Estimation du nombre d'adeptes des grandes religions
Rien n’est plus hasardeux que d’avancer des chiffres en matière de religion, puisque c’est, par nature, une affaire de conscience personnelle. Même si l’on pouvait poser à chaque individu la question extrêmement simple : « Quelle est votre religion ? », on trouverait aussi bien des incroyants qui, par pression sociale, se déclareraient croyants que le contraire, sous les régimes officiellement athées par exemple.
Sans évoquer la phrase de Staline – « le Vatican, combien a-t-il de divisions ?» – il faut reconnaître qu’on peut compter des troupes, mais on ne peut apprécier des croyances.
Est-il bien raisonnable, par exemple, de compter comme chrétiens tous les baptisés, alors qu’un nombre important d’entre eux ne retrouvent l’église qui les a enregistrés que pour une cérémonie d’enterrement ? Mais cette absence de pratique de toute une vie n’est possible que dans un système qui le permet à ses ressortissants. Jamais on ne verra un Saoudien déclarer qu’il n’est pas musulman, alors qu’en Arabie comme ailleurs – peut-être moins qu’ailleurs – il existe un nombre non négligeable d’indifférents qui ne respectent pas le Coran à la lettre pour peu qu’ils soient à l’abri du qu’en dira-t-on.
En outre, si, en Europe, la réponse concernant l’appartenance à une religion est généralement simple et unique, au Japon par exemple la réponse la plus fréquente consistera à se juger adepte de deux, trois ou quatre religions : un Japonais pratiquera des rites shintoïstes pour la naissance, bouddhistes pour les funérailles, suivra fréquemment des comportements confucianistes et ne récusera pas pour autant le christianisme, considérant la Bible comme un best-seller de la spiritualité. De la même façon, l’Amérique Latine, quasi totalement baptisée dans une religion chrétienne, le plus souvent catholique, conserve dans ses populations indiennes ou noires des cultes de type animiste1, refuges de l’identité culturelle ou ethnique, qui se cumulent sans trouble apparent avec le catholicisme. On trouve ainsi des Africains, particulièrement au Bénin
mais également dans d’autres pays, qui sont profondément religieux et se sentent à la fois catholiques, musulmans et animistes.
Dans ces conditions, il serait plus scientifique de se refuser à donner des évaluations quantitatives. Quant à une évaluation qualitative, elle n’appartient qu’à Dieu, en admettant que cette question l’intéresse.
Si l’on cherche toutefois, ce qui est légitime, à dégager des ordres de grandeur grossiers de l’importance quantitative des religions, une constatation s’impose : depuis le début du XXe siècle au moins, on ne peut plus négliger la masse de ceux qui sont inclassables et ne rentrent pas dans une religion particulière.
Les raisons de ce phénomène sont nombreuses. La plus importante semble être que la croyance en un Etre suprême, appelé Dieu, n’implique pas la pratique assidue d’une religion ; or, jadis, on classait ces croyants dans la religion dominante de leur pays, tandis qu’aujourd’hui il est plus facile de récuser toute appartenance religieuse.
Parfois aussi, la pression sociale conduit à se déclarer athée quand on ne pratique pas : quand l’Asie Centrale était soviétique, selon le discours officiel, seuls les anciens se rendaient à la mosquée. Mais si l’on interrogeait les plus jeunes, ils répondaient qu’ils iraient à la mosquée une fois à la retraite. Le « stock » des pratiquants était donc indéfiniment renouvelable, ce que la présentation officielle ne suggérait pas.
Faute de pouvoir apprécier la pratique réelle, la seule possibilité est d’estimer le nombre de ceux qui reconnaissent se rattacher, au moins sociologiquement, à une religion. Pour les chrétiens, on recensera le nombre des baptisés, ce qui est relativement simple, mais un nombre important de baptisés peut avoir perdu non seulement toute pratique mais aussi leur croyance d’origine. Même en Israël, dont le peuple se rassemble autour d’une religion, les pratiquants rigoristes ne sont qu’une minorité d’environ 10 % de la population, et beaucoup d’Israéliens, profondément attachés à la culture juive, se considèrent comme non religieux et parfois même athées.
La situation est opposée dans les pays musulmans. Cette religion a un caractère global qui touche l’ensemble de la vie courante1 et la société exerce donc généralement une pression de fait qui rend fort difficile de se dire à moitié musulman ou bien croyant, mais non pratiquant. Le fait de vivre selon les règles de la société musulmane constitue un critère visible d’appartenance à l’Islam. On peut imaginer dans ces pays des pratiquants non croyants alors que, dans les pays de tradition chrétienne, on rencontre souvent des croyants non pratiquants.
Retenons que, contrairement aux évaluations du siècle passé, il est aujourd’hui normal d’évaluer le nombre de ceux qui n’ont pas de religion
connue ou pas de religion du tout. Il en résulte l’apparition subite au XX’ siècle d’une masse de plus du tiers de l’humanité qui se range dans cette catégorie. Cela n’est pas, pour l’essentiel, dû à un développement spectaculaire de l’athéisme, c’est une manière plus honnête d’évaluer la réalité. L’athéisme a toujours existé, il se développe sûrement, mais il n’a pas pris subitement en un siècle la place que lui reconnaissent aujourd’hui les statistiques. Il faut d’ailleurs rappeler que beaucoup de ces incroyants vivent dans des pays dont le régime est ou a été antireligieux, comme les pays de l’Est européen ou la Chine. Quand le but du gouvernement est explicitement de lutter contre toute religion, le plus simple est de faire disparaître la religion des statistiques. La moindre prudence pour un croyant est de ne pas afficher son appartenance religieuse, ce qui laisse la place à toutes les suppositions les plus contradictoires sur la situation réelle. La Corée du Nord en est l’exemple le plus frappant.
Sous toutes ces réserves, il faut bien se résoudre à articuler quelques chiffres. On pourrait être tenté de donner une fourchette dont la valeur supérieure correspondrait à une affinité plus ou moins nette avec la religion considérée et la valeur basse à une pratique délibérée, sinon militante. L’inconvénient est que l’écart entre ces chiffres serait trop grand pour permettre une interprétation comparative de la situation des religions. En outre, ces chiffres sont aussi fort difficiles à évaluer et cette méthode doublerait les obstacles à surmonter.
Les chiffres retenus sont donc ceux généralement admis par les spécialistes, parfois légèrement corrigés pour tenir compte d’appréciations divergentes.
Quatre grands groupes de religions se partagent la quasi-totalité des croyants :
-le christianisme : environ 1 890 millions d’hommes
-l’Islam: » 1200
-l’hindouisme : » 900
-le bouddhisme » 400
Le nombre de personnes récusant l’appartenance à toute religion est estimé à 1 800 millions.
Parmi les adeptes des autres religions, le groupe très disparate des animistes purs, c’est-à-dire sans autre croyance, compte un peu plus de 100 millions d’âmes. Leur nombre décroît par suite des conversions à l’Islam ou au christianisme, mais le nombre total d’hommes qui conservent des pratiques animistes malgré leur appartenance à d’autres religions reste considérable et dépasse vraisemblablement le chiffre de 300 millions.
Il faut aussi compter 22 millions de sikhs, 14 millions de juifs, 10 millions de mormons, 6 millions de bahaïs, près de 300 000 zoroastriens, etc.
Si l’on souhaite entrer dans le détail, on s’aperçoit vite que chacune des grandes religions se décompose en courants de pensée où l’essentiel est conservé, mais où les différences sur des points secondaires peuvent être considérables.