hare krishna
L’Association internationale pour la Conscience de krishna, selon le nom officiel du mouvement, ne donne pas dans la discrétion : ce sont ses zélateurs qu’on voit dans les grandes villes, en robe saumon et le crâne rasé, répétant inlassablement au son d’une musique lancinante une pieuse formule en l’honneur du dieu krishna. Interrogés sur leur religion, ces pittoresques personnages vous assènent des vérités péremptoires apprises par cœur qui laissent peu de place à la discussion. Il arrive aussi qu’on rencontre dans des lieux publics un aéroport par exemple – un jeune très « bon genre », normalement vêtu et garni de cheveux, qui essaie de vous placer de luxueux livres de spiritualité hindoue pour une somme symbolique laissée à la générosité du client. Ce sont là deux manifestations différentes d’un mouvement qui présente d’étranges particularités.
Il est curieux de constater en effet que la « Conscience de krishna »1 qui entend présenter la spiritualité hindoue la plus pure, est pratiquement inconnue en Inde, sauf pour le succès relatif obtenu en Occident, plus particulièrement aux Etats-Unis. Si l’on interroge plus avant les rares hindouistes qui ont entendu parler du mouvement, ils se montrent, selon leur tempérament, ironiques ou agacés par ce succédané de leur religion transformée en produit d’exportation.
En effet, quoique l’Inde soit une terre d’exubérance religieuse et qu’on y trouve des doctrines très variées, celle d’Hare krishna n’est pas d’une orthodoxie hindouiste parfaite. Comme on l’a vu, krishna est l’un des 10 avatars ou incarnations de Vishnou, qui est lui-même le dieu gardien de l’ordre du monde. C’est donc par un raccourci osé que krishna devient le Dieu suprême, plus conforme à la culture chrétienne des pays visés par Hare krishna.
Le fondateur du mouvement, Sa Divine Grâce A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada, ne cache d’ailleurs pas qu’il recherche plus particulièrement ses disciples en Occident. Ce personnage, dont le nom réel est Abday Charan De, né à Calcutta en 1896 et mort à Londres en 1977, déclare être le 32e gourou auquel a été transmis de génération en génération l’initiation spirituelle de krishna (cela donne une durée de vie moyenne de chaque gourou de plus de 150 ans, puisque krishna, selon le mouvement, était sur terre il y a 5 000 ans). Le prédécesseur d’Abday Charan De, Srila Bhaktisiddhanta Sarasvati Thakura, forme son élève de 1922 à 1933, date à laquelle il est initié dans les sciences védiques. Il continue de gravir les degrés spirituels du vishnouisme, fonde en 1944 la revue Back to Godhead, s’embarque pour les Etats-Unis sur un cargo en 1965, convainc à sa cause l’un des Beatles et multiplie les implantations de son mouvement dans différents pays : en 1970 en France et seulement en 1974 en Inde. Aujourd’hui, le mouvement compte près de 120 centres, souvent un simple restaurant végétarien, dans 38 pays du monde. Les Etats-Unis seuls disposent de 32 centres et le Brésil de 6.
Cette œuvre d’organisation s’accompagne de la production d’une soixantaine de livres de traduction des textes védiques et de leurs commentaires ; 80 millions d’ouvrages, édités dans plus de dix langues auraient été vendus. Ces livres donnent une impression de sérieux, avec références au sanscrit et une présentation soignée. Pour être objectif, il faut reconnaître qu’un tel travail d’édition serait excessif s’il ne s’agissait que d’exploiter la crédulité de naïfs occidentaux. Il y a donc apparemment une certaine bonne foi dans cette croisade de krishna en Occident.
Comme dans tout mouvement de cette nature, on y trouve des individualités originales : un médecin indien émigré aux Etats-Unis qui reprend ainsi racine dans l’hindouisme ou un Noir américain converti qui s’habille en gourou pour aller prêcher krishna en Afrique.
Cependant, les raisons ne manquent pas de s’inquiéter de la pureté des intentions de Hare krishna : des affaires de trafic de drogue ou d’armes ont été instruites aux Etats-Unis et en Allemagne, motivant l’interdiction du mouvement dans ce dernier pays. Mais c’est surtout le style de vie proposé aux fidèles qui parait peu compatible avec un développement harmonieux de la personnalité : les fidèles vivent en communauté et aucun moment n’est laissé à leur réflexion personnelle. Quel que soit le caractère sacré de la prière à krishna, répéter pendant des heures par jour le mahamantra :
« Hare krishna, Hare krishna, krishna krishna, Hare Hare, Hare Rama, Hare Rama, Rama Rama, Hare Hare » 1 n’est pas fait pour aiguiser le sens critique. On apprend aussi sans sourciller que la bataille légendaire de Kuruksetra entre des roitelets de l’Antiquité indienne fit 640 millions de morts en 18 jours, car les combattants disposaient d’armes atomiques et d’autres plus redoutables encore (le texte, lui, parle d’archers et d’éléphants).
Le gourou, représentant de krishna sur terre, inculque donc ce qu’il veut à ses disciples, les fait travailler gratuitement pour la cause et règle même leur vie intime, décidant des mariages et ne permettant de relations sexuelles qu’une fois par mois pour la procréation. L’école primaire du mouvement est obligatoire ; elle prend les jeunes enfants en mains et limite au maximum les contacts extérieurs. La télévision est prohibée, ce qui n’est peut-être que moindre mal. L’objectif semble être d’obtenir une obéissance aveugle à mettre au service du mouvement.
Les moyens financiers d’Hare krishna semblent considérables bien que le nombre d’adeptes ne dépasse pas 15 000 dans le monde, dont 10 000 aux Etats-Unis. On ignore tout bien entendu des objectifs autres que « spirituels » que peuvent poursuivre les douze successeurs du gourou- fondateur.