Manjushri
Manjushrî est un disciple de Shâkyamuni dont il est, avec Samanta- bhadra, l’un des acolytes dans les groupes d’images appelées au Japon Shaka Sanzon, « les trois vénérables de Shâkyamuni ». C’est « Celui dont la beauté est charmante », le Bodhisattva « de vertu merveilleuse et de douce majesté » qui représente la sagesse, l’intelligence et le pouvoir de l’esprit. « Son adoration confère la Sagesse divine, la maîtrise du Dharma, une mémoire fidèle, la perfection mentale, l’éloquence. » Ce Bodhisattva, connu en Inde par les doctrines du Petit Véhicule qui l’identifièrent au roi des Gandharva Panchashikha , fut à l’origine de nombreux textes du Mahâyâna . Il aurait indéfiniment retardé son accession à l’état de Bouddha, mû par une compassion infinie qui le poussa à demeurer dans ce monde jusqu’à ce qu’il n’y reste plus un seul être à amener sur le chemin de l’illumination suprême. Bien que certains textes comme le Saddharmapundarîka-sûtra lui assignent un univers situé à l’est et dénommé Vimala (jap. Yuima), Manjushrî éternellement jeune d’aspect (on le représente toujours comme un adolescent), jouissant de la perfection des qualités du Bouddha, pouvant prendre toutes les apparences possibles et imaginables (même celle d’un Bouddha accompli), ne semble pas avoir de lieu de manifestation déterminé. Certains textes cependant le localisent sur une montagne à cinq sommets située dans l’Himâlaya, près du lac Anavatâpta . En Chine, à partir du IVe siècle, on le fait résider sur le mont aux cinq terrasses, le Wutaishan, dans la province du Shanxi (au Japon, cette montagne est appelée Godaizan). Cependant, quelques textes chinois assurent qu’il était vénéré sur cette montagne dès le Ie siècle de notre ère.
Manjushrî aurait été l’initiateur et le maître des Bouddha des âges passés. Il devrait également être celui du Bouddha du futur, Maitreya. « Manjushrî est le père et la mère des Bodhisattva, et il est leur ami spirituel .» Le Bouddha Lui-même décrit Manjushrî et fait son éloge dans le Manjushrîparinirvâna-sûtra. Ce Bodhisattva fut en conséquence très souvent représenté, tant en Inde qu’au Tibet, en Chine et au Japon, ainsi qu’au Népal dont il serait, selon la tradition, le fondateur venu de Chine. Ses images n’apparaissent que tardivement en Asie centrale16 et sur quelques stèles chinoises, associé à Vimalakîrti (jap. Yuima Koji) au VIe siècle.
Son culte et ses images auraient été introduits au Japon par des moines chinois qui, lors d’un voyage au Wutaishan, ayant appris que Manjushrî s’était réincarné en la personne du moine japonais Gyôki, se seraient rendus à Nara en 736. L’un de ces moines, Bodhisena (jap. Bodaisenna), aurait même succédé à Gyôki en tant que directeur de la Communauté bouddhique du Tôdai-ji (Nara) en 751 ou 752. A son tour le moine Ennin, s’étant rendu en Chine au mont Wutai en l’an 840 (au cours d’un voyage qui dura neuf années, de 838 à 847), aurait rapporté des sûtra et des images de ce Bodhisattva.
Dans le Garbhadhâtu Mandata, Manjushrî est un des quatre Bodhisattva attribués à Vairochana. Il se trouve placé au sud-ouest et est assis sur un lotus blanc. Il tient dans la main droite le « livre (pushtaka) de la Connaissance universelle » ou un rouleau de la Prajnâpâramitâ, et dans la main gauche un vajra à cinq pointes et un lotus bleu (utpâla). Il symbolise alors la sapience universelle de Vairochana dont il est la connaissance (symbolisée par le vajra) et la raison innée (lotus bleu). Il est également le « trésor des inépuisables moyens de salut de la grande compassion ».
Dans le Vajradhâtu Mandala, il prend le nom d’Apâyajaha (jap. Joshoakushu). Il est la Sagesse suprême (Prajnâpâramità ; jap. Chi- myô-é) et consacre « l’égalité de nature de tous les êtres ». On le nomme aussi Manjughosha (jap. Myô-on) et, sous ce nom, il représenterait la vertu de l’explication de la Loi.
Pendant l’époque de Heian au Japon, une coutume populaire voulait que l’on place une effigie de Manjushrî vêtu en moine (ou d’un habit de cordes, ou encore d’une robe chinoise à la mode des Tang) dans la cuisine des demeures afin d’y symboliser la sagesse et la discipline qu’il convenait d’observer pour le maintien du foyer. Plus tard, il fut souvent confondu dans l’esprit populaire avec Tenjin-sama, déification shintô du Premier ministre Sugawara no Michizane (mort en 903 en exil à Kyûshû). La popularité de Manjushrî fut souvent très grande, à partir du XIIe siècle surtout, lors du renouveau de la foi bouddhique au Japon, alors qu’elle diminuait en Chine. Manjushrî était particulièrement vénéré par les sectes de Nara et par les sectes ésoté- riques (surtout celle du Shingon), bien qu’il ne fût guère ignoré des autres, Jôdo-Shinshû ou Zen. Pour toutes ces sectes et leurs fidèles, il était « Celui qui montre la Sainte Voie ». Par la suite, la popularité de son culte s’estompa. Si, à l’heure actuelle, il n’est plus guère vénéré et si ses temples sont peu nombreux (le plus célèbre est celui de Amano-Hashidate sur la mer du Japon), son souvenir est encore très vivace. Les étudiants croient que la vénération de Manjushrî peut leur procurer une belle écriture et leur assurer le succès aux examens (à ce propos, il est particulièrement vénéré au temple d’Abe-no-Monju-in. au sud de Nara). Il présidait autrefois aux fêtes de la jeunesse (sculpture au rez-de-chaussée de la pagode à cinq étages du Kôfuku-ji, à Nara).
Au Népal, où l’on croit qu’il fut l’initiateur de la civilisation, Manjushrî se voit consacrer le premier jour de l’année (alors qu’il est fêté en Chine le 4ème jour du 4ème mois, où a lieu un grand pèlerinage au Wutaishan pour l’anniversaire de sa naissance).
Représentations de Manjushrî
Il est le plus généralement représenté sous la forme d’un adolescent, avec une coiffure à un ou plusieurs chignons (ou une couronne à cinq pointes symbolisant le Wutaishan), tenant à la main gauche le rouleau du savoir, et à la main droite le glaive vertical de sagesse, « qui tranche l’ignorance » et libère l’esprit des ténèbres. Il est vêtu d’une robe monastique et paré de bijoux. Il est assis en Padmâsana ou en aise royale (Râjalîlâsana). Sa plus ancienne représentation au Japon semble être celle du Hôryû-ji, où il est assis en Padmâsana, les cheveux réunis en un haut chignon, la main droite en Vitarka-mudrâ, la main gauche en Varada-mudrâ.
Ses attributs peuvent varier d’une représentation à l’autre, mais on le montre très souvent avec un sceptre de religieux à la main droite et le « livre de sagesse » à la main gauche ; ou bien les mains réunies en Dharmachakra-mudrâ ou en Dhyâna-mudrâ.
Dans le Monju-in Mandara (jap.), il est représenté avec la main droite en Varada-mudrâ et tenant dans la main gauche un vajra à cinq pointes posé sur un lotus bleu.
Il peut avoir les cheveux noués en chignons ou avoir les cheveux flottant sur les épaules. Au Japon, le nom qu’on lui donne dépend parfois du nombre de ses chignons :
- Un chignon (Monju Bosatsu) : le chignon unique est souvent entouré d’une haute couronne. Le « livre » est parfois posé sur son chignon, et il a alors un sceptre dans la main droite. Mais on lui trouve plus généralement la main droite en Varada-mudrâ sur le genou, la main gauche tenant un lotus bleu sur lequel est posé un triple joyau (chintâmani) entouré de flammes.
- Cinq chignons (Goji , Gokei Monju Bosatsu) : il tient dans la main droite un glaive vertical, dans la main gauche un rouleau de sûtra ou un livre (pushtaka) posé sur un lotus bleu.
- Six chignons (Rokuji, Rokkei Monju Bosatsu) : il a les mains en Dharmachakra-mudrâ.
- Sept chignons (Shichiji, Shichikei Monju Bosatsu).
- Huit chignons (Hachiji, Hakkei Monju Bosatsu).
Sous une forme relativement tardive (après la période de Kama-sura), on représenta Manjushrî assis sur un lotus posé sur le dos d’un lion rugissant (symbolisant la voix de la Loi), dont les pattes sont elles- mêmes posées sur des lotus dans les nuages ou sur la mer. Cette forme particulière se nomme alors au Japon Kishi Monju Bosatsu : il tient dans la main droite le glaive de sagesse, dans la main gauche le lotus bleu, signe de la victoire de l’esprit, ou un rouleau de la Prajnâpâramitâ.
Le nombre de ses chignons peut varier, mais il est habituellement de cinq. Lorsqu’il est représenté comme un enfant, il est appelé Chigo Monju Bosatsu. Lorsque Manjushrî est monté sur un lion et traverse la mer, il est accompagné de quatre acolytes : un jeune homme (Sudhâna ; ap. Zenzai Dôji), un moine (Vasubandhu ; jap. Butsudahari Sanzô), un vieillard (Vimalakîrti ; jap. Yuima Koji) ou, dans certains cas, Saishô Rôjin, enfin un guerrier, le roi Udayâna (jap. Utennô). Ce groupe est alors nommé Tokai (Kaito) Monju Bosatsu. Sur certaines peintures et mandala, Manjushrî est représenté comme un très jeune homme ou un enfant, entouré de huit acolytes enfants, symboles des « huit caractères de Manjushrî », les Hachidai-dôji. Ces « porteurs de vajra » sont censés accorder les prières adressées à Manjushrî et représentent les huit vertus de sagesse de Manjushrî correspondant aux huit orients. Ces acolytes enfants (jap. Dôji) ont tous un triple chignon et le corps jaune, de même que Manjushrî. On leur adjoint parfois Chandraprabha (la lune) et Manjughosha (jap. Myôon), une forme de Manjushrî. Manjushrî est presque toujours représenté assis. Néanmoins, dans certains cas, assez rares, il est debout, vêtu d’une robe monastique lui laissant l’épaule droite nue. Sur son auréole sont souvent dessinées des fleurs de lotus et parfois des Kalavinka (jap. Karyôbinga), oiseaux célestes « à la voix merveilleuse ». Cette forme, appelée Manjughosha, a les mains en Varada-Vitarka-mudrâ.
Au Tibet, on connaît plusieurs autres formes de Manjushrî :
- Avec sa Shakti Sarasvatî sur son genou, à la façon antique, avec cinq têtes (la tête centrale étant celle d’Akshobhya) et huit bras tenant des glaives et des livres ou des lotus bleus. Lorsqu’il est représenté en attitude Yab-yum (embrassement) avec sa Shakti, il a trois têtes (rouge, bleue et blanche) ainsi que sa parèdre. Il porte des vajra, un arc et des flèches, un glaive et un lotus. Il est alors appelé Manjuvajra.
- Une forme particulière, appelée Vajrânanga, le montre armé d’un arc tendu dont la flèche se termine par un bouton de lotus. Il a six bras et est de couleur jaune. On le confond parfois avec Râgarâja, bien qu’il porte l’effigie d’Akshobhya sur sa coiffure.
- Avec quatre têtes (blanche, jaune, orange, rose) et huit bras. Il est alors appelé Dharmadhâtu Manjushrî.
Normalement, sur les mandala et les peintures, Manjushrî est de couleur jaune. Mais dans certaines représentations ésotériques où il est appelé Siddhaikavîra, il peut être blanc. Dans une seule forme il est noir : il possède alors un troisième œil, il a un genou à terre et brandit un glaive.
Il peut également être une force terrible et considéré comme un Vidyârâja. C’est alors « Celui qui délie des entraves » et qui vainc Yama, le Deva de la mort. Il se nomme Yamântaka.
Personnage associé : Vimalakîrti
On représente souvent Manjushrî discutant de la Doctrine avec un disciple laïc du Bouddha, de réputation sans tache, Vimalakîrti (jap. Yui¬ma Koji). Ce dernier est figuré sous les traits d’un vieil homme malade, un pan de son vêtement ramené sur la tête, faisant le geste de la discussion de la Doctrine (Vitarka-mudrâ), ou bien tenant dans la main gauche un sceptre de moine. Il est toujours représenté assis.