L'attente du Messie: Un Messie Prophète ou Prêtre ?
Une galerie de portraits
Supposons qu’on ait dessiné ce qu’on appellerait aujourd’hui un portrait-robot du Messie ; pendant tout un temps, tout le monde était d’accord pour lui mettre un manteau rouge, une couronne sur la tête, un sceptre à la main. Et puis voilà que de nouveaux portraits ont commencé à circuler : dans le milieu des prophètes, par exemple, on dessinait un prophète.
Un Messie-Prophète ?
Il est vrai que, généralement, dans la Bible, les prophètes ne recevaient pas d’onction ; on n’en connaît qu’une, celle d’Élisée (1 Rois 19, 16) ; mais on est bien obligé de reconnaître que l’esprit de Dieu est sur eux : s’il y a des gens inspirés par Dieu, ce sont bien les prophètes. Et alors on voit naître un nouveau type de discours ; voici un tout petit passage de celui qu’on appelle le troisième Isaïe : « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi. Le Seigneur a fait de moi un messie » (Isaïe 61, 1). Suit la description de sa mission, exactement celle du roi jusqu’ici : « Porter joyeux message aux humiliés », comme il dit, et annoncer à tous le salut, le bonheur, la libération, la paix.
On reconnaît bien là les promesses de Dieu, mais on voit que le langage a glissé : le Messie attendu ici n’est plus un roi, c’est un prophète ; et dans certains textes, on lui applique des promesses qui avaient été faites à David : une descendance perpétuelle, sur qui reposera en permanence l’esprit de Dieu. Et alors on se prend à relire un fameux texte du livre du Deutéronome : Dieu avait promis à Moïse un successeur grandiose. Voici la phrase du Deutéronome (c’est Dieu qui parle à Moïse) : « C’est un prophète comme toi que je leur susciterai du milieu de leurs frères, je mettrai mes paroles dans sa bouche » (Deutéronome 18, 18). Ni au temps de Moïse, ni à l’époque beaucoup plus tardive où a été écrit ce passage du Deutéronome, on ne pensait en termes de Messie, mais des siècles plus tard, on fait ce qu’on appelle une « relecture » de ce vieux texte. On y découvre un message jusqu’ici insoupçonné. Le Messie à venir ne serait-il pas ce fameux prophète successeur de Moïse ?
Un nouveau courant de pensée est donc en train de naître : le Messie viendra, c’est sûr, mais ce sera un prophète. Ce courant n’est sûrement jamais devenu majoritaire mais il fera partie de la diversité de la palette juive au moment de la venue de Jésus de Nazareth.
Un Messie-Prêtre ?
Si nous faisons une incursion dans le milieu des prêtres, eux non plus ne perdent jamais la foi dans les promesses de Dieu ; alors eux aussi vont pressentir que le Messie tant attendu ne sera peut-être pas le roi dont on avait tant rêvé jusqu’ici.
Car, après tout, les prêtres remplissent bien la même mission de guider et maintenir le peuple : c’est bien ce qu’ils ont fait pendant l’Exil à Babylone. Si le peuple juif a survécu à l’horrible épreuve, s’il a gardé la foi, s’il a continué de se préparer coûte que coûte au retour, c’est grâce à ses prophètes mais aussi à ses prêtres. On sait qu’on leur doit un énorme travail de mise par écrit des traditions, de catéchèse du peuple, particulièrement le jour du shabbat dans les assemblées, celles qu’on appellera plus tard les synagogues.
A cette époque où il n’y a plus de rois, ce sont eux, les prêtres qui sont les véritables chefs du peuple. De là à imaginer que le Messie à venir serait un prêtre, il n’y avait qu’un pas. A partir de ce moment-là, on a institué un rite d’onction pour les prêtres, exactement comme celui qui était pratiqué jadis pour les rois. Et désormais, quand on parle des prêtres, on dit volontiers « le prêtre consacré par l’onction ». En même temps, on leur fait porter les insignes royaux : leurs vêtements sacerdotaux sont de pourpre violette (la couleur des rois) et on leur met sur le front un turban orné d’une fleur en or (qu’on appelle le fleuron) qui était l’insigne royal par excellence.
On sait aussi qu’ils ont pris une grande part à la mise par écrit définitive des souvenirs relatifs à la période de l’Exode, la longue marche du peuple dans le désert, à la suite de Moïse ; on ne s’étonne donc pas de l’insistance de ces textes sur le rôle du grand prêtre et particulièrement sur la personne d’Aaron. On trouve par exemple dans le livre de l’Exode la recette de fabrication de l’huile d’onction qui doit être employée pour la consécration des prêtres ; et aussi des quantités de prescriptions pour la cérémonie de consécration, pour les ornements sacerdotaux du grand prêtre Aaron, le frère de Moïse et pour ses acolytes.