Formes ésotériques d'Avalokiteshvara
Afin de concrétiser pour les fidèles les pouvoirs multiples d’Avalokiteshvara ainsi que son aptitude à atteindre tous les êtres, où qu’ils soient et quelque nombreux qu’ils puissent être, d’autres formes sont très tôt apparues qui appartiennent toutes aux divers bouddhismes tantriques, ou tout au moins aux doctrines se réclamant de l’ésotérisme. Parmi les plus vénérées de ces formes, dont les représentations sont surtout nombreuses au Japon et en Chine, parmi d’autres nous décrirons celles d’Ekâdashamukha (aux onzetêtes), Sahasraneta (aux mille bras), Chintâmanichakra (au joyau), Batô Kannon (à la tête de cheval), Chundî (la Pure, donneuse d’enfants), Fukûkensaku Kannon (qui pêche les humains), de Bhrikutî (qui fronce les sourcils).
Avalokiteshvara aux onze têtes (jap. Jûichimen Kannon ; skt. Ekâdashamukha)
Cette forme d’Avalokiteshvara, correspondant peut-être également à Sîtâtapatra, est caractérisée par la présence de onze têtes qui sont des formes apparitionnelles (Nirmânakâya) d’Avalokiteshvara, têtes appelées kebutsu au Japon, et qui se trouvent généralement placées sur sa couronne, symbolisant les vertus principales de ce Bodhisattva, vertus qui lui sont indispensables afin de pouvoir conquérir les onze désirs pour atteindre à la Bodhi, à la perfection de l’Eveil , et aider les êtres à l’atteindre également.
Les têtes de la couronne de ce Bodhisattva sont réparties selon trois types principaux de groupement :
- Tête principale surmontée de trois rangs de trois têtes, plus une au dos et une au sommet .
- Tête principale surmontée de trois rangs de cinq, quatre et une têtes, plus une sur le devant de la coiffure .
- Tête principale surmontée de dix têtes disposées en couronne et entourant une onzième. Cette dernière disposition est relativement rare.
Dans ces trois groupes, les têtes seraient ainsi théoriquement réparties :
- Trois faces sur le devant, sereines, représentant les « trois trésors cachés » .
- Trois faces à gauche, furieuses, représentant les « trois défenseurs ».
- Trois faces à droite, sereines mais montrant des crocs, représentant les « trois gardiens » .
- Une face (tête ou statuette debout, jap. chôjô butsu) au sommet ou debout sur le devant de la coiffure et représentant Amitâbha.
Lorsqu’il existe une face ou une tête au dos de la coiffure, elle est souriante et représenterait le Karma. Selon le Garbhadhâtu Mandala, ces trois groupes de têtes représenteraient les séries des « trois mondes » (des démons, des humains et des Bouddha).
Sur l’auréole des représentations d’Avalokiteshvara à onze têtes sont généralement mises les images de cinq soleils de chaque côté et d’un chintâmani, symboles des onze formes apparitionnelles de ce Bodhisattva. On connaît, surtout au Japon, d’assez nombreux types de représentations de cette divinité :
- Debout sur un lotus, avec deux bras très longs : la main droite en Varada, la main gauche tenant un vase de fleurs ; ou la main droite en Varada et tenant un cordon de joyaux, la main gauche tenant sur la poitrine un vase de fleurs de lotus ; ou encore la main droite tenant un pan de son écharpe céleste (jap. tenne), la main gauche tenant un lotus ou un vase .
- Assis sur un lotus, avec quatre bras : Amida central de la couronne debout, la tête du sommet avec une auréole, un collier de pierreries, les mains droites tenant un rosaire et un bâton de pèlerin (khakkhard), les mains gauches tenant un lotus et un vase de fleurs.
- Type Kumen (neuf têtes) : cette forme aberrante ne comporte que neuf têtes en couronne. Avalokiteshvara est alors debout, la main droite pendante ou tenant un bâton de pèlerin, la main gauche tenant un vase, le bras replié .
D’autres types existent, assez nombreux, qui sont généralement dérivés de ces formes. Ils peuvent, malgré de légères différences dans les détails, être classés dans ces catégories.
Une forme exceptionnelle, appelée Hôshi Oshô et se trouvant au musée de Kyôto (Japon), en bois, d’époque Kamakura, montre Jûichi- men Kannon apparaissant dans le visage entrouvert d’un moine. Ce dernier, le crâne rasé, vêtu de la robe monastique, tient dans la main gauche un vase et fait un geste d’apaisement (Abhaya-mudrâ) de la main droite. Il est debout sur un lotus. Ce moine chinois, prédicateur persécuté, serait mort vert en Chine, à l’âge de quatre-vingt-dix- sept ans, et se serait révélé être une incarnation d’Ekâdashamukha Avalokiteshvara, . D’après A. Getty ,une des images de la couronne de ce Bodhisattva serait celle de Kikuta Sanzô, un moine indien venu au Japon entre le VIIe et le IXe siècle : il a alors les mains cachées par sa robe.
Avalokiteshvara aux mille bras (Sahasrabhûja Sahasranetra ; jap. Senju Kannon)
Ce Bodhisattva, dont le nom sanskrit signifie « aux mille bras et aux mille yeux » (deux épithètes de Umâ, une parèdre de Shiva), est la divinité de la Bonté pure, omnisciente, omnipotente. Lorsqu’il est appelé au Japon Senju Sengen Kanjizai Bosatsu, il correspond à la lorlfl sanskrite de Sahasrabhûjâryavalokiteshvara. Il possède théoriquemffl mille bras symbolisant la multitude de ses pouvoirs. Dans la réalité le représente plus généralement avec seulement quarante-deux , Cependant quelques rares images le montrent, debout ou assis, avec mille bras, parfois avec onze ou vingt-sept têtes. Ses mains supérieures sont en vénération (Anjali-mudrâ), tandis qu’une autre paire de mains supporte un bol à aumônes (pâtra). Les autres mains, parfois ornéfl d’un œil dans la paume (idée peut-être d’origine tibétaine et qui syifll bolise la vision omnisciente d’Avalokiteshvara), tiennent chacune symbole ou bien réalisent une mudrâ. Les mains les plus élevées (ils sont normalement disposées en éventail autour du corps du Bodhisativii)] portent les effigies du soleil et de la lune. La liste suivante des attributs» de ce Bodhisattva énumère ceux qui, au Japon principalement, sont le» plus couramment utilisés pour les représentations comportant qua rament deux bras.
En plus de ces attributs, ce Bodhisattva a deux mains en vénération (Anjali-mudrâ) et deux mains en Dhyâna-mudrâ. Ces attributs sont ceux d’une forme particulière de Jûichimen Kannon (à vingt-sept têtes et quarante-deux bras, au Hosshô-ji, Kyoto), mais ils peuvent varier selon les statues ou l’ordre dans lequel ils sont disposés. En fait tous les attributs concevables peuvent lui être adjoints, afin de symboliser sa puissance universelle, son omniscience et sa faculté de pouvoir atteindre tous les êtres…
Les origines des représentations de ce Bodhisattva peuvent être retrouvées jusqu’en Inde, où ses images à bras multiples sont cependant rares et n’excèdent généralement pas quatre, six ou douze bras.
Au Tibet, il est représenté selon les canons traditionnels, mais ses effigies à plus de huit bras sont exceptionnelles. Il est souvent entouré, sur les mandala, d’autres divinités et d’Arahant ou de moines. Mais c’est surtout sa forme, confondue avec celle d’Avalokiteshvara à onze têtes, qui est le plus souvent représentée.
Avalokiteshvara à mille bras ne possède généralement qu’une seule tête, ornée soit d’une haute couronne nue (jatâmukuta), soit d’une couronne plus basse avec une figure d’Amitâbha debout ou assise sur le devant (origine ancienne que l’on peut faire remonter jusqu’à l’art bouddhique du Gandhâra), soit encore d’une couronne ornée de nombreuses têtes (dans ce cas, il réunit aussi les attributs d’Avalokiteshvara Ekâ- dashamukha). Mais il se trouve parfois couronné de vingt-sept ou vingt- huit têtes qui représenteraient les vingt-huit génies protecteurs (jap. Bushû) des fidèles et qui sont censés (au Japon tout au moins) assister Senju Kannon dans sa tâche, les Nijûhachi Bushû. Dans le Garbhadhâtu Mandala, ces vingt-huit têtes sont décrites comme représentant les vingt-huit constellations (Nakshatra) sous forme de divinités ordinaires (Deva).
Lorsque ce Bodhisattva est représenté assis en Padmâsana, ses mains sont disposées en auréole autour de son corps. Lorsqu’il préside aux vingt-huit Bushû, il possède un troisième œil. En peinture, lorsqu’il est couronné de onze têtes et qu’il est alors confondu avec Ekâ- dashamukha, il possède quatre mains en Abhaya-mudrâ, symétriques, deux mains en Anjali-mudrâ, les autres étant disposées en éventail. Sur quelques mandala il est montré assis avec mille bras, couronné de onze têtes, deux mains en Anjali-mudrâ, deux autres tenant le bol à aumônes et quatre autres en Dharmachakra-mudrâ, les autres bras étant disposés en auréole.
Une forme particulière de ce Bodhisattva au Japon, appelée Senju Yûgen Kannon, serait apparue à Kûkai sur le bateau qui ramenait ce moine de Chine en 806. Il a une apparence de Deva, est couronné de fleurs et apaise les flots d’un geste de la main.