Les Zrides et l'invasion hilalienne
La dynastie de Hammadides
Lorsque les Fatimides émigrèrent au Caire, ils laissèrent Ifriqiya à leur fidèle serviteur, le Berbère sanhadja Bologgin ibn Ziri, nommé gouverneur. Ses successeurs durent abandonner l’Ouest de leur territoire (correspondant à l’Est algérien actuel) à un cousin, Hammad ibn Bologgin, qui fonda la dynastie des Hammadides. Après avoir résidé à Achir au sud d’Alger, il choisit comme capitale Qala (« citadelle ») des 134 Banu Hammad, dans la région montagneuse du Hodna, et la peupla des habitants des petites villes voisines. Comme il était à prévoir, les Zirides se dirigèrent progressivement vers l’autonomie et, mettant à profit l’affaiblissement des Fatimides, rompirent avec le califat fatimide pour reconnaître celui des Abbassides en 1048.
Le vizir fatimide du Caire, Yazouri, choisit alors d’envoyer, à titre de représailles, deux tribus arabes, les Banu Hilal et les Banu Sulaym, en leur disant : « Je vous remets le Maghreb en cadeau et dorénavant vous ne serez plus dans le besoin. » C’étaient des tribus qui avaient participé à la révolte qarmate dans le Nord de l’Arabie, puis qui s’étaient infiltrées en Égypte, où les Fatimides, qui craignaient leur installation sur les terres fertiles, les avaient cantonnées dans le Sud du pays. L’occasion était bonne pour s’en débarrasser. L’invasion se fit sur plusieurs décennies. En 1052, ces deux tribus défirent l’armée ziride près de Gabès et s’emparèrent des villes, dont Kairouan qu’ils pillèrent de fond en comble. L’émir ziride Muizz se réfugia derrière les remparts de Mahdiya, tandis que des petits pouvoirs s’installaient dans les villes, ainsi les Banu Khurasan de Tunis qui régnèrent de 1060 à 1159. L’invasion hilalienne a provoqué un bouleversement ethnique et économique considérable : l’agriculture, ruinée en plusieurs régions, laissa place à la steppe pastorale, les villes appauvries par la dislocation des axes commerciaux se retirèrent derrière leurs remparts, enfin l’émiettement politique suscita les convoitises des Normands de Sicile (prise de Mahdiya en 1148) ou des Génois. Ibn Khaldoun insiste sur la portée de cette invasion : « Les familles hilaliennes se précipitèrent sur l’Ifriqiya comme une nuée de sauterelles, abîmant et détruisant tout ce qui se trouvait sur leur passage […] » et dans un autre ouvrage, il écrit : « Les Banu Hilal et les Sulaym (au Maghreb) firent irruption, et, pendant trois siècles et demi, ils ont continué à s’acharner sur ce pays ; aussi la dévastation et la solitude y régnent encore. Avant cette invasion, toute la région, qui s’étend du pays des Noirs jusqu’à la Méditerranée, était bien habitée : les traces d’une ancienne civilisation, les débris de monuments et d’édifices et les ruines de villes et de villages sont là pour l’attester. » À la suite d’Ibn Khaldoun, certains historiens ont opposé le sédentaire, porteur de civilisation, et le nomade, Bédouin dévastateur, et ils ont vu dans l’invasion la grande rupture dans l’histoire du Maghreb. « La civilisation kairouanaise, née après la conquête, d’une remarquable symbiose araboberbère […] a été frappée de mort par les nomades hilaliens » (H.R. Idris). Des géographes, Lacoste et Poncet, ont récemment réagi contre le « mythe » de l’invasion et en ont atténué les conséquences. Le problème est très complexe et on pourra lire à ce sujet les pages d’A. Laroui dans L’histoire du Maghreb (pp.139 à 146). L’Est du Maghreb s’émiette donc politiquement, comme Al Andalus, au moment même où surgit, au sud-ouest, un élément unificateur : les Almoravides.
L’unité à l’Ouest : Au moment même où l’unité du Maghreb oriental se les Almoravides brise sous les coups des nomades hilaliens, d’autres nomades vont réaliser pour la première fois l’unité de l’Ouest.
Le mouvement almoravide prit naissance dans la tribu Lemtouna qui appartenait à une confédération de tribus berbères sanhadja qui nomadisaient dans le Sahara, entre le Draa et le Niger, tout en contrôlant le trafic caravanier. Les Sanhadja devaient sans doute être islamisés superficiellement, lorsque le chef de la confédération, Yahya ibn Ibrahim, alla vers 1030 faire le pèlerinage de La Mecque. Au retour, il ramena pour instruire sa tribu, un savant sanhadja du Souss, Abdallah ibn Yasin qui allait se révéler homme d’action et meneur d’hommes plus que doctrinaire. Il fonda un ribat (« couvent fortifié »), d’où les Almoravides tirent leur nom : Almurabitun (« hommes du ribat »), où il mena une vie rude avec ses disciples, à qui il enseignait le droit malikite. Vers 1049-1050, ils se mettent en route vers le nord sous la conduite d’Ab- dallah, s’emparent de Sijilmassa, principal « port » saharien, conquièrent le Souss, le haut Atlas et les plaines atlantiques sur les hérétiques berghouatas. À la mort d’Abdallah (1059), le mouvement se divise en deux : une partie des Almoravides retourne au Sud du Sahara tandis que l’autre groupe, sous la conduite de Yusuf ibn Tachfin (1060-1106) poursuit la conquête au Nord. Un de ses premiers actes fut de donner une base militaire et administrative solide aux conquérants ; c’est bien ainsi qu’il fonda Marrakech en 1062 dans la plaine du Haouz, bien alimentée en eau par les oueds 136 descendus du haut Atlas.