La connaissance
La fréquentation de Dieu que recherchent les religions place la connaissance sur un plan différent de la connaissance scientifique. Il ne s’agit pas de la connaissance de Dieu Lui-même qui dépasse nos capacités : même si Dieu se révèle comme II le fait pour certains mystiques, ce n’est que l’institution lumineuse d’une vérité inaccessible et indescriptible.
Aussi n’est-ce pas la connaissance de Dieu, réservée peut-être à une autre vie, à laquelle la religion peut nous faire accéder. C’est bien plus simplement la compréhension du rôle que nous devons jouer sur cette terre.
A quoi servirait-il de disposer de tant de liberté si c’était pour tourner en rond à la recherche du mode de vie qui nous convient le mieux ? Notre épanouissement dépend évidemment pour une large part de la connaissance de notre propre personnalité, y compris sa dimension spirituelle. A côté de la connaissance expérimentale ou intellectuelle, il existe sans doute une connaissance de nature spirituelle, bien malaisée à décrire puisqu’il ne s’agit ni de sensation ni de raisonnement.
Pour prendre une comparaison bien imparfaite, essayez d’analyser sur quoi repose la sympathie que vous éprouvez pour quelqu’un ? Il n’y a pas que des critères d’intelligence et de beauté mais un certain charme auquel vous êtes sensible, une expression du sourire, une allure générale qui sortent des critères rationnels.
Ainsi, la vie spirituelle, quand elle est suffisamment profonde, permet la perception des gens et des choses sous un autre angle. Nos jugements, dont nous savons bien à quel point ils peuvent être parfois défaillants, s’éclairent différemment à la lumière de l’expérience spirituelle.
La principale conséquence de cette lucidité nouvelle est de modifier notre système de valeurs, sans toutefois le bouleverser. Tout ce que nous trouvons bon et agréable, comme la nourriture, la sexualité, les distractions, les satisfactions intellectuelles, l’amitié elle-même, entre dans une nouvelle perspective qui en souligne la saveur mais en relativise la finalité. Tout s’oriente et se classe comme sous l’effet d’un invisible aimant vers le bien suprême qui est Dieu.
Cette perception spirituelle du monde n’est pas spontanée. Elle exige le plus souvent un long effort de formation que notre société, fort peu contemplative, ne facilite pas. D’ailleurs nous constatons chaque jour davantage l’incohérence d’un système de valeurs qui n’est pas soumis à un absolu. Notre époque oscille entre l’adoration du travail et le culte de la distraction mais rien ne permet de relativiser l’un ou l’autre. Nous nous croyons assez forts pour négliger la sagesse accumulée par l’humanité comme si nos connaissances techniques nous rendaient plus intelligents et plus capables de maîtriser notre nature.
Mais, s’il est urgent de recourir à plus de sagesse, force est de constater que les messages des diverses religions ou philosophies ne sont pas équi¬valents. Le point sur lequel elles convergent le plus concerne les grands principes moraux. Il serait pourtant bien décevant d’imaginer que les religions ont pour but principal d’assurer un ordre moral plus ou moins puritain.
Si les fidèles de certaines religions se contentent d’obéir à des règles morales, on ne peut le leur reprocher, mais ils passent à côté de l’essentiel.
De même, la religion n’a pas pour objet de créer une ambiance de sécurité et de conformisme où les fidèles se retrouvent au chaud. Ce ne peut être qu’un effet secondaire et parfois pernicieux de la recherche de Dieu.
Non, l’objectif d’une religion doit être, comme son nom l’indique, de relier l’homme à Dieu. C’est dire que l’efficacité d’une religion dépend de la révélation dont elle a pu bénéficier.
De la même façon, l’épanouissement spirituel d’un individu dépend de la capacité de sa conscience à percevoir ce que Dieu lui suggère.
Autrement dit, la vie spirituelle présente, comme la plupart des activités humaines, un aspect personnel et un aspect social. Le côté personnel demande une conscience en bon état, qui s’entretient généralement par la prière, lien individuel avec Dieu. Le côté social se traduit par la pratique d’une religion. L’équilibre de la vie spirituelle demande un bon dosage des deux approches : la pratique purement sociale d’une religion ne serait qu’hypocrisie tandis qu’une pratique purement personnelle tomberait dans l’égoïsme. En respectant un équilibre qui dépend de la personnalité de chacun, on peut, en revanche, espérer recueillir les fruits d’une spiri¬tualité réussie : ce sont précisément la joie, l’amour, la liberté et la connaissance transcendés par ce Dieu disponible et discret, créateur et guide de l’humanité.
Le bonheur que trouvent les croyants dans leur approche de Dieu passe par une pratique religieuse, mais celle-ci paraît bien souvent déroutante ou anachronique. Il ne faut évidemment pas trop s’attacher à des formes extérieures qui s’expliquent par une longue histoire. Ce qui importe bien plus c’est de comprendre en quoi diffère le contenu du message des religions.
Avouons qu’en cette matière plus qu’en d’autres, notre choix devrait résulter d’une réflexion approfondie plutôt que d’une tradition culturelle.