La vie publique des religions
Le sacre
L’association du religieux et du sacré semble aller de soi. Le grand spécialiste des religions, Mircea Eliade, met le sacré au centre de toute religion. Cependant notre époque perd, paraît-il, le sens du sacré : en est-elle moins religieuse pour autant ? La réponse dépend en partie de ce que recouvrent les mots. Au sens strict, est sacré ce qui se rattache au divin1. La conception du sacré varie donc selon les religions, c’est-à-dire selon l’idée qu’elles se font de Dieu.
On peut voir Dieu partout, ce qui conduit à prendre d’infinies précautions pour la moindre action : ainsi, un animiste fera une prière à l’arbre qu’il va couper pour s’excuser de son geste sacrilège mais nécessaire.
On peut, comme les musulmans, considérer que seul Dieu est véritablement sacré et rejeter énergiquement tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un culte pour autre que Lui.
Ce que personne ne conteste, c’est que Dieu est à part : Il est d’une autre nature et hors de notre portée. Nos rapports avec Dieu relèvent donc de techniques de communication particulières. Nous ne pouvons en effet Le laisser là où II est, nous avons trop à Lui demander, insatisfaits que nous sommes de notre condition et ignorants de ce qu’il nous réserve.
Les difficultés de communiquer avec Dieu ont toujours suscité des vocations de médiateurs : des hommes initiés ou inspirés se sont toujours trouvés à point nommé pour aider leurs semblables à s’approcher du mystère de Dieu ou des dieux. Prêtres, pasteurs, guides spirituels, gourous, chamans, se rencontrent dans toutes les religions, et ces religions sont elles-mêmes des intermédiaires entre l’homme et le divin.
Tout ce qui touche à Dieu étant sacré, les religions et ses ministres se considèrent facilement comme imprégnés par le sacré de leur fonction. La dignité de Dieu rejaillit sur tous ceux qui croient en Lui et Le servent. Les chrétiens, dans leurs moments de lyrisme, se déclarent un peuple de prêtres, de prophètes et de rois…
On ne sait plus jusqu’où s’étend le sacré, mais il se manifeste : reflet d’une puissance surnaturelle, le sacré se voit, se rencontre, se touche. Il y a des espaces sacrés – temples et villes saintes – des textes sacrés, des objets sacrés, comme les reliques.
Le sacré est parmi nous, le monde entier est la résidence secondaire
de Dieu : Il en est le maître et II s’y manifeste quand et comme II veut. Il y a toujours une place possible et imprévisible pour le surnaturel et les miracles. Soutien des croyants et défi à la logique, ces phénomènes confèrent un caractère sacré aux lieux où ils se déroulent. Des pèlerins s’y rendent en quête des traces de ce sacré auquel ils aspirent.
Pourtant le sacré est insaisissable il est le plus souvent caché ou, tout au moins, discret. Rencontrer le sacré est affaire de croyance : ce qu’on voit à l’apparence du normal, le sacré sous-jacent est invisible, on ne peut en parler que par analogies, par symboles.
On ne peut agir sur le sacré que selon des rites, eux aussi symboliques. Ainsi le monde du sacré pousse-t-il ses ramifications dans les domaines les plus inattendus.
Il est sûrement impie de se demander si tout cela est bien raisonnable. N’est-ce pas surtout l’enthousiasme des croyants qui crée le sacré ? Dieu se préoccupe-t-Il vraiment autant de la forme ? Lui qui nous a créés avec une intelligence et un esprit critique, n’a-t-Il pas quelques raisons de s’agacer de l’usage limité que nous en faisons parfois ?
Ceci est un autre sujet. A présent, notre propos se veut descriptif. Cependant nous ne pouvons être exhaustifs. Nous avons retenu ce qui nous semble susceptible de caractériser le plus fidèlement le fait religieux au travers des différentes croyances. Nous commencerons par les symboles, car ils sont omniprésents, précisément parce qu’il est impossible de parler de ce qui est caché autrement qu’avec les mots de tous les jours.