Les symboles du vie publique des religions
Parler par symboles ou par images n’est pas un genre contemporain. Au siècle de la télévision, il ne paraît pas nécessaire de procéder par comparaisons : l’image directe est partout accessible, même sur la Lune.
Pourtant, Dieu merci, l’imagination garde une place primordiale : ce sont les associations d’idées qui permettent le progrès de la science et donnent tout son charme à la poésie. Quant au surnaturel, par définition, on ne peut que l’imaginer et toute description passe par des comparaisons symboliques. Pour évoquer l’enfer ou le paradis, en admettant qu’ils existent, référence sera faite à ce que nous connaissons de pire ou de meilleur. Le paradis est imaginé comme la surabondance des biens que nous recherchons : les mélomanes le croient rempli de chants mélodieux, les machos de houris ravissantes et les hommes du désert le voient comme un jardin soigneusement cultivé – le jardin d’Eden où murmurent des sources abondantes.
Cependant l’usage des symboles pose un redoutable problème de communication : chacun est naturellement porté à les interpréter en
fonction de son caractère et de son expérience mais aussi du contexte. Ainsi un même message pourra être compris de façon fort différente selon l’interlocuteur. Plus précisément, des difficultés peuvent provenir d’une interprétation soit trop littérale, soit trop symbolique d’un même texte. Des esprits étroits peuvent se scandaliser d’interprétation qu’ils jugent trop éloignées du texte et, à l’inverse, des esprits trop intellectuels peuvent aboutir à des interprétations tendancieuses qui trahissent le sens des mots. Aucune religion fondée sur un texte sacré n’échappe à cette difficulté qui est la source de bon nombre de querelles ou de conflits. Il est compréhensible qu’un croyant, persuadé qu’un texte est d’origine divine – la parole même de Dieu comme le Coran ou inspiré par Dieu comme la Bible -ait les plus grandes difficultés à s’écarter d’une lecture littérale. Les témoins de Jéhovah et les musulmans, par exemple, sont toujours très soucieux de se rattacher à la lettre des textes sacrés. Pourtant, ni les uns ni les autres ne peuvent éviter une certaine part d’interprétation de ces textes. Ainsi les « hadiths », commentaires du Coran faits par le prophète Mahomet ou ses compagnons, viennent préciser le texte sacré et en constituent la jurisprudence.
Dans les Evangiles, la règle du jeu est claire : Jésus-Christ annonce qu’il parle par paraboles – c’est-à-dire par images, par comparaisons – pour que son discours soit compris par le cœur plus que par l’esprit1. Cette méthode d’expression est courante en Orient. Le bouddhisme en particulier y recourt fréquemment. Ce qu’on gagne en facilité de compréhension par des gens de formations différentes risque d’être perdu par manque de précision du message. Le langage symbolique est, de ce fait, mieux adapté à des religions qui laissent une certaine place à la liberté individuelle d’interprétation.
Naturellement, on choisit pour symboles ce qui est suffisamment fami¬lier pour être évocateur : l’eau, la lumière, l’œil, le bras…, comme nous le verrons plus loin.
Mais l’emploi des symboles devient parfois une sorte de jeu intellectuel. Au lieu que les symboles évoquent l’inconnaissable, comme c’est leur fonction première, certains leur confèrent une valeur cachée de telle sorte qu’ils interprètent à peu près n’importe quoi de façon symbolique.
L’exemple le plus étonnant de cette déviation porte sur les chiffres et les lettres : pendant longtemps, les langues telles que l’arabe ou l’hébreu ont donné à leurs lettres une valeur numérique, de la façon dont nous identifions des paragraphes en les désignant aussi bien par A/, B/, C/, D/, que par 1/, 2/, 3/, 4/. A partir de cette équivalence lettre chiffre,
chaque mot peut prendre une valeur chiffrée, somme des valeurs des lettres qui le composent. On en déduit des conclusions extravagantes : si un personnage porte un nom qui par exemple, conduit au même nombre que celui du démon, on déduira qu’il est diabolique. Ce rôle étrange des chiffres se retrouve, à différents degrés, dans toutes les formes ésotériques des religions1 mais il atteint son point culminant dans la Kabbale juive.
De nos jours, cette tendance à la lecture symbolique paraît bien passée de mode, mais elle reste, malgré tout, enracinée sous d’autres formes, au plus profond de nous-mêmes. Pour bon nombre d’entre nous, les mots ont une valeur en eux-mêmes et nous y attachons souvent plus d’importance qu’à la réalité qu’ils recouvrent. Les mots deviennent ainsi une sorte d’incantation magique qui tend à forcer la réalité. Ce phénomène est encore très fréquent dans le vocabulaire politique. Les politiciens de tous bords sont passés maîtres dans l’usage de mots ronflants déconnectés de leur sens d’origine : ainsi on appelle parfois « république démocratique populaire », ce qui est une façon de dire trois fois la même chose2, un système politique où, précisément, on ne laisse aucun choix au peuple.
En matière religieuse, on n’échappe pas à ce vertige des mots. Malgré les efforts de théologiens de préciser autant que faire se peut leur vocabulaire, on a vu au cours des siècles des croyants s’entre-déchirer au nom de notions abstraites qu’ils étaient loin de bien comprendre. Est-on bien sûr que les anciennes divergences entre catholiques et protestants sur la grâce, le libre-arbitre ou la transsubstantiation n’étaient pas de cette nature ?
En somme, et pour nous résumer, l’inconnaissable de nature spirituelle ne peut se décrire que par des mots sortis de leur sens propre, des symboles, bien incapables de rendre précisément une réalité inaccessible. Mais l’homme ne peut renoncer à exprimer comme il peut ce qu’il ressent ou ce qu’il recherche, ce qui est sa raison d’être sur cette terre, son appartenance au mystère de la création et son lien avec le Créateur. Son obstination le conduit parfois à des divagations. Cependant le
rapprochement entre le concret de la nature et l’inconnaissable du monde spirituel est aussi source de poésie et d’excitation intellectuelle.
Quelques exemples permettront d’apprécier la place des symboles dans l’expression des mystères des religions.