Représentations bouddhiques en Indes et à Ceylan
Les tout débuts de la statuaire bouddhique en Inde ne nous sont pratiquement pas connus. Tout au plus avons-nous retrouvé quelques petits bas-reliefs représentant une femme nue aux cheveux épars dans d’anciens stûpas, associés à des reliques. Encore n’est-on pas certain que ce soient là des effigies appartenant au bouddhisme. Parmi les premières œuvres d’art proprement bouddhiques — mises à part les statues d’animaux (lions de Sarnâth, taureau de Râmpurwâ, etc.) de l’époque du roi Ashoka et qui s’apparentent au style des Achéménides —, on ne peut guère citer avec une relative certitude que les statues, souvent colossales, de Yaksha (génies locaux) retrouvées à Parkham, Mathurâ ou Pâtaliputra dans la vallée du Gange. La ronde-bosse est encore assez fruste et un style « indien » proprement dit ne commence à faire son apparition que vers le I siècle avant notre ère, avec d’une part les bas-reliefs ornant les portes (torana) du stûpa de Bharhût et les peintures des premières grottes d’Ajantâ (grotte n 10). Les bas-reliefs et sculptures bouddhiques des portes du stûpa de Sânchî (I siècle de notre ère) montrent déjà un certain progrès dans l’organisation de l’espace, bien que la ronde-bosse ne soit pas encore très affirmée. En revanche, la peinture semble bénéficier d’une technique déjà remarquablement élaborée. Aux environs de notre ère, trois écoles artistiques bouddhiques font leur apparition presque simultanément : celle du Gandhâra, celle de Mathurâ et celle d’Amarâvatî (dans le Sud-Est de l’Inde). Les sites de l’école d’Amarâvatî (Amarâvatî, Jagayapeta, Nâgarjunâkonda, Goli, etc.) nous ont livré de nombreux vestiges de stûpa ornés de plaques de marbre sculptées en bas-relief. Les premières écoles bouddhiques ne représentent pas la personne même du Bouddha qui est seulement symbolisée par un trône, une fleur de lotus, une empreinte de pas, etc. Les divinités brahmaniques associées aux cultes bouddhiques suivent généralement les canons hindous. Parmi les rares sculptures en ronde-bosse de ce temps, on peut citer les « divinités des arbres » des portes des stûpa de Bharhût et de Sânchî. À Amarâvatî, la ronde-bosse était rare. Dans le Nord-Est de l’Inde, en revanche, là où les satrapies d’origine grecque étaient florissantes, la confluence de la plastique grecque et des canons indiens aboutit à une représentation de la personne humaine du Bouddha et des diverses divinités ou êtres divins honorés par le bouddhisme.
L’élégance des silhouettes laïques de l’art d’Amarâvatî se mêlant d’heureuse manière aux canons grecs, apparaissent des images de moines et des Bouddha, le Bouddha historique ayant peut-être succédé, dans Ses représentations, à celles du Bouddha futur, Maitreya. Le profil des visages, tout d’abord nettement grec, s’indianise progressivement, à l’exemple de la statuaire de Mathurâ : la protubérance crânienne, d’abord un simple chignon de cheveux, devient plus plate et s’orne de bouclettes ; le drapé de la robe monastique, d’abord traité en plis amples à la manière du khitôn grec, s’assouplit et adhère au corps en pli? Réguliers. Apparaissent aux côtés des Bouddha des êtres divins tels que les anges ailés et nombre de personnages accessoires, de facture hellénique ou très influencée par l’art grec tardif. Ces critères voyageront avec les missionnaires et seront à l’origine des styles bouddhiques anciens de Ceylan et de la Chine.
La période de l’empire des Gupta (V-IX siècles), marquant une sorte de floraison des arts indiens en général, voit l’art bouddhique parvenir au classicisme. Les caractères de la personne du Bouddha sont alors nettement définis et, tirant la leçon des styles précédents, s’indianisent complètement. L’art suit alors les préceptes des anciens traités techniques (les Shilpashâstra) et se conforme aux traditions esthétiques indiennes, recherchant dans l’appréhension des sujets la stabilité et la sérénité. En sculpture comme en peinture, Bouddha et Bodhisattva sont d’un style élégant, d’une pureté de lignes extrême. Les statues du Bouddha sont souvent de grande taille, et leur robe s’applique étroitement au corps, dont la musculature est seulement suggérée. A partir du V siècle, le drapé devient à peine visible, laissant apparaître le modelé très subtil du corps. En contraste, les images des Bodhisattva et des êtres divins sont plus décorées. Généralement représentées nues jusqu’à la taille, avec une jupe longue à grands plis (comme les dhoti actuels), elles sont ornées de bijoux (colliers, diadèmes, bracelets, boucles d’oreilles), à l’image du vêtement des princes indiens de l’époque. Les auréoles, autrefois rares, deviennent de plus en plus courantes et sont, dans le cas surtout des images du Bouddha, parfois très ornées. Avec les VI et VII siècles, les positions se « standardisent », et les parures et bijoux des Bodhisattva et êtres divins divers s’alourdissent. Les attitudes, de souples qu’elles étaient, deviennent plus hiératiques. Sculptures en ronde-bosse et bas-reliefs tombent facilement dans le poncif, alors que la peinture se développe pleinement (notamment à Ajantâ) et complète les représentations divines avec des scènes laïques et des décors floraux et animaux très réalistes. La figure humaine (divinités ou jolies femmes) est infiniment gracieuse (Sigirîya, V siècle, Bâgh, par exemple). Mais à partir du IXe siècle, alors que l’art hindou semble se diversifier, l’art bouddhique se sclérose un peu : il ne survit véritablement que dans les écoles d’art locales, notamment celles des dynasties Pâla et Sena au Bengale (XIII siècle). Ce sont ces écoles locales qui influencent à leur tour, grâce aux échanges de moines, les écoles artistiques du Népal et du Tibet. En revanche, les arts bouddhiques élaborés jusqu’au VIe siècle environ dans le Gandhâra se propagent en Afghanistan et en Asie centrale, et de leur côté influencent les styles chinois dès le IV siècle. Il ne nous reste pratiquement pas d’œuvre sur bois, bien qu’il ait dû en exister. La plupart des sculptures en ronde-bosse sont réalisées en pierre, en général un grès relativement tendre de la vallée du Gange (carrière de Chûnar), ainsi que les bas-reliefs. A Amarâvatî, c’est le marbre qui domine, merveilleusement traité en bas-reliefs dont le style se retrouvera d’ailleurs à la même époque dans le Gandhâra, sur les plaquettes d’ivoire retrouvées à Begrâm. Par ailleurs, dans le Gandhâra, les premières statues sont faites en schiste, matière difficile à travailler, et qui fut assez tôt remplacée par la terre cuite, puis par le stuc, surtout pour les sculptures décorant les stûpa. Le bronze est principalement utilisé pour les œuvres transportables dans le Sud-Est de l’Inde et au Népal, comme d’ailleurs à Ceylan. Dans cette dernière, la pierre est réservée aux images plus grandes et fixes, qui ornent les monuments et édifices. Dans certains monastères bouddhiques tardifs de l’Inde, comme à Nâlandâ, les styles des bas-reliefs et sculptures bouddhiques montrent d’une part une certaine dégénérescence de l’esthétique, et de l’autre des influences étrangères, chinoise surtout, apportées par les nombreux pèlerins qui venaient étudier dans cette célèbre université.
Le bouddhisme, dégénérant en Inde du Nord, se réfugie pour un temps dans le sud de la péninsule, mais ne produit plus d’œuvre majeure dans cette région, Ceylan excepté. L’art bouddhique se cantonne dès lors, et cela jusqu’à l’arrivée des musulmans au début du XIII’ siècle, au Bengale d’où il disparaît à son tour…