Les sectes
La religion s’efforce, d’après son étymologie même, de relier l’homme à Dieu. Ce lien peut être purement personnel et l’on peut penser qu’il en est souvent ainsi. Cependant, ce qu’on appelle habituellement une religion présente un caractère d’institution organisée où l’intervention d’un homme, le fondateur de la religion, est prédominante.
Le lien de cet homme avec Dieu est privilégié :
– dans le judaïsme, Moïse a reçu directement les Tables de la Loi sur le mont Sinaï ;
– dans le christianisme, Jésus est à la fois Dieu et Homme ;
– dans l’Islam, Mahomet a reçu, comme Moïse, la parole de Dieu, mais par l’intermédiaire d’un ange.
Souvent le fondateur d’une religion ne se présente que comme réformateur d’une religion précédente. C’est le cas de Luther ou de Calvin.
Ce qui est souvent oublié, c’est l’incroyable quantité d’hommes – beaucoup moins de femmes – qui se sont crus ou se sont déclarés visités par Dieu ou chargés par lui d’une mission spéciale pour éclairer les autres hommes.
Il n’y a véritablement aucun moyen de vérifier quoi que ce soit dans ce domaine, ni la véracité de telles affirmations, ni la simple bonne foi du prophète en question.
Rien n’est plus agaçant pour les croyants d’une religion que de voir fleurir ainsi une multitude de concurrents qui sont qualifiés de « faux prophètes ». Il est normal qu’un croyant croie à sa vérité et cela entraîne malheureusement souvent qu’il rejette furieusement la vérité des autres, même s’il prône par ailleurs l’amour de son prochain.
Toujours est-il qu’il y a en fait une certaine complicité des grandes religions et des pouvoirs pour marginaliser ce qu’on appelle les sectes. Seul le succès rend légitime une nouvelle croyance en vertu du principe évangélique selon lequel on reconnaît un bon arbre à ses fruits.
Il est cependant sain de se rappeler qu’à ses débuts le christianisme etait une secte pour les juifs et l’Islam une secte pour les Arabes de La Mecque.
Le mot « secte » lui-même est ambigu, car il évoque irrésistiblement une coupure, comme au sécateur, alors que sa signification originelle procède du latin se qui, qui signifie
« suivre ».
Il n’empêche que l’homme est capable de suivre n’importe qui et l’histoire regorge de gens que le sens commun juge être des fous ou des charlatans mais qui ont eu cependant leurs sectateurs.
Naturellement, toujours parce que cela fait partie de la nature humaine, le mépris dont les bien-pensants de tous bords accablent ceux qui pensent autrement conduit à des durcissements de positions, à des fanatismes, à des sectarismes aussi bien chez les persécuteurs que chez les persécutés. « Persécuter » provient d’ailleurs, étymologiquement, de la même racine se qui qui a donné aussi bien « suivre » que « secte ». Peut-on en déduire que celui qui suit une secte est persécuté ? On constate en tout cas qu’il est fort difficile d’aborder la question des différences entre sectes et religions en s’efforçant de rester objectif.
On ne peut pas refuser sérieusement la qualité de religion à une spiritualité qui cherche à relier l’homme à Dieu, même si elle paraît fondée sur une doctrine humainement incompréhensible. De tels critères reviendraient à refuser le surnaturel et à rejeter le christianisme ou l’Islam par exemple. En fait, cela reviendrait à ne pas admettre qu’il puisse exister des religions sérieuses. Cette position, qui est celle de beaucoup d’athées, élimine la spiritualité de la vie de l’homme : c’est une amputation insupportable pour les croyants qui constituent la majorité de la population de la terre.
Mais si l’on admet les religions en tant que groupements d’hommes ayant un lien spirituel avec Dieu, au nom de quoi est-il possible de porter un jugement sur ce lien puisque Dieu seul, comme le dit la Bible, peut sonder les reins et les cœurs ?
Pourtant, admettre sans réticences toutes les sectes par respect pour leur éventuel contenu spirituel, conduit à faire la place belle à des manipulateurs de conscience sans scrupules qui décervellent des naïfs à leur profit ou à des fous qui propagent leurs phantasmes.
On ne peut pas plus mettre en doute la bonne foi de membres de sectes qui se dévouent à leur cause qu’on ne peut nier qu’il y a dans les religions les plus sérieuses, comme ailleurs, de dangereux agités ou des habitués de la divagation.
Comment y voir clair ?
Il n’est pas facile d’effectuer un tri sans reproche mais, comme toujours, davantage d’éducation arrangerait bien les choses.
Prenons une comparaison : l’instruction publique explique qu’avant Copernic, l’Occident croyait en l’astronomie de Ptolémée, où la Terre était fixe et le Soleil était son satellite. Personne aujourd’hui ne conteste l’acquis de la science bien que le spectateur moyen de la télévision n’ait pas la moindre idée des arguments de Copernic ou de Ptolémée. Si, dans le domaine religieux, l’instruction publique était capable de donner se
serait-ce qu’une information sur les différentes religions, leurs limites et les risques de déviations possibles, le même spectateur moyen ne mettrait peut-être pas sur le même pied superstition et vie spirituelle, astronomie et astrologie… Il s’agit simplement d’éviter l’infantilisme en matière religieuse en donnant à l’homme dès l’enfance des éléments de jugement. Faute de quoi nous continuerons d’être, dans ce domaine, un peuple d’autodidactes ou d’ignorants.
En attendant cet effort d’éducation, il ne faut pas s’étonner qu’une certaine fringale de vie spirituelle – ou, au pire, un déséquilibre psychique – conduise des gens désorientés auprès de sectes plus ou moins recommandables.
Sans nier ce que ces vocations peuvent avoir d’ambigu, il faut cependant reconnaître que l’incroyable floraison de sectes à toutes les périodes de l’Histoire de l’humanité est une démonstration, elle aussi ambiguë, des besoins spirituels de nombreux humains.
Alors, où placer la limite entre secte et religion ?
Le critère du nombre d’adeptes aurait l’avantage d’être objectif mais on voit bien à quel point il est artificiel : en mettant la barre plus ou moins haut on peut éliminer en fait du nombre des religions de nombreux courants spirituels qui appartiennent manifestement à l’héritage commun de l’humanité.
A contrario, certaines sectes que l’opinion publique reconnaît comme telles peuvent compter plusieurs centaines de milliers de membres – comme dans le cas des adeptes de Moon et devraient être retenues comme religions.
On pourrait plus valablement choisir un autre critère qui est le suivant : une secte est un mouvement dont les pratiques sortent de l’ordinaire au point d’être objet de scandale ou de ridicule pour l’écrasante majorité des gens, croyants ou incroyants. Ainsi, détacher les enfants de l’influence de leurs parents ou refuser certains soins médicaux seraient des manifestations de sectes. Ces critères, fondés sur ce qui paraît être une certaine bizarrerie plus ou moins dangereuse de comportement, sont également discutables et imprécis. A la limite, le jeûne du Ramadan ou le refus de la pilule contraceptive paraissent-ils aujourd’hui bien raisonnables selon de tels critères ?
D’autre part, toute doctrine de caractère religieux ou philosophique n’exerce-t-elle pas une forme de pression sur l’esprit de celui qui l’étudie ? N’est-ce pas un scandale pour une famille incroyante ou athée que d’avoir un enfant qui veut devenir prêtre ou religieux ?
Sans vouloir céder à l’habitude bien française de tout classer systématiquement, le critère qui semble le mieux caractériser l’idée que l’on se fait d’une secte est le détournement de la croyance des fidèles au profit d’objectifs qui n’ont rien de spirituel, par exemple : l’argent, l’ambition personnelle, la politique…
Certains objecteront que beaucoup de religions vénérables, si ce n’est toutes, ont été un jour ou l’autre sensibles à de tels attraits mais il s’agit là plus de récupération par des ambitions extérieures que d’un objectif délibéré de la religion. C’est d’ailleurs pourquoi tous les mouvements qui ont, en fait, ces buts inavouables se gardent bien d’en faire état et se drapent dans la pureté de leurs intentions religieuses.
Il semble bien cependant qu’avec un peu de lucidité le lecteur pourra exercer sa liberté de jugement et penser ce qu’il voudra des mouvements et organisations que nous allons passer maintenant en revue.