L'homme en face de Dieu
Si l’on creuse l’hypothèse d’un Dieu créateur, des questions importantes viennent immédiatement à l’esprit. C’est déjà beaucoup que Dieu ait voulu nous créer, mais est-il possible de connaître quelque chose de Lui ? Quel but poursuit-Il ? De quelle façon s’intéresse-t-Il à nous ? Peut-on savoir ce qu’il attend de nous ? Quelle attitude avoir en face de Lui ?
Les religions s’efforcent d’apporter leurs réponses à ces questions.
Qui est Dieu ?
Qu’on accède à Dieu par des hypothèses ou par la foi, on constate que, malgré la diversité des religions, une quasi-unanimité se dégage pour attribuer à Dieu des qualités qui semblent indissociables de son existence même :
– Dieu est éternel, Il est hors du temps, la mort ne le concerne pas. On n’imagine pas non plus que Dieu puisse avoir des limites dans l’espace : Il est partout, dans le monde et hors du monde.
– Dieu est détenteur de pouvoir ou, ce qui est assez semblable, de connaissance. Par nature, ce pouvoir est total et cette connaissance infinie : Dieu sait tout et peut tout. Il est le Créateur par excellence.
– Dieu ne peut limiter son domaine aux phénomènes matériels. Le domaine de la qualité ne peut lui être étranger : Il est aussi maître du Bien et du Mal, du Beau et du Laid ; Il est Juge Suprême des actions de l’homme.
Que Dieu soit maître du Bien et du Mal pose un problème redoutable : comment et pourquoi Dieu peut-il tolérer le mal dont nous constatons malheureusement la présence partout, y compris en nous-mêmes ? Et si Dieu tolère le mal, à quoi rime de juger les hommes puisqu’ils ont été créés avec le mal en eux ?
Cette question et celle de notre liberté semblent indissociables. Notre liberté et la présence du mal sont, en quelque sorte, deux indices convergents et complémentaires du fait que Dieu ne règle pas tout. Il ne faut pas en déduire que Dieu a abandonné la création à son sort. On conçoit difficilement qu’il s’en désintéresse complètement : pourquoi se serait-Il livré à cet étrange exercice de la Création, si parfaite par tant de côtés et si imparfaite par d’autres ?
Ne nous inquiétons pas inutilement : si Dieu a un plan pour nous et pour le monde, il n’y a rien d’extraordinaire à ce que nous ne le comprenions que de façon bien partielle, et peut-être même pas du tout si telle est Sa volonté. Cependant c’est Dieu qui nous a donné la capacité de penser. Notre cerveau est l’instrument qu’il a conçu pour nous et II souhaite sûrement que nous nous en servions. Il n’y a donc aucune raison de ne pas réfléchir à ce que peut être le plan de Dieu à notre égard.
Le plan de Dieu
Si Dieu nous a créés, directement ou par l’intermédiaire des lois de l’évolutionnisme, on peut se demander pourquoi.
Cette question est certes assez banale, mais cela n’enlève rien à son importance.
La réponse ne dépend évidemment que de Dieu : Il peut ne rien dire, donner une explication collective par ce qu’on appelle une révélation, ou répondre de façon personnalisée.
Les trois attitudes peuvent se rencontrer selon les époques, les pays ou les individus.
Demander à Dieu pourquoi nous sommes sur cette terre et ce qu’il attend de nous est l’objet fréquent de la prière de nombreux croyants. Pourquoi ne pas se poser la question dans ce livre qui évoque les multiples tentatives de l’homme pour rejoindre Dieu par la religion ?
Certes, le plan de Dieu sur l’humanité n’a pas fait l’objet d’une parution au Journal officiel. Cependant, si nous sommes créatures de Dieu, nous avons, à notre échelle, une certaine compatibilité avec Lui qui autorise la réflexion. Une religion comme le christianisme va jusqu’à dire que l’homme est à l’image de Dieu.
Qu’est-ce que cela peut signifier ?
Il est sûr que l’homme n’a pas été créé pour être un robot, serviteur discipliné, obéissant aveuglément à des ordres qui le dépassent. Si telle avait été la volonté de Dieu, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il aurait manqué son objectif. De plus, on peut penser que Dieu a des préoccupations plus élevées que de construire des automates. Il a suffisamment montré sa capacité à créer un monde complexe, qu’il s’agisse des astres ou des atomes, pour qu’on puisse rejeter l’hypothèse de l’homme, bavure de la création. Ce ne serait d’ailleurs pas flatteur non plus pour notre amour-propre.
Constatons d’abord l’extrême discrétion avec laquelle Dieu se manifeste. C’en est au point que nombreux sont ceux qui, en toute bonne foi, nient Son existence. Dieu ne ressemble donc en rien à ces dictateurs qui imposent à leurs sujets un culte de la personnalité. L’observation de la vie que Dieu nous laisse mener sur terre cadre mal avec l’image d’un Dieu narcissique qui aurait créé l’homme seulement pour en être adoré et obéi. La liberté qu’il nous laisse et la discrétion dont II témoigne laissent plutôt deviner un Dieu qui attend une démarche d’adhésion et d’amour de notre part.
En tout cas, l’approche de Dieu est possible pour ceux qui le cherchent. Les mystiques de toutes les époques et de toutes les religions ont la claire perception, non seulement de Son existence, mais de la chaleur et de la lumière qui émanent de Lui. C’est un contact qui n’est ni intellectuel ni physique et qui transcende nos sensations habituelles. Les religions s’accordent en général, à des nuances de terminologie près, sur la possibilité d’une approche de Dieu, d’un dieu qui s’intéresse à nous, qui parfois nous appelle et toujours nous interpelle. Il semble donc bien que Dieu nous convie à Le chercher et à participer à ce qu’on peut appeler sa vie, la création et l’amour.
De fait, nous, créatures, sommes associées au chantier de la création : nous constatons chaque jour que la création se poursuit, puisque le monde évolue, et nous contribuons à cette évolution grâce à nos capacités créatrices.
Simultanément, nous faisons partie de cette création et chacun d’entre nous doit se construire, se développer, se perfectionner. Nous sommes à la fois acteurs et objets de la création.
On comprend mieux ainsi que nous ayons été créés volontairement imparfaits : la liberté dont nous disposons constitue, en quelque sorte, l’espace de développement dont nous disposons pour notre propre épanouissement et pour notre participation à la construction du monde.
De la même façon, on peut penser que si nous sommes tous différents et placés dans des situations de grande inégalité, c’est une condition de
notre liberté d’aimer : une société de fourmis, dont tous les membres sont apparemment identiques, ne peut avoir la même capacité d’amour ; aimer l’autre, s’il est notre copie à l’identique, n’est qu’une forme de narcissisme.
Ainsi chacun a son rôle à jouer et trouve individuellement sa place dans le plan de Dieu. La participation à la construction du monde peut revêtir les formes les plus diverses, toutes aussi valables et égales en dignité. Se dépenser au service des autres, assurer leurs moyens de subsistance, bâtir une meilleure vie matérielle, consacrer sa vie à Dieu dans la prière, mettre au monde des enfants et les élever, se former soi-même, toutes les tâches orientées vers le développement voulu par Dieu sont empreintes de la même noblesse. Chacun trouve sa propre vocation dans le dialogue qu’il recherche avec son Créateur.
Notre rôle sur terre a évidemment les limites de nos propres qualités et des contraintes extérieures que nous subissons, mais chacun à sa place peut contribuer à un progrès, aussi minime soit-il.
Si l’homme adhère volontairement à un tel plan, s’il est l’auxiliaire de Dieu dans une entreprise de création sur terre, il peut assez naturellement espérer que cette association à Dieu, geste d’amour de Sa part, n’a pas qu’un caractère provisoire, limité à la vie présente : puisque Dieu est étemel, il est plus raisonnable d’imaginer qu’une association avec Lui soit aussi éternelle et non pas temporaire.
La mort ne serait alors que la sortie du temps dont nous sommes, pour le moment, prisonniers. Le choix fait ici-bas d’œuvrer pour Dieu, de contribuer à Son projet sur le monde aurait valeur d’éternité et permettrait de participer à une phase ultérieure, inconnue encore, de la vie. Ainsi, seuls ceux qui acceptent librement sur cette terre d’adhérer à ce projet seraient retenus pour cette « vie éternelle », une sorte de «justice divine » sélectionnerait les « élus ». En revanche, ceux que cet avenir n’intéresse pas et qui n’ont vécu que pour eux-mêmes n’auraient pas plus que ce qu’ils ont prise la vie terrestre qui s’achève à la mort – à moins que Dieu, avec une certaine malice, ne leur fasse percevoir ce que leur attitude leur a fait manquer.
Pourquoi laisser ainsi se débrider l’imagination alors que presque rien ne justifie de rêver de la sorte ? Pourtant presque toutes les religions formulent des croyances extraordinaires dans ces cU naines plus qu’hasardeux.
C’est bien là d’ailleurs que se situe ce « presque rien » qui peut donner un intérêt à ces considérations apparemment délirantes. La présence dans toutes les religions ou presque de théories sur l’au-delà, sur ce qui nous attend après la mort, sur l’évolution du monde, aussi invraisemblables soient-elles, constitue paradoxalement le seul indice crédible de l’exis¬
tence de cet au-delà. De la même manière, chacun d’entre nou? aspire de façon plus ou moins diffuse à sa propre survie, même si nous rejetons cette hypothèse et la jugeons invraisemblable.
Pourquoi y aurait-il dans l’humanité une telle constance à se prés ,occuper d’un au-delà alors que notre seule expérience concrète est celle d’une mort inéluctable et irréversible ? Il y a au fond de nous-mêmes la trace de quelque chose : ce n’est pas seulement un espoir vain comme celui de retrouver notre jeunesse ou de devenir beau et intelligent, c’est plutôt que nous ressentons, sans l’affirmer aussi précisément, notre comptabilité avec une « vie éternelle ».
L’expression de cette croyance diffuse est d’ailleurs bien mahldrite : incapables que nous sommes de sortir du temps, nous imaginons l’éternité comme un temps qui ne finit pas, alors que nous ne savons de sa nature : peut-être est-ce une dimension dans laquelle il sera po. Sible de se déplacer comme nous le faisons dans l’espace ?
Ce qui précède nous amène à une constatation : dès qu’on essaie d’approcher Dieu par l’intelligence ou le cœur, on est pris d’un vertige insondable. A priori, il n’y a rien d’étonnant à cela. C’est le contraire qui surprendrait, puisque Dieu nous dépasse infiniment. Mais la recherche de Dieu que se proposent les religions serait un exercice parfaitement stérile si elle ne conduisait qu’à des phantasmes déconnectés des besoins de notre vie. Bien sûr, ces grandes visions sur le plan de Dieu et le rôle qui nous est assigné sur terre ne constituent que des hypothèses hasardeuses et risquées. Personne n’est obligé de les adopter, mais il faut au moins vérifier qu’elles sont cohérentes avec ce que nous observons.
Les hypothèses que nous avons présentées respectent au une constatation de notre expérience : le monde est en évolution, beaucoup reste à y construire et les hommes, en particulier, ont fort à faire pour assurer leur propre progrès. En revanche, ce plan de Dieu auquel nous coopérons semble un schéma bien simpliste et exagérément idyllique. Certes Dieu ne peut respecter notre liberté qu’en restant discret, mais cette attitude, pour éducative qu’elle soit, présente inévitablement l’inconvénient de nous laisser flotter. Comment peut-on se convainc d’aller dans le bon sens ?
D’autre pi la notion de progrès de l’humanité n’est nullement évidente. Nombre eux sont les pessimistes qui voient au contraire le monde se désagréger et courir à sa perte.
Si nous avons été créés par un dieu d’amour, la qualité de neutre vie sur terre n’est pas, pour bon nombre d’entre nous, à la hauteur de‘ ce que sa toute-puissance pourrait nous offrir. Quelle que soit la part fie nos responsabilités, nous avons souvent le sentiment que le monde est trop imparfait pour que ce dieu d’amour apparaisse crédible. Le spectacle de la condition humaine est-il si affligeant que Dieu, s’il existe, ne serait qu’une sorte de sadique contemplant nos malheurs sans réagir ?