L'amérique latine : La théologie de la libération
Sans vouloir écrire l’histoire de la théologie de la libération, il est utile pour notre propos de voir ce que pensaient les théoriciens de cette nouvelle théologie devant enfin permettre aux peuples d’Amérique latine d’atteindre bonheur et prospérité. Pour ces théologiens il s’agissait de repenser les grands thèmes de la vie chrétienne au milieu du changement radical de perspectives qu’ils rivaient et cela dans la nouvelle problématique entraînée par ce changement. Tel est le but de La théologie de la libération nous dit Gustavo Gutiérrez (1974), l’un des pères de cette nouvelle théologie.
La lecture de son livre est intéressante autant par ses omissions que par les points qui y sont particulièrement développés. Certes, la responsabilité de l’Eglise dans la difficile situation socio-économique latino-américaine n’est pas niée ; l’auteur déclare notamment au sujet de la « mentalité chrétienne » : « Ne considérons pas trop facilement cette mentalité comme appartenant au passé. Elle subsiste encore aujourd’hui, de manière explicite ou implicite. A notre époque, c’est elle qui donne lieu à des conflits ou crée des résistances au changement qui ne s’expliquent pas d’une autre manière ». Pourtant cette piste intéressante pour comprendre le mal développement latino-américain n’est pas approfondie : la mentalité chrétienne est peut-être un frein au développement mais la cause première de tous les malheurs est la dépendance ; les pays latino-américains sont, « dès le départ et d’une manière constitutive, des pays dépendants ». Cet état est « le point de départ d’une intelligence correcte du sous-développement en Amérique latine » car « il est le sous-produit historique du développement des autres pays ». Bref, la richesse des pays confucianistes et protestants n’existe que par l’exploitation éhontée des catholiques vivant misérablement dans leurs favellas… Ceci est tellement évident que Gutiérrez n’aborde pas le problème de la croissance démographique beaucoup plus rapide dans l’Amérique catholique que dans l’Amérique protestante. Pourquoi ? Ne serait-il pas encore libéré d’une certaine théologie ?
Pour un prêtre catholique soucieux du développement se pose le problème redoutable de démontrer que finalement le Christ n’est pas venu prêcher la pauvreté mais bien la richesse. Gustavo Gutiérrez s’y applique avec beaucoup de persévérance mais, avouons-le, sa démonstration n’est pas toujours convaincante. Tout d’abord la pauvreté est tantôt « un état scandaleux attentatoire à la dignité humaine » mais, volontaire, elle peut être « un acte d’amour et de libération » bien qu’elle soit également « l’expression d’un péché, c’est-à-dire d’une négation de l’amour ». Et de commenter longuement les bienheureux « pauvres en esprit » de Saint Matthieu ou les « pauvres » tout court de Saint Luc pour conclure hardiment : « la pauvreté est un mal, et pour cela elle est incompatible avec le Royaume de Dieu »… Bref le Christ s’est mal exprimé : seuls les riches entreront au Royaume. Cela étant bien établi, il reste à définir les moyens pratiques d’accéder à la richesse. La voie est toute tracée, c’est celle indiquée par le Paraclet, la lutte révolutionnaire qui « postule la nécessité d’un pouvoir populaire pour construire une société vraiment égalitaire et libre : une société dont sera éliminée la propriété privée des moyens de production […] ; une société où l’appropriation sociale des biens de produc
La lecture de son livre est intéressante autant par ses omissions que par les points qui y sont particulièrement développés. Certes, la responsabilité de l’Eglise dans la difficile situation socio-économique latino-américaine n’est pas niée ; l’auteur déclare notamment au sujet de la « mentalité chrétienne » : « Ne considérons pas trop facilement cette mentalité comme appartenant au passé. Elle subsiste encore aujourd’hui, de manière explicite ou implicite. A notre époque, c’est elle qui donne lieu à des conflits ou crée des résistances au changement qui ne s’expliquent pas d’une autre manière ». Pourtant cette piste intéressante pour comprendre le mal développement latino-américain n’est pas approfondie : la mentalité chrétienne est peut-être un frein au développement mais la cause première de tous les malheurs est la dépendance ; les pays latino-américains sont, « dès le départ et d’une manière constitutive, des pays dépendants ». Cet état est « le point de départ d’une intelligence correcte du sous-développement en Amérique latine » car « il est le sous-produit historique du développement des autres pays ». Bref, la richesse des pays confucianistes et protestants n’existe que par l’exploitation éhontée des catholiques vivant misérablement dans leurs favellas… Ceci est tellement évident que Gutiérrez n’aborde pas le problème de la croissance démographique beaucoup plus rapide dans l’Amérique catholique que dans l’Amérique protestante. Pourquoi ? Ne serait-il pas encore libéré d’une certaine théologie ?
Pour un prêtre catholique soucieux du développement se pose le problème redoutable de démontrer que finalement le Christ n’est pas venu prêcher la pauvreté mais bien la richesse. Gustavo Gutiérrez s’y applique avec beaucoup de persévérance mais, avouons-le, sa démonstration n’est pas toujours convaincante. Tout d’abord la pauvreté est tantôt « un état scandaleux attentatoire à la dignité humaine » mais, volontaire, elle peut être « un acte d’amour et de libération » bien qu’elle soit également « l’expression d’un péché, c’est-à-dire d’une négation de l’amour ». Et de commenter longuement les bienheureux « pauvres en esprit » de Saint Matthieu ou les « pauvres » tout court de Saint Luc pour conclure hardiment : « la pauvreté est un mal, et pour cela elle est incompatible avec le Royaume de Dieu »… Bref le Christ s’est mal exprimé : seuls les riches entreront au Royaume. Cela étant bien établi, il reste à définir les moyens pratiques d’accéder à la richesse. La voie est toute tracée, c’est celle indiquée par le Paraclet, la lutte révolutionnaire qui « postule la nécessité d’un pouvoir populaire pour construire une société vraiment égalitaire et libre : une société dont sera éliminée la propriété privée des moyens de production […] ; une société où l’appropriation sociale des biens de produc
tion se doublera de l’appropriation sociale de la gestion politique et en définitive de la liberté ; ce qui donnera lieu à une nouvelle conscience sociale ».
Le plus intéressant de cette nouvelle théologie révolutionnaire, c’est de voir qu’elle se développait au début des années soixante-dix alors qu’un regard davantage tourné vers les pays ayant déjà une nouvelle conscience sociale laissait entrevoir leur prochaine chute finale (Todd, 1976). « Théologies de la révolution, théologies de la libération, théologies sur mesure et à la demande […]. L’étude du réel est remplacée par les incantations, alors que la recherche difficile des formes de communautés fraternelles est oubliée en faveur des méthodes de prise du pouvoir » nous dit Louis Mercier-Vega (1978). Et en effet, Gutiérrez cite 19 fois Karl Marx, 12 fois Hegel, mais une seule fois Luther. Quant à Calvin, il l’ignore. Les sociétés fondées sur la théologie de ces deux hommes ne valent-elles pas celles basées sur la philosophie de Marx et de Hegel ? Comment expliquer cette fascination du modèle marxiste sur de nombreux catholiques ? Mercier-Vega y voit l’impuissance de l’Eglise face à la modernité, aux changements, aux nouvelles forces qu’elle ne contrôle pas : « C’est la recherche frénétique d’un système d’interprétation totale qui explique l’hypnotisme exercé sur les intellectuels chrétiens par la science marxiste. Fausse chaque fois qu’elle est confrontée à une situation concrète ou inexistante pour favoriser l’interprétation d’un phénomène nouveau, elle demeure vraie en général… C’est le miracle de la foi ».
Mais cette foi a peut-être une justification rationnelle : c’est celle de la relative réussite du modèle cubain. Après une épopée devenue légendaire, en 1959 Fidel Castro renverse le dictateur Batista et entreprend une profonde restructuration de la société cubaine. Il supprime la propriété immobilière, entreprend une profonde réforme agraire par la création de coopératives agricoles et nationalise l’industrie encore embryonnaire. Enfin et surtout, il libère l’île de la dépendance totale à l’égard de l’impérialisme américain. Malgré le blocus économique des Etats-Unis, une politique économique parfois erratique et l’effondrement de l’aide de l’ex-URSS, les résultats du castrisme sont impressionnants. Suivant le Rapport mondial sur le développement humain (PNUD, 1997), si le produit national brut d’un cubain est très faible (870 dollars en 1993) ce pays a réussi l’exploit d’avoir, parmi les pays en voie de développement, un des meilleurs Indicateur de la Pauvreté Humaine (IPH). Ce nouvel indicateur du PNUD a l’originalité de ne pas se contenter d’établir une « moyenne » par habitant mais de calculer la part de la population ne bénéficiant pas d’une durée de vie normale ou n’ayant pas accès à l’éducation, à l’eau potable, aux services de santé
ou ne pouvant pas nourrir convenablement les jeunes enfants. Suivant cet indice, Cuba est donc l’un des pays en voie de développement ayant le mieux éradiqué la pauvreté « physique », souvent davantage que des pays nettement plus riches. Mais il est vrai que le Chili arrive pratiquement au même résultat et que son produit par habitant est trois à quatre fois supérieur à celui des cubains.
Il reste pourtant un point sur lequel Cuba n’a pas progressé, c’est celui de la démocratie : les libertés politiques sont nulles, les opposants et les déviants vont en prison, au point qu’au moins 600000 cubains ont préféré l’exil au régime du Leader maximo. Cette émigration a été si massive que les Etats-Unis, après l’avoir encouragée, ont renoncé à accueillir les transfuges. D’autre part, suivant le magazine américain Forbes, en 1997 la fortune de Fidel Castro était estimée à 1,4 milliard de dollars, ce qui en faisait l’un des dix chefs d’Etat les plus riches du monde. Par ces côtés l’expérience cubaine rejoint celles de nombreux pays d’Amérique latine où tout est possible sauf l’égalité, l’honnêteté, la démocratie.
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