Le yin et le yang
Ce qui caractérise le mieux le Tao, c’est l’équilibre et l’intrication des deux fameux principes du Yin et du Yang.
Ils symbolisent les deux principes contraires qui existent en chaque chose, se contredisant et se complétant à la fois. Rien n’est purement yin ni purement yang, mais l’un des deux principes peut cependant prédominer sans jamais éliminer l’autre.
On ignore généralement que les deux caractères chinois yin et yang comportent la même clé ‘, celle de la colline. Etymologiquement, yin est le versant sud d’une vallée, c’est-à-dire tourné vers le nord et à l’ombre. Yang est le versant opposé de cette vallée, exposé au soleil.
Dans une lointaine antiquité, au cours de fêtes célébrant le printemps et l’automne, les garçons dansaient sur la rive nord, côté yang, et les filles sur la rive sud ; des fiançailles s’en suivaient et les mariages se concluaient à la fête suivante. C’est ainsi que le Yin est devenu le symbole de la femme et de l’obscurité et le Yang, celui du mâle et la lumière.
Mais le symbolisme du Yin et du Yang ne s’arrête pas là. Beaucoup d’autres notions, plus ou moins rattachées à ce que nous venons de voir, sont marquées par l’un ou l’autre de ces deux principes.
Ainsi, on considère comme yin : le nord, l’hiver, les vallées, les nuages, les vases, les pêches, les pivoines, les chrysanthèmes, les champignons, etc. Alors que sont yang : le sud, l’été, les montagnes, les béliers, les étalons, les coqs, les dragons, le jade et tout ce qui est rouge, chaud, brillant, haut, céleste, pénétrant, etc.
Puisque le taoïsme est centré sur cette complémentarité fondamentale du Ying et du Yang, on en trouve les conséquences dans les domaines les plus divers.
Dans l’art, on s’attache à représenter des paysages, eux-mêmes expression du Tao, où se marient harmonieusement des éléments yin et yang. D’où ces compositions souvent compliquées mais toujours charmantes où l’on retrouve dragons et montagnes, nuages et grottes, dans la recherche d’un judicieux équilibre des deux principes fondamentaux. Il est certain que la peinture ou la sculpture chinoise apparaissent sous un tout autre jour quand on se livre à ce jeu des interprétations.
Mais le plus étrange concerne la sexualité. C’est évidemment le lieu privilégié d’une rencontre entre le Yin féminin et le Yang masculin.L’union sexuelle devient un acte quasi-religieux où se reconstitue l’harmonie du monde.
Ici aussi, le symbolisme est très important : l’organe féminin est représenté par une pivoine, une pêche, un lotus d’or et celui de l’homme par une tête de tortue, une branche de corail, un oiseau rouge. La fleur de prunier qui décore les lits chinois est le symbole du plaisir sexuel.
Dans l’ancienne Chine, le taoïsme, contrairement au bouddhisme, considérait la polygamie comme la norme. Chacun cherchait dans l’union sexuelle à capter les énergies du principe opposé de son partenaire et la technique des positions était imprégnée de taoïsme. On comptait 30 positions « célestes » et « terrestres » aux noms fort poétiques comme : papillon en vol plané, vol de mouette sur la falaise, bambous près de l’autel, saut du tigre blanc ou jours d’automne.Nous ne disposons pas d’informations sur ce que la Chine communiste a conservé du taoïsme dans ce domaine.
Le Tao dans l’Histoire
Il est difficile de dater la naissance du taoïsme. Les grands principes du Tao, le Yin et le Yang, remontent à la plus haute antiquité et sont vraisemblablement hérités de religions de type chamaniste, c’est-à-dire animistes. Le culte de la nature qui sous-tend le taoïsme est une confirmation indirecte de cette origine supposée.
Cependant les pères du taoïsme généralement reconnus comme tels sont Laozi et Zhuang Zi. Le premier, qui s’appelait peut-être Li Er, est très mal connu. Son surnom de Laozi signifie « le vieux ». Il aurait vécu entre le IV et le III siècle avant notre ère, c’est-à-dire un siècle après Confucius bien que la tradition en fasse son aîné. Le livre qui lui est attribué, le Tao Te King (Dao de jing, selon l’orthographe pin-yin) est un recueil d’histoires allégoriques difficiles à interpréter.
L’autre grand livre classique du taoïsme, le Yi jing, livre des « mutations », explique les mystères et l’unité de l’univers.Ces livres ne posent aucunement les principes d’une religion comme le font le Talmud, l’Evangile ou le Coran.
La première formulation des principes taoïstes, en tant qu’école de pensée, est à rechercher dans l’enseignement de Zhuang Zi. Le taoïsme n’est apparu comme religion constituée que plus tard, en réaction contre certains excès du confucianisme. Le respect de l’ordre établi, inhérent au confucianisme, en faisant naturellement la religion du pouvoir, à quoi le taoïsme apportait un contre-poids, autre exemple de l’opposition du Yîn et du Yang.
Ultérieurement, vers le XII et le IX siècle, après la lente infiltration du bouddhisme en Chine qui se termina par son succès, le taoïsme se dota d’un univers de dieux analogue à celui du panthéon bouddhiste chinois.
En fait, depuis cette époque, l’intrication du taoïsme et du bouddhisme en Chine est tel qu’il est tout à fait arbitraire de tenter de les séparer. Seuls les lettrés scrupuleux pouvaient distinguer la part de chaque religion, pendant que le bon peuple pratiquait un agréable mélange des deux, un parfait syncrétisme.
En résumé, on peut constater avec un certain humour que l’origine du Tao comme religion est en conformité avec le Tao lui-même, c’est-à-dire que rien n’est précis, que c’est un mouvement continu et une présence permanente et évolutive dans l’histoire de la Chine. Même à l’époque communiste, on a pu voir des défilés où le portrait du président Mao était porté entre les symboles Tao du bonheur, le double caractère chinois « xi ».
La pratique du taoïsme
Il est bien difficile de préciser ce qu’il reste aujourd’hui du taoïsme comme religion ou comme philosophie.
Les Chinois qui sont, comme les autres peuples, passés par le stade des religions animistes, se sentent toujours entourés de puissances maléfiques qu’il faut écarter en faisant appel à des génies bienfaisants. On pratique donc des offrandes de porc, volailles, poisson, fruits ou légumes qu’on place pour ces génies sur des tables à encens.
Tout ceci relève de la magie en ce sens que ce sont les gestes que l’on fait et les paroles qu’on prononce qui portent effet de façon automatique. Ces rites se pratiquent dans les temples chinois où l’on vénère aussi bien le Bouddha. En fait, les génies bienfaisants sont assimilés aux bodhisattvas, ces sortes de saints bouddhistes qui refusent de se fondre dans le nirvana pour aider les hommes à mieux y accéder.
Dans la pratique, les fidèles qui cherchent une faveur n’ont que l’embarras du choix des dieux intermédiaires pour leurs prières puisque nombre d’entre ont leur statuette dans un même temple. Il y a toujours un préposé aux ventes des baguettes d’encens qu’on allumera en paquets. On les presse ensuite entre les mains jointes en les agitant d’un léger mouvement vertical. Pour savoir si les événements seront favorables, on prie en tenant entre les mains jointes deux sortes de coques en bois que l’on jette ensuite à terre : selon que les coques tombent sur le coté bombé ou creux, la chance sourira ou non.
Un autre exercice consiste à secouer vigoureusement quelques bâtonnets placés dans un bambou jusqu’à ce que l’un d’entre eux tombe à terre. Ce bâtonnet désigné par le sort porte des inscriptions qui permettent de retirer l’horoscope correspondant auprès du préposé à la vente des baguettes d’encens, à l’entrée du temple.
Si les prêtres taoïstes peuvent encore s’habiller somptueusement pour certaines cérémonies, en revanche, pour les prières courantes, on trouve des jeunes Chinois, en jeans et à cheveux longs, qui, pour le prix d’une consommation, accomplissent en deux minutes le rituel standardisé : l’employé de bureau qui a des problèmes de cœur, la mère de famille qui veut faire bénir le t-shirt nouvellement acheté pour son fils, n’importe qui peut avoir recours à ces formules de conjuration du mauvais sort. L’obole versée donne droit à des baguettes d’encens, à un petit autocollant rouge que l’officiant place devant les statues, et à deux ou trois papiers mystérieux. L’un de ces derniers, de couleur jaune représente le mal : l’officiant le place par terre et le fidèle l’écrase de trois coups rageurs du pied droit puis le déchire. Un autre papier comporte une série de dessins que l’officiant transperce avec un poinçon d’une multitude de trous en récitant des formules rituelles. Un troisième papier maléfique est destiné à recevoir les postillons de mépris du fidèle qui jette ensuite quelques grains de sable vers la statue. Enfin, après que l’officiant ait passé d’un mouvement vif une flamme autour de la tête du fidèle, celui-ci s’en va prier devant un autre autel avec ses baguettes d’encens.
Ces pratiques et d’autres encore restent vivaces dans les communautés chinoises d’outre-mer : à Hong-Kong comme à Singapour, en Malaisie comme à Taiwan.
Le peu de capacité qu’ont les fidèles chinois à expliquer le pourquoi et le comment de leurs pratiques religieuses laisse à penser qu’elles sont plus l’expression d’une tradition populaire teintée de superstition que celle d’une spiritualité intériorisée.
On trouve cependant des monastères purement taoïstes en activité comme à Hong-Kong, dans l’île de Lan Tao, et à Taiwan. Le terme de monastère ne correspond d’ailleurs pas exactement à la notion occidentale : il n’y a pas de règle à suivre et on peut y entrer ou en sortir à sa guise. C’est, en quelque sorte, un lieu de retraite spirituelle et de méditation mais, dans la vie moderne, on ne voit plus dans les rues de moines taoïstes reconnaissables à leur curieux bonnet parfumé et l’on peut penser que les pratiques sexuelles ont, elles aussi, perdu leur caractère religieux.
Il existe chaque année des fêtes taoïstes comme celle du feu, en l’honneur du dieu Huo Kun. A cette occasion, on prépare un grand chaudron plein d’huile qu’on fait chauffer à l’ébullition. Les fidèles s’y trempent les mains et les avant-bras – à vrai dire avant que l’huile bouillonne – ils s’essuient ensuite dans des papiers portant des formules pieuses qui sont alors jetés dans un brasier. Un officiant, torse nu, se concentre pour atteindre un état de transe, puis il plonge les mains dans la bassine et se passe de l’huile en abondance sur le visage et la poitrine à l’admiration de la foule. Ultérieurement, on jettera des feuilles de gingembre dans l’huile pour constituer un médicament. Il arrive aussi que l’officiant
choisisse une fidèle dans l’assistance, la fasse s’agenouiller, se place dans son dos et lui passe également de l’huile dans le cou et sur le front.
L’officiant taoïste a un rôle de médium. Son intimité avec les dieux est démontrée par des dons particuliers d’indifférence à la souffrance qu’il montre
lors d’exercices divers. Par exemple, après que des acolytes lui ont attaché un ruban rouge dans les cheveux, il se passe rapidement des baguettes d’encens enflammées sur la poitrine, ou bien il serre frénétiquement dans sa main nue la lame d’un sabre. Nanti de tels pouvoirs, il peut jouer un rôle de conseiller de confesseur – auprès de ses ouailles : il touche de ses baguettes d’encens enflammées un bouquet de fleurs, écoute les confidences du fidèle, puis lui dispense ses lumières. S’il dis¬cerne dans l’assistance un jeune enfant dont le destin parait particulière-ment bénéfique, il le prend dans ses bras et lui fait faire le tour du temple en l’éventant d’une palme.
La foule qui participe de façon très fervente à ces fêtes est fort enjouée et toute prête à bavarder avec l’étranger. La plupart des Chinois de l’assis¬tance se disent bouddhistes mais certains sont chrétiens et il est difficile de discerner la part de la croyance et celle du folklore. Ainsi le taoïsme reste sans aucun doute très vivant dans l’âme chinoise. La croyance aux forces occultes et magiques est encore très vive. L’astrologie chinoise est tout aussi vivace que son homologue européenne. Les tortues ou les chaudrons de bronze sont toujours perçus comme des symboles de longévité et la calligraphie reste un moyen d’exprimer sa personnalité. Les caractères quasi- magiques -joie, bonheur et longue vie – restent l’élément décoratif le plus fréquent des porcelaines et des bijoux. L’acupuncture et la gymnastique chinoise – la « boxe contre l’ombre » relèvent pour une bonne part de l’idée taoïste de stimuler les courants et les énergies intérieurs.
La sagesse taoïste faite d’équilibre, de placidité, de contrôle de soi, imprègne encore incontestablement l’esprit chinois : l’action ne se justifie que si l’on y est obligé, on ne cherche pas à comprendre le monde mais à l’organiser.
Comment juger de l’influence réelle que conserve de nos jours le taoïsme ? Aucun Chinois n’échappe à son emprise mais bien peu s’y réfèrent de façon exclusive. Ce serait d’ailleurs contraire au Tao, qui englobe tout.
Evaluer quantitativement le nombre de taoïstes n’a, en fait, aucun sens. S’il faut se fixer un ordre de grandeur, on peut dire qu’environ 50 millions de personnes participent à la mouvance taoïste de façon préférentielle sans que cela exclue pour autant une appartenance bouddhiste ou confucianiste.
Les symboles du taoïsme
Les notions de Yin et de Yang sont souvent représentées par le symbole ci-dessous :
Le cercle est l’image de la sphère de l’univers, la partie supérieure est le Yang, de couleur rouge, la partie inférieure, le Yin, de couleur bleue. Le dessin montre une interpénétration du Yin et du Yang et donne une impression de mouvement continu sur soi-même.
Un autre symbole taoïste est constitué de la superposition de barres continues ou partagées en deux. Les barres continues sont yang, c’est-à-dire masculines, et les barres coupées yin, féminines.
On peut ainsi former par combinaisons 8 « trigrammes », composés de trois lignes, et 64 « hexagrammes » composés de six lignes.
Le drapeau de la république de Corée, appelé Tae Guk, rassemble les symboles du Yin et du Yang et les quatre trigrammes à centre de symétrie, symboles de la terre, du ciel, de l’eau et du feu, conformément aux principes du taoïsme d’opposition et d’équilibre.