La Chine rate sa « révolution Meiji »
Quelles responsabilités peut-on attribuer au confucianisme dans l’état actuel de la Chine ? Mais d’abord quel est cet état ? C’est celui d’un pays très sous-développé (en 1993 son PNBH était près de 80 fois inférieur à celui du Japon…), fortement marqué par le marxisme mais qui commence à accélérer son développement depuis l’adoption d’un « système socialiste de marché ». Pour bien comprendre ce curieux retard parmi le monde sinisé, il est nécessaire de connaître les révolutions, les hésitations, les invasions qu’a connues la Chine au cours de sa longue histoire et particulièrement au cours des derniers siècles. Historiquement ce pays a vu se succéder une vingtaine de dynasties en 2500 ans, ce qui témoigne de nombreuses ruptures, de nombreux chocs douloureux. Pourtant cet empire de paysans attachés à leurs rizières n’était pas particulièrement violent mais ce monde sédentaire se trouvait, pour son malheur, voisin de « barbares » occupant les vastes espaces plus ou moins désertiques du Nord et de l’Ouest. Ce sont ces nomades qui infligèrent les guerres les plus cruelles, les plus meurtrières aux Chinois et leur firent perdre non seulement des millions d’hommes mais même leur indépendance lorsque s’installa en 1279, à Pékin, une dynastie mongole suite aux conquêtes de Gengis Khan.
En 1644 encore, les Mandchous, habitants du nord-est de la Chine, s’affranchissent de la suzeraineté chinoise et prennent le pouvoir dans l’ensemble de l’empire ; ils le garderont jusqu’à la proclamation de la république en 1911. Le début de cette dynastie Qing correspond à une nouvelle prospérité pour la Chine. En fait les occupants sont peu nombreux (sans doute 200000 hommes) pour dominer les 150 millions d’habitants de l’Empire du Milieu. Aussi sont-ils obligés de rechercher la collaboration de leurs dominés en prenant bien soin de ne pas trop perturber la remarquable
structure bureaucratique des mandarins. D’autre part, afin de se concilier les campagnes, les Mandchous favorisent le monde rural grâce à l’instauration d’un impôt équitable, au développement de greniers et à l’irrigation des terres. Le monde urbain n’est pas oublié et l’artisanat se développe au point que quelques manufactures ressemblent parfois à de petites industries avec, malheureusement, un véritable prolétariat. Quant aux marchands, ils profitent évidemment de ces nouvelles activités rurales et urbaines sans toutefois arriver à créer une véritable « bourgeoisie » comme en Europe, la raison étant sans doute la trop grande présence de l’Etat via les mandarins, détenteurs de tous les pouvoirs.
La vie culturelle va également connaître un âge d’or et s’épanouir au XVIIIe siècle : philosophes et savants peuvent, sans complexe, se comparer aux plus brillants esprits occidentaux. Mais à ce moment vont intervenir quelques facteurs décisifs qui empêcheront la Chine d’accéder au développement industriel européen. Tout d’abord l’Empire connaît dès cette époque un formidable accroissement démographique qui déstabilise l’économie et du même coup affaiblit le pouvoir. Arrivent alors les puissances européennes qui vont s’efforcer, par tous les moyens, de pénétrer en Chine et de la dépecer afin d’obtenir un maximum d’avantages commerciaux. C’est l’époque de « la guerre de l’opium » qui aboutira, en 1842, à l’ouverture de cinq ports et au « prêt » de l’îlot de Hong Kong. Epuisé par ces luttes contre les européens, le pouvoir ne parvient même pas à empêcher une véritable guerre civile. Les armées révoltées, commandées par Hong Xinquan, parviendront à prendre Nankin mais seront finalement écrasées en 1864 par le pouvoir chancelant des Mandchous, aidé pour l’occasion par les forces européennes. Mais cette aide est chèrement payée : la Chine est découpée en « zones d’influence » et perd pratiquement son indépendance.
L’Empire ne trouve pas le moyen de se ressaisir : les idées, les débats ne manquent pas davantage que les coups d’Etat, les sociétés secrètes et les tentatives de réforme, mais aucun homme providentiel comparable à l’empereur japonais Meiji n’est présent pour préparer la riposte à l’Occident. La Chine ne parvint pas à accepter la nécessaire modernisation occidentale pour pouvoir, précisément, rejeter les impérialistes. Il faut dire que, pendant une longue période cruciale (1860-1908), l’impératrice douairière Cixi sera beaucoup plus occupée à maintenir son pouvoir usurpé qu’à développer la Chine. Souvent elle divisa, elle suscita des luttes de factions entre conservateurs et novateurs ou entre les divers gouverneurs qui détenaient le vrai pouvoir dans les provinces. Violemment opposée à la modernisation, elle soutint même en 1900 la révolte xénophobe
des Boxers qui voulaient détruire toute trace de modernisation, d’occidentalisation.
Confucius fut, plus souvent qu’elle, accusé du blocage et du retard de la Chine, notamment par les étudiants de Pékin lors des grandes manifestations de 1919 en faveur des réformes sociales et culturelles. Pourtant « Une femme ne doit point se mêler des affaires publiques » peut-on lire dans le « Canon des Poèmes » confucéen…
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