Après le premier za-zen, vers 4 h 30 ou 5 h, on prend dans le plus grand silence le petit déjeuner. Trois bols de bois laqués noirs sont disposés devant chaque moine, l’un pour le « thé de prunes », sorte de décoction considérée comme une gâterie, l’autre pour une bouillie de riz si claire qu’on peut y voir s’y refléter le plafond. Le troisième bol, le plus grand, reçoit l’eau tiède qui sert au lavage des deux premiers mais, par humilité, les moines sont tenus de boire la moitié de l’eau de rinçage.
Dans la matinée, les moines se consacrent à la lecture des livres sacrés et aux tâches ménagères. Douze jours par mois, ceux qui ont obtenu l’autorisation personnelle du maître sortent en groupes pour aller mendier la nourriture de la communauté. Ils se coiffent d’un large chapeau de paille et portent un sac de toile sur l’abdomen pour recueillir les offrandes, généralement du riz ou de l’argent. Ils ne doivent rien solliciter et n’ont pas à remercier les donateurs : ceux-ci sont récompensés par les mérites acquis en pourvoyant aux besoins des moines.
Douze jours par mois également, le supérieur du couvent fait un sermon à ses disciples.
La vie monastique ne suit pas un rythme hebdomadaire : six jours du mois – les 4, 9, 14, 19, 24 et 29 – jouent le rôle du dimanche ; ces jours-là les moines prennent un bain et se rasent complètement la tête. Le 14 et le dernier jour du mois sont consacrés au repos, on peut faire la grasse matinée et on procède au nettoyage à fond du monastère.
Tous les jours, le déjeuner est pris à 11 heures ; il comprend 30 % de riz et 70 % de blé avec du potage de haricots et des légumes en saumure (tsukemono en japonais). L’après-midi est consacré aux travaux manuels jusqu’à 17 ou 18 heures. Au lieu de dîner, la règle stricte voulait que l’on se chauffe le ventre avec une brique tiédie au feu
(yaku seki,la « pierre- remède ») ; la rigueur du climat japonais a remplacé cette pratique par un repas léger après lequel il est permis de sortir jusqu’à 18 heures. De 18 à 21 heures a lieu une seconde séance de za-zen assortie, comme le matin également, d’un salut au maître (san-zen). Après cette séance de méditation, les moines se prosternent trois fois devant la statue de Man- jusri1, le bodhisattva instructeur de tous les bouddhas puis vont se coucher. Ajoutons qu’à certaines occasions et selon les couvents, se pratiquent d’autres rites qui ont pour but de marquer l’union du corps et de l’esprit, par exemple le tir à l’arc, qui est un exercice de yoga et non pas un sport :
chaque geste, toujours le même, est longuement étudié et l’objectif n’est pas tant d’atteindre la cible que de respecter parfaitement le cérémonial. De même la cérémonie du thé, venue de Chine avec le zen, est également une occasion de concentration intérieure qui doit tendre à la perfection.
Ce survol des différentes formes que prend le bouddhisme et des façons dont ses fidèles le pratique entre à quel point il est susceptible de s’adapter à des contextes culturels et à des religiosités variées.
C’est parce que le bouddhisme est moins une religion qu’une philosophie qu’il peut s’accommoder de cadres religieux aussi divers que celui du Tibet, imprégné de superstition et de magie, ou, à l’autre extrême, celui du Japon moderne. Nous verrons bientôt, à propos des nouvelles religions japonaises, comment le bouddhisme s’exprime dans ce contexte.
Cependant, si le bouddhisme réussit assez bien à répondre aux besoins spirituels de ses disciples, il n’a jamais été capable d’apporter de réponses intellectuellement satisfaisantes au sujet de la nature humaine ou des raisons de notre existence sur terre. Le bouddhisme reste une philosophie, c’est-à-dire une doctrine préconisant une morale, mais il n’est pas pour autant dépourvu de dogmes puisque la croyance aux réincarnations successives ne relève pas du rationnel.