Le prodige de la pensée
Revenons à ce prodige qu’est l’existence de la pensée. Même si l’organisation spontanée de la matière aboutissait, par tâtonnements successifs, à des structures permettant son développement, comment a-t-elle pu parvenir à s’organiser pour dépasser son objet initial, c’est-à-dire la survie ?
Qu’un poisson dont l’étang s’asséche petit à petit finisse par transformer ses branchies en poumons et ses nageoires en pattes, soit, mais pourquoi le cerveau de cet animal se préoccuperait-il d’autre chose que de marcher au lieu de nager et de chasser au lieu de pêcher ? Toute l’histoire des espèces montre que les cerveaux sont adaptés à l’existence qu’ils mènent, sans plus.Or, le cerveau humain est capable d’infiniment plus : il peut analyser sa propre pensée, imaginer ce qu’il n’a pas connu, orienter au moins partiellement son évolution, et faire des choix porteurs d’avenir à long terme.
La pensée nous libère, en quelque sorte, du temps : elle peut retourner vers le passé ou s’élancer vers l’avenir. Les animaux aussi ont une mémoire et ils sont également capables d’exploiter leur expérience passée pour imaginer l’avenir immédiat. Mais les possibilités du cerveau humain transcendent tout ce que le règne animal a produit, grâce notamment à un pouvoir de communication extrêmement diversifié.
Si nous sommes dotés d’un instrument aussi prodigieux, qu’allons-nous en faire ? Quelle évolution ultérieure pourrons-nous atteindre ? Aurons- nous la possibilité de comprendre beaucoup plus que ce que nos sens nous proposent ? Y a-t-il des domaines encore peu connus où nous pourrons nous élancer ? Les progrès de notre espèce auront-ils des limites ?
Ces questions stimulantes, quoiqu’un peu théoriques, sont le fruit de l’incroyable appétit de connaissances que nous ouvre notre pensée. Mais les progrès de l’humanité ne sont pas le fait d’un bouillonnement désordonné des idées. Nos raisonnements s’organisent selon des méthodes que nous appelons scientifiques où la rigueur se marie à l’imagination. Ainsi, par étapes successives, nous comprenons mieux le monde où nous sommes et agissons sur lui.
Souvent, la seule invention d’un mot ou d’un symbole fait considérablement avancer la science : par exemple, le passage des chiffres romains aux chiffres arabes que nous employons aujourd’hui a bouleversé les opérations arithmétiques allez donc faire une multiplication avec des chiffres romains ! De même, les inventions du zéro, des signes des quatre opérations, du symbole de la racine carrée, représentent chacune un progrès décisif pour des recherches ultérieures d’où est sorti finalement notre progrès matériel.
Mais la caractéristique la plus frappante de la façon dont progresse notre connaissance est notre capacité à former des hypothèses pour expliquer les phénomènes de la nature : notre imagination a d’abord l’intuition d’une explication, elle la formalise par une hypothèse que nous confrontons ensuite à la réalité. Si elle se révèle satisfaisante, nous nous efforçons d’en tirer des conclusions pour mieux agir sur la nature. Si l’hypothèse se révèle insuffisante ou fausse, une autre la remplace qui reflète mieux la réalité et permet d’avancer dans notre compréhension du monde.
Devant l’obstacle que constitue pour notre esprit l’accumulation des invraisemblances qui aboutissent à notre existence sur cette terre, il est dans la ligne de la pensée scientifique de faire l’hypothèse d’une volonté organisatrice de l’univers.
Bien avant que la science soit ce qu’elle est, cette hypothèse a toujours été enfouie dans d’obscurs recoins du cerveau humain : celle d’un Dieu créateur.