Le commerce
Le commerce
Le rôle des conquêtes et le problème de l’or
Le commerce tient une place de premier plan dans les arabes monde islamique à l’époque des Abbassides. Les conquêtes arabes ont éliminé la frontière entre les jeux mondes hostiles sassanide et byzantin, si bien que le monde musulman joue à fond le rôle de transition entre les trois continents. Aux relations avec l’extérieur, il faut ajouter les échanges entre régions complémentaires, à l’intérieur du monde musulman. Cette question a fait l’objet d’une grande controverse historique au cours des dernières décennies. Elle fut déclenchée par l’historien Pirenne, pour qui la conquête musulmane a brisé l’unité économique méditerranéenne et interrompu toute relation entre l’Orient et l’Occident, la Méditerranée étant devenue un « lac musulman ». Cette thèse a été vivement combattue par plusieurs historiens : l’Américain Lopez, le Suédois Bolin et le Français Lombard qui estiment que la conquête a eu l’effet inverse. Ce dernier s’est surtout intéressé au problème de l’or.
Avant les conquêtes arabes, on peut définir trois zones dans le monde méditerranéen :
- l’Occident barbare qui s’est peu à peu appauvri en or en achetant épices et tissus, et qui en est totalement dépourvu au VIIe siècle ;
- le monde byzantin, héritier des stocks égyptien ou syrien, a son système monétaire fondé sur l’or ;
- l’Empire sassanide, riche en argent, a un monnayage d’argent et fond, en lingots ou bijoux, l’or reçu de Byzance.
- Les Arabes, en réunissant dans leur Empire le monde perse et les provinces les plus riches de l’Empire byzantin, ont placé plusieurs régions minières dans leur zone d’influence : Caucase, Arménie, Altaï, Tibet, Dekkan, Nubie, Ethiopie, Afrique orientale et Soudan. Les Arabes auraient aussi remis en circulation les grandes quantités d’or thésaurisées dans les palais perses ou dans les églises et monastères byzantins ; et en Egypte, les Tulunides et Fatimides auraient fait une recherche systématique des trésors pharaoniques. L’or aurait donc irrigué le monde musulman et vivifié le commerce. Cet or ne serait pas resté dans le monde musulman, mais il aurait relancé le grand commerce international. Le circuit de l’or après la conquête pourrait se résumer par le schéma suivant (Lombard, L’Islam dans sa première grandeur, Flammarion, p. 119) :
Le schéma est très séduisant, mais on manque de preuves. Tout aurait besoin d’être vérifié de très près. M. Lombard semble avoir surestimé les quantités d’or en circulation. Et une autre question se pose : qu’est devenu l’argent du système monétaire perse ?
Le système monétaire
Les systèmes anciens ont été conservés jusqu’au calife omayyade Abd al Malik, qui a frappé le dinar (de denarius) d’or imitant la pièce byzantine et le dirhem (de drachme) d’argent remplaçant la pièce sassanide. Le dinar contenait 4,25 g d’or et le dirhem 2,97 g d’argent.
A la fin du VIIe siècle, on établit qu’à poids égal, l’or valait dix fois l’argent mais le rapport or-argent varia par la suite. Le calife a seul le droit de frapper monnaie et des ateliers monétaires sont installés dans les principales villes. Le bimétallisme entraîne la présence dans tout l’Empire de changeurs (djahbadh) qui devinrent souvent de véritables hommes d’affaires, parfois des banquiers.
Les commerçants
On a souvent dit que les musulmans avaient laissé le commerce aux juifs et aux chrétiens, à cause de l’interdiction du prêt à intérêt contenue dans le Coran. Or, le Prophète, qui a vécu dans les milieux commerçants de La Mecque, a tout naturellement un penchant pour le commerce considéré comme un moyen très honorable de gagner sa vie. Cette attitude est également celle de la tradition, mais ce que l’on condamne, c’est l’usure (riba). M. Rodinson pense qu’il s’agit du doublement de la somme, entraînant pour le débiteur l’impossibilité de payer. En fait, les musulmans semblent s’être intéressés très tôt au commerce et sous les Abbassides existe une classe de commerçants et même de banquiers musulmans. Les commerçants du monde musulman appartiennent à plusieurs confessions.
Les juifs qui formaient des communautés un peu partout, en particulier en Mésopotamie, Palestine, Égypte y et Espagne du Sud, ont accueilli avec soulagement les » Arabes et ils profitèrent de la constitution d’un monde économique unifié pour développer leur commerce en s’appuyant sur la solidarité, la confiance mutuelle et la facilité de crédit. De grosses banques juives existent à Bagdad, comme celles de Joseph ben Phineas et Aaron ben Amran, qui font des prêts au gouvernement, à l’époque d’Al Muktadir (908-932). Plus tard, les banquiers juifs joueront aussi un grand rôle dans l’Egypte fatimide. Notons d’ailleurs que le banquier spécialisé n’existe pas et que les fonctions de banquier et de gros commerçant sont très liées. Les juifs tiennent la première place dans les échanges de produits de luxe : bijoux, étoffes, sucre, épices, or et esclaves. Ils habitent à Bagdad dans le quartier d’Al Karkh et le chef de leur communauté, le reshgalutha, apparaît en bon rang dans le protocole abbasside. Ibn Khurradadhbeh (mort en 847) parle dans un texte des fameux juifs rhadanites qui sillonnent le monde musulman. Au XIe siècle, les juifs, persécutés ou expulsés, perdent leur place dans le grand commerce, qui passe alors aux mains des Italiens et des Arméniens.
Parmi les chrétiens, les Arméniens se spécialisèrent dans les relations entre le monde musulman et Byzance, et ils s’installèrent aussi en Égypte. Il est impossible de définir la proportion des marchands suivant leur origine. On voit aussi circuler dans le monde musulman des Byzantins, des Russes, des Varègues et des Indiens, et comme dit C. Cahen, il y a une « coopération interconfessionnelle […] Et non seulement, il y a de tout, mais ils ne sont pas séparés, ils voyagent et opèrent ensemble », bon exemple de la tolérance qui régnait dans le monde islamique. Dans Les mille et une nuits, les marchands ne font pas de différence sur les critères religieux, mais en revanche ils méprisent tous les petits boutiquiers.
Les méthodes commerciales
Les gros commerçants, plus ou moins banquiers, s’occupent surtout de leurs comptes et circulent peueux-mêmes. Certains gèrent des fonds que l’on a déposés chez eux, par crainte du vol ou pour qu’ils les fassent fructifier. Les capitaux pour le commerce peuvent provenir d’autres milieux : secrétaires, propriétaires terriens, etc. En général, les commerçants s’associent dans les opérations commerciales pour se partager non seulement les bénéfices, mais surtout les risques, car les embûches sont nombreuses. Le grand problème est celui du transfert des fonds en raison des dangers. C’est pourquoi tous les grands commerçants avaient des correspondants dans les grandes villes. Au VIIIe siècle apparaît la lettre de change, qui consiste à faire payer par un tiers une somme due à une personne. On utilise aussi le transfert différé (chakk, d’où notre mot : « chèque »).
Dans l’ensemble, le commerce est libre, mais les marchands doivent payer des taxes aux frontières et aux entrées des villes. Les étrangers paient sans doute le double des musulmans. Quelle fut l’attitude de l’Êtat vis-à-vis du commerce ? B. Lewis affirme que le commerce ne fut pas favorisé par l’Etat et que les marchands durent mener une lutte constante contre la bureaucratie, alors que D. Sourdel soutient que les autorités centrales et provinciales aidèrent le commerce en luttant contre les pillards.
Les conditions de transport
Étant donné l’étendue de l’espace islamique, le commerce doit emprunter tantôt des routes terrestres, tantôt des routes maritimes. Le monde musulman a éliminé le roulage au profit du portage par chameaux, qui circulent en caravanes pouvant compter jusqu’à cinq ou six mille têtes. Les rivières se passent soit à gué, soit sur de grosses outres gonflées. Il faut attendre les Mongols pour voir réapparaître les convois de chariots.
La voie d’eau joue un rôle considérable et on utilise les fleuves, dès qu’ils s’y prêtent. Le Nil, le Tigre et l’Euphrate accueillent des flottilles transportant des denrées ou des produits artisanaux. Des caravanes venant de Damas, d’Alep ou d’Antioche rejoignent l’Euphrate, qui est relié au Tigre à Bagdad par le canal Isa, car son cours inférieur est trop marécageux. Sur les mers, on utilisait des bateaux de faible tonnage, doutés sur la Méditerranée, cousus sur l’océan Indien.
Les lieux de commerce
Les routes commerciales et les produits échangés Les Omanais assemblaient les planches de teck ou de cocotier, à l’aide d’un fil de cocotier. Vers l’Oricnt, les marchands allèrent jusqu’à Canton, en Chine, au IXe siècle, puis établirent leurs contacts avec les Chinois en Malaisie ou à Ceylan. Sur la côte orientale de l’Afrique, ils se rendaient jusqu’à Zanzibar.
Les lieux de commerce sont les caravansérails (khani en Iran ou « fondouks » ailleurs), situés sur les pistes ou dans les villes. Les commerçants sont obligés de s’) rendre pour acquitter leurs taxes. Ces édifices offrent toujours le même plan : une seule porte d’entrée, des bâtiments à étages disposés autour d’une cour carrée avec des pièces réservées au logement des animaux 01 à l’entrepôt des marchandises au rez-de-chaussée e des chambres pour les commerçants à l’étage. Dan; les villes, ils sont souvent spécialisés par type marchandises ou par origine géographique.
Il n’y a pas de grandes foires dans le monde musulman, à l’exception de celle de La Mecque, au moment du pèlerinage. Des marchands musulmans y viennent pour vendre ou acheter des produits, d’autres pour si rencontrer et passer des commandes. L’activité commerciale était très intense dans cette région, pendant et aussitôt après le pèlerinage.
Les routes commerciales et les produits échangés
On se reportera à la carte pour voir les principaux axes commerciaux et les produits importés par 1 monde musulman. On connaît beaucoup moins les produits exportés.
- Avec l’Orient, les échanges suivent deux grandes routes, l’une terrestre vers l’Asie centrale, l’autre martime vers l’océan Indien.
Au Nord-Est, le Khurasan et le Mawaraannahr sor des carrefours commerciaux importants, où aboi tissent les routes vers le monde slave, le monde de Turcs et le monde chinois. Le commerce anime les villes de Nishapur, Merw, Balkh, Bukhara et c Samarkande.
Au Sud-Est, la route maritime vers l’Extrême-Orient pris un grand essor à l’époque abbasside. Les têtes c pont de ce trafic sont Basra et son port, Obollah, ain que Siraf. Les commerçants musulmans avaient d< comptoirs sur les côtes de l’Inde, en Malaisie et mênen Chine, près de Canton, mais une révolte chinoise le massacre de commerçants provoquèrent le replie Malaisie et à Ceylan. Les marchandises importées sont surtout des produits de luxe, destinés à l’aristocratie des grandes villes musulmanes ou réexportés vers Byzance. Notons l’importance du bois, en particulier du teck de la côte de Malabar, qui, à cause de sa dueté, était excellent pour les constructions navales. Le commerce se tourne vers Bagdad, véritable carrefour du commerce asiatique ; puis, à cause des troubles dans le bas Irak et de l’action des Fatimides, une partie de ce commerce se détourna vers la mer Rouge, vers le port égyptien d’Aidab, puis vers Le Caire et Alexandrie, qui devint le grand centre de redistribution des épices et des objets précieux dans le monde méditerranéen.
- Avec l’Afrique, les échanges se faisaient sur la « côte des Zandj », à Mombassa, Barawa et Zanzibar, d’où les commerçants arabes rapportaient des esclaves, de l’ivoire, du bois, des fauves et des perles. On ne sait pas ce qu’ils vendaient en échange.
- Avec Byzance, le commerce est excédentaire pour le monde musulman. Byzance est un grand entrepôt ; elle joue le rôle d’intermédiaire entre le monde occidental et le monde oriental. Elle demande à l’Orient des soieries, des pierres précieuses, de l’ivoire, des épices, des parfums, et elle vend des tissus de luxe et des pièces d’orfèvrerie.
- Avec le monde slave : la route des fleuves russes était empruntée par des commerçants russscandinaves (Varègues) et sans doute par des musulmans dans l’autre sens. Le trafic vers le monde islamique consistait en esclaves, fourrures, miel et épées.
- Avec l’Occident : le commerce se fait essentiellement par l’intermédiaire de l’Espagne et du Maghreb. L’Occident offrait des fourrures, du bois, qui selon Lombard aurait fait la fortune de Venise, des armes, malgré l’interdiction carolingienne de les exporter, et surtout des esclaves qui, de Verdun, centre de trafic et lieu de castration, sont acheminés vers l’Espagne, et pour certains d’entre eux réexportés vers l’Orient. En échange, l’Orient vendait des articles de luxe : étoffes
– Charles le Chauve se plaint que les chefs de son armée portent des vêtements orientaux épices, etc.
Les Italiens de Bari, Venise et Amalfi tiennent une place de plus en plus importante dans ce commerce. Les Amalfitains, bien en cour auprès des Fatimides en Ifriqiya, les suivirent en Égypte. Ce commerce était naturellement peu important, mais il portait sur des objets de grande valeur.