Les causes de joie sont innombrables
joie de se reposer ou de travailler
joie de bien manger et de bien boire, joie de séduire et d’être aimé, joie de se dépasser, joie d’être beau, de briller et de dominer, joie de paraître et de posséder, joie de créer ou de connaître, joie de donner et d’aimer…
Chacun sait que ces joies ne laissent pas toutes le même goût, ne sont Pas toutes aussi durables, n’atteignent pas à la même plénitude, n’ont pas les mêmes conséquences. C’est affaire de tempérament d’être plus sensible aux unes qu’aux autres, c’est aussi question d’expérience.
Il existe des joies qui passent par la satisfaction du corps et d’autres par celles de l’esprit. Il est vain d’en comparer la qualité instantanée, ce que l’on constate, c’est leur effet sur l’individu il se trouve « bien dans sa peau » et ressent de la joie de vivre, tout simplement.
Chacun sait qu’il faut profiter de ces périodes agréables, car elles ne sont pas éternelles. Pourtant chaque âge a ses joies et nous vivons une époque où, bizarrement, les adultes ou les vieillards sont souvent moins désenchantés que les jeunes.
Quelles joies faut-il rechercher ?
Y a-t-il une façon de gérer sa vie pour optimiser la joie qu’on en retire ?
Tout miser sur les joies du corps pose de redoutables problèmes de reconversion quand l’âge avance. Les ex-champions réduits à ressasser leurs exploits d’anciens combattants à partir de la trentaine en savent quelque chose.
Les joies de l’esprit – lire, jouer de la musique, faire des études intéressantes – ne sont pas non plus à l’abri des effets de la vieillesse. Et puis tout le monde n’est pas intellectuel ou artiste.
On est amené à se demander si la vie n’est qu’un lent glissement vers l’abîme qui passe obligatoirement par l’affadissement des joies les plus saines. Toutes les joies dont nous profitons ne sont-elles qu’un rideau de fumée qui nous empêche d’être conscients de notre déchéance ? N’y a-t-il rien à faire pour conserver intact notre potentiel de joie ?
Il n’est pas besoin d’être un explorateur chevronné de la nature humaine ni docteur en psychologie pour rencontrer des gens pleins de joie de vivre dont on se demande comment ils peuvent se satisfaire de leur sort. Sans évoquer les premiers chrétiens martyrs qui chantaient des hymnes de joie sous la dent des lions, on peut avoir à chaque instant la chance de connaître un handicapé qui rayonne de joie intérieure ou un prolétaire exploité bien plus heureux que son exploiteur. Ces gens sont peut-être doués d’une bonne nature mais ils donnent à réfléchir.
Nous est-il vraiment interdit d’accéder à une joie qui traverse toutes les épreuves, même si nous n’avons pas une nature résolument optimiste ?
Il semble bien que la joie spirituelle soit la seule qui puisse, sous certaines conditions, être inattaquable et indestructible.
Cette joie peut s’exprimer différemment d’un être à l’autre. Elle est plus facile à percevoir chez ceux qu’on appelle les mystiques : ils ressentent d’une façon particulièrement vive le lien qui les unit à Dieu et ils l’expriment souvent avec une étonnante force de persuasion.
Pascal qui a réussi dans les 39 années de sa vie à tant faire progresser la science théorique et pratique, notamment dans le domaine du calcul des probabilités et dans celui de la construction de machines à calculer, était aussi un authentique mystique. Il eut un jour une si puissante expérience de la présence de Dieu qu’il cousit dans ses vêtements, pour
être sûr de ne jamais s’en séparer, les paroles jaillies de ses lèvres à cette occasion :
lundi 23/11/1654, de 10 h du soir à minuit Feu Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants, Certitude, certitude, sentiment, joie, paix
Dieu de Jésus-Christ Deum meum et Deum vestrum, ton Dieu sera mon Dieu Oubli du monde et de Tout, hormis Dieu Il ne se trouve que par les voies enseignées par l’Evangile
Grandeur de l’âme humaine Père juste, le monde ne t’a point connu mais je t’ai connu Joie, joie, joie, pleurs de joie….
Ce langage est surprenant de la part d’un homme habitué aux raisonnements rigoureux. On est très loin de ce qu’expriment les mines tristes de trop de fidèles à la sortie de leur église, mosquée ou synagogue.
Mais tout le monde n’expérimente pas la joie brûlante d’un Pascal. La joie spirituelle peut être plus paisible, douce et chaude, presque sensuelle. Elle est le fruit de la confiance de l’homme en son Créateur, confiance expérimentée par d’innombrables croyants qui ne la crient pas sur les toits.
Cet état de joie s’acquiert plus ou moins facilement, généralement grâce à une vie de prière soutenue et une conscience en bon état de marche. Rien de très différent apparemment de ce qu’éprouvent des incroyants qui ont surmonté leurs problèmes. Cependant, chez les croyants, cette sensation de bonheur est d’une autre nature en ce sens que précisément elle peut cohabiter avec la présence de difficultés ou d’épreuves normalement incompatibles avec la joie.
Comme c’est au moment des difficultés que la joie est la plus appréciée, cela vaut peut-être la peine de chercher comment se la procurer.
Apparemment, Pascal l’avait trouvée dans sa religion. Pourtant ses sympathies le portaient vers le jansénisme, forme particulièrement austère du catholicisme. La joie n’est donc pas, semble-t-il, assimilable à la gaudriole. D’après tous ceux qui ont ressenti au plus haut degré la joie spirituelle, le ressort profond de cette joie qui efface toutes les autres paraît être l’amour.