Les formes de Kannon
Nyoirin Kannon Bosatsu (skt. Chintâmanichakra ; chin. Ruyilun Guanyin)
Cette forme d’Avalokiteshvara fut représentée très tôt en Chine, notamment dans les grottes de Longmen et de Yüngang. C’est une forme féminine (?), « la roue du Joyau qui satisfait tous les désirs ». Elle est représentée, en Chine, au Türkestân et au Japon, sous plusieurs formes (formes tantriques inconnues en Chine) :
- Assis en Padmâsana, avec deux bras (plus rarement quatre), les mains en Abhaya-Varada-mudrâ.
- Assis en Vajrâsana sur un lotus, avec deux bras, un haut chignon décoré, l’épaule droite dénudée, la main droite tenant un chintâmani, la main gauche un lotus.
- Assis en Lalîtâsana sur un socle, avec une haute couronne ornée de trois joyaux, la main droite touchant la joue (attitude pensive), la main gauche posée sur la cheville droite. Forme typiquement chinoise.
- Avec six bras assis en aise royale, torse nu , les poignets ornés de bracelets. Son auréole est alors celle utilisée pour les représentations appartenant aux sectes tantriques, formée de deux halos ronds ; la main droite principale touche sa joue (pose pensive) avec l’index ou bien soutient sa tête ; la main gauche principale est appuyée sur le lotus du siège ; les autres mains tiennent un chintâmani près de la poitrine et une roue de la Loi, parfois un rosaire.
Lorsqu’il est représenté assis sur un rocher et regardant l’eau, il est souvent confondu avec Suigetsu Kannon, une des « trente-trois formes ». Il fut représenté en Chine dès le Xe siècle, notamment à Dunhuang, dans cette attitude. Nyoirin Kannon peut aussi assumer d’autres formes, moins courantes, à huit, dix ou même douze bras (en peinture). Dans les mandala81, les sept étoiles de la Grande Ourse se trouvent parfois groupées autour de ce Bodhisattva.
Nyoirin Kannon n’est plus, de nos jours, l’objet d’aucun culte. Il fut cependant assez en faveur autrefois et utilisé au Japon comme « divinité de dévotion privée » (Nenji Butsu). On raconte que Taira no Shigemori (mort en 1179) possédait une petite statuette de Nyoirin Kannon de 9 cm de hauteur qui était sa divinité personnelle (actuel¬lement au Kôfuku-ji, à Nara). Une forme syncrétique japonaise de Nyoirin Kannon, appelée Seiryû Gongen, est représentée comme un Kami shintô féminin ( ?), en costume de cour de l’époque de Heian, tenant un chintâmani dans la main droite. Cette forme aurait été rapportée par Kôbô Daishi au monastère du Jingo-ji (Kyôto).
Batô Kannon (skt. Hayagrîva)
Appelé aussi parfois Mezu, Dairikiji Myô-ô ou encore Batô Myô-ô lorsqu’il est considéré comme un roi de Science magique (Vidyârâja), (et aspect d’Avalokiteshvara est une forme « bouddhisée » japonaise île Hayagrîva, incarnation bouddhique tibétaine du dieu Vishnu du pan¬théon brahmanique. Dans le mandala du Garbhadhâtu, Batô Kannon est une personnification terrible d’Amitâbha : dans ce cas il ne porte pas de couronne.
Son effigie se trouve parfois placée au bord des chemins du Japon, où le populaire croit qu’elle a le pouvoir de chasser les mauvais esprits. Mais sous cet aspect, il’est confondu avec Batô Myô-ô.
Au Japon les sanctuaires shintô de Kumano Oji vénèrent une ma¬nifestation syncrétique de Batô Kannon sous le nom de Kichijô Komagata. Cette manifestation était déjà connue au Kashmîr comme une divinité des éleveurs de chevaux, et est vouée au salut de la destinée animale. Dans le nord du Japon, un culte très populaire lui est rendu en tant que protecteur des animaux , en particulier des chevaux et du bétail. Dans certains des sanctuaires où il est vénéré, on lui offre des chevaux votifs blancs en bois et plâtre. Par ailleurs, on sait la faveur dont ont toujours joui, en Chine comme en Inde ou au Japon, les chevaux blancs, symboles de puissance et de chance, probablement une résurgence de croyances chamaniques : l’un des plus anciens temples bouddhiques de Chine, à Luoyang, s’appelait « monastère du Cheval Blanc » (Baima Si). Et dans les sanctuaires shintô du Japon, souvent un cheval blanc est installé, considéré comme un messager des Kami…
On représente généralement Batô Kannon sous deux aspects principaux :
- Avec une tête de cheval sur un corps humain Cet aspect, rare, est parfois appelé Mezu.
- Sous une forme humaine portant une ou deux têtes de cheval sur sa coiffure : c’est l’aspect le plus commun. Batô Kannon porte alors une couronne basse ornée sur le devant d’une effigie d’Amitâbha, une ou trois têtes à trois yeux chacune, et il arbore une expression menaçante avec des crocs dépassant de la bouche, les cheveux dressés en mèches. La tête de cheval, si elle est seule, est blanche ; si elle est double, elle est blanche (pureté) et bleue (puissance). La tête de cheval est parfois remplacée par un vajra…
On représente Batô Kannon soit debout sur un lotus, soit assis en Padmâsana ou en aise royale (parfois sur un buffle couché). Il tient souvent une hache dans la main droite. Son auréole est enflammée comme celle d’un Vidyârâja. Les images de Batô Kannon ont généra¬lement huit bras. Les deux mains principales sont réunies en Anjali- mudrâ, en Renge-no-in ou en Batô-in, les autres tenant une roue de la Loi, un glaive, une massue (ou un bâton de sagesse, jap. hôbô), une corde, un vajra à cinq pointes (jap. gokosho). Une variante habituelle le montre avec les mains principales en Anjali-mudrâ, les autres mains droites portant une hache, un rosaire et un glaive, les autres mains gauches tenant une roue à huit pointes (jap. rinbô), un bâton de sagesse, ou bien sont en Ketsu-in (sorte de Varada-mudrâ).
Cependant, l’iconographie japonaise connaît de nombreuses autres formes de Batô Kannon (pour la plupart confondues avec celles de Batô Myô-ô) qui le montrent avec une tête et deux bras; trois têtes et deux bras ; trois têtes et quatre bras ; quatre têtes et deux bras ; quatre têtes et huit bras, etc.
Juntei Kannon Bosatsu (skt. Chundî)
Ce Bodhisattva (dont le nom japonais est parfois prononcé Jundeï), « la Pure », est une forme féminine d’Avalokiteshvara. C’est aussi Juntei Butsu-mo, « la mère des Bouddha », ou, pour certaines sectes ésotériques, Shichigûtei Butsu-mo, « Mère des Bouddha aux sept pointes » (Saptakotibuddhamâtri), aussi appelée Koti-shrî, réputée être la mère de sept cent mille Bouddha. C’est peut-être également une forme japonaise de Durgâ, une parèdre indienne de Shiva. Mais on s’accorde généralement à la faire correspondre à Chundî. Cette manifestation de Kannon, souvent confondue avec celle de Senju Kannon et surtout représentée en peinture, n’est pas, en principe, reconnue par la secte Tendai88. C’est une manifestation essentiellement féminine, ayant une expression tantôt douce, tantôt colérique. Selon A. Foucher, Chundî (ou Chundâ) serait à l’origine une divinité solaire, Ushas, déesse de l’aurore. Selon Waddell, elle serait une métamorphose du soleil. On l’identifie aussi parfois avec Mârîchî dont les sept sangliers formant son piédestal « assumeraient le rôle des sept chevaux du soleil ». Elle est généralement montrée assise ou debout sur un lotus et pourvue de deux, quatre, six, huit, douze, dix-huit, trente-deux ou même soixante- quatre bras. Elle porte une couronne ou une haute tiare cylindrique (ou conique). La forme possédant dix-huit bras est la plus communé¬ment représentée : elle a une expression douce, est vêtue d’une robe lui couvrant .les deux épaules et ses bras sont ornés de nombreux bracelets. Derrière son effigie se tient une grande auréole en bateau (jap. funagata kôhaiS9). Elle a les mains droites principales en Abhaya-mudrâ, les mains gauches principales (bras replié) en Abhaya ou Varada-mudrâ, les autres mains droites en Abhaya, avec un glaive, un rosaire, un fruit, une hache, un croc à éléphants (angkusha), un vajra, un pendentif (jap. roman), etc., les mains gauches avec un bâton de religieux orné de flammes (jap. nyo-i hôto), un lotus, un vase, une corde, un anneau, une conque, une boîte à sûtra, etc.
Lorsque Juntei est représentée assise, elle tient ses quatre mains principales en Dharmachakra-mudrâ et en Abhaya-mudrâ devant sa poitrine. Ses autres mains droites tiennent un trident, un rosaire, des fruits, un chintâmani, un glaive, un lotus, etc., tandis que ses autres mains gauches tiennent un lotus, une roue de la Loi, un pot (à médecine ?), une corde, un vase, etc. Elle a une écharpe céleste sur l’épaule gauche, des colliers et des bracelets, le reste du torse demeurant dénudé. Cette dernière représentation porte le nom de Shichigûtei Butsu-mo, et ne se trouve que sur des mandala. Une forme particulière de Juntei Kannon est réputée faciliter les accouchements et protéger les enfants, combattre aussi la stérilité. Cette Koyasu Kannon est alors assimilée à une divinité ordinaire (Deva) et représenterait une forme de Hârîtî. Nous l’étudierons avec cette dernière divinité.
Fukûkensaku Kannon
Cette forme japonaise d’Avalokiteshvara est particulière aux sectes de Nara et du Tendai. Fukûkensaku (prononcé parfois Fukûkenjaku) correspond à Amoghapâshâvalokiteshvara ou Amo-havajra. C’est « Celui qui pêche les humains pour les amener à l’Eveil ». Appartenant principalement aux sectes Kegon et Tendai, et surtout représentée le Garbhadhâtu Mandata, cette forme n’est pas reconnue, tout au même en principe, par la secte Shingon.
Fukûkensaku Kannon est représenté comme un Bodhisattva, il ai pour attribut principal une corde (pâsha ; jap. saku, kensaku), nvi’M laquelle il capture les humains, et un crochet ou hameçon pour ici pêcher dans les eaux troubles du monde. Ses autres attributs sont Im lotus, le vase, le rosaire et le bâton de pèlerin (khakkhara). Il a une haute couronne, parfois ornée de têtes. Cependant ses attributs peuvent varier d’une représentation à l’autre, ces dernières étant fort diverses.
On lui reconnaît deux acolytes, Nikkô (Sûrya) et Gakkô (Chandni) deux Bodhisattva symbolisant le soleil et la lune. Il assume plusieurs aspects :
- avec un visage à trois yeux, huit bras dont deux en Anjali-mudnl, les autres bras avec des attributs variés appartenant à d’autres forme d’Avalokiteshvara. Il a une image d’Amitâbha dans sa couronne et est toujours accompagné par ses deux acolytes ;
- avec un visage à troll yeux et deux bras ;
- avec un visage à trois yeux et quatre bras ;
- avril un visage à trois yeux et dix-huit bras ;
- avec trois faces à trois yeux et quatre bras ;
- avec trois faces à trois yeux, six bras, assis, les main» en Anjali-mudrâ et des attributs divers ;
- avec trois faces à trois yeux et dix bras ;
- avec onze faces et huit bras ;
- avec onze faces et trente deux bras, etc.
Bikuchi Kannon Bosatsu (skt. Bhrikutî)
Forme tantrique d’Avalokiteshvara, correspondant à Bhrikutî, « Celle qui fronce les sourcils », elle serait née d’un froncement des sourcils d’Avalo¬kiteshvara dont elle représente l’aspect colérique. C’est la forme japonaise de la Târâ « jaune » du panthéon tibétain, parfois confondue avec Tara Bosatsu (Darani Bosatsu). Aussi appelée «Celle qui est ridée », elle est représentée comme une vieille femme au visage empourpré de colère. Dans le Garbhadhâtu Mandata elle est assise en Padmâsana, avec une effigie d’Amitâbha (dont elle serait aussi une hypostase) dans son chignon : elle a une seule tête avec trois yeux. Elle a quatre bras (les mains droites en Varada-mudrâ et tenant un rosaire, les mains gauches tenant un lotus épanoui, un vase91 ou un rouleau de sûtra). Lorsqu’elle est représentée avec trois têtes et six bras (rare), elle a deux mains en Varada-mudrâ, les autres tenant un trident, un rosaire, un lotus, une guirlande… A la place de son troisième œil frontal elle a parfois, comme le Bouddha, une touffe de poils blancs (ûrnâ).
Dans quelques sectes ésotériques japonaises on la nomme parfois Joshô Kongô. Cette forme d’Avalokiteshvara, qui ne fait l’objet d’aucun culte réel, n’est représentée qu’en peinture ou sur des mandala.