L'artisanat
L’artisanat
Le monde artisanal est très divers. Il faut en effet distinguer entre l’artisanat rural fournissant les vêtements et les objets nécessaires à la vie quotidienne, et l’artisanat urbain spécialisé dans des fabrications originales. Cet artisanat a dû être stimulé par l’essor urbain et le développement des cours princières et des milieux aristocratiques, mais nous manquons d’éléments précis pour le connaître, notamment pour en chiffrer la production.
Le problème des corporations
Une grande incertitude concerne l’organisation des métiers. Partant des corporations qui existaient au XVIIe siècle dans le monde ottoman, L. Massignon pensait que les métiers avaient été très tôt organisés en corporations, regroupant des travailleurs d’une même spécialité, avec des règles de fabrication et des rites d’initiation. Il semble plutôt comme l’estiment. Cahen et B. Lewis que l’organisation du travail était rudimentaire, et n’offrait pas la possibilité de former librement des associations pour défendre les intérêts des artisans.
Le rôle de l’État
L’État intervenait par l’intermédiaire du muhtasib, fonctionnaire chargé d’appliquer certaines règles concernant la qualité des produits et de veiller à l’honnêteté. L’État prélevait un impôt (dîme) sur les ventes de produits artisanaux. Il continua aussi les traditions byzantine et sassanide, des ateliers d’État qu’il gérait directement ou qu’il concédait à des entrepreneurs.
Nous connaissons bien les tiraz, manufactures d’étoffes de luxe, présentes dans plusieurs villes comme Bagdad ou Tinnis et Damiette, en Égypte. L’or étant un monopole d’État, les vêtements brodés de fils d’or qui faisaient l’objet des cadeaux ordinaires offerts par le calife, ne pouvaient sortir que des tiraz. L’Égypte avait conservé la tradition, remontant aux pharaons, des monopoles d’État concernant les armes, les chantiers navals, l’exploitation des mines ou les importations de bois et de métaux.
Les matières premières
Elles sont d’abord constituées par certains produits de l’agriculture ou de l’élevage : laine pour laquelle le monde musulman est un grand producteur, lin cultivé dans le delta du Nil où il trouve des conditions excellentes, coton venu de l’Inde et répandu en haute Mésopotamie, en Syrie et au Turkestan, soie dont la technique venue de Chine fut vite adoptée par les habitants du Mawaraannahr (Transoxiane) et des pays de la mer Caspienne, qui passèrent maîtres dans l’élevage du ver à soie. On cultive les plantes tinctoriales comme l’indigo dans les régions chaudes et humides, le safran utilisé également dans la cuisine tandis que pour le rouge, on se sert soit du kermès, insecte parasite du chêne, soit de la garance, plante qui exige beaucoup d’eau. La culture du henné se développa ainsi que celle du pavot dont l’extrait, l’opium, servait d’anesthésiant en médecine. Citons aussi les plantes à parfums : roses, violettes, jasmin, etc.
Le manque de bois représente un lourd handicap pour le monde islamique, car la demande est très forte pour les chantiers de construction dans les villes, le mobilier, la construction navale, l’irrigation et pour certaines industries : métallurgie, poterie, etc. On importait du teck, de l’ébène et du santal de l’Inde ou de l’Afrique Orientale. Pour les minerais, la situation est variable : le minerai de fer est presque totalement absent, alors que le cuivre est abondant en haute Mésopotamie et dans le Mawaraannahr ; l’argent provient des mines abondantes du Nord de l’Iran, tandis que l’or est extrait surtout dans les régions périphériques du monde musulman : Nubie, Afrique occidentale et orientale, Asie centrale…
Les principales productions
Le textile
La plus imp0rtante des productions artisanales concerne le textile car, pour reprendre le mot de M. Lombard, la civilisation arabe est la « civilisation du textile ». Il est vrai que l’éventail des fabrications est large, depuis les vêtements jusqu’aux tapis, en passant par les tentures et que les artisans du textile ont réalisé de véritables œuvres d’art. Les vêtements étaient les principaux signes distinctifs des classes sociales. Les vêtements d’apparat qui sortaient des ateliers d’État coûtaient des sommes fabuleuses et on comprend alors que les cadeaux se faisaient en vêtements ou en tissus. Le même mot, khizana, désigne « le trésor » et « la garde-robe », tant il est vrai que celle-ci constituait bien une réserve d’argent. Plusieurs villes ont mis au point des spécialités qui les font connaître aux quatre coins du monde islamique et même au-delà : Mossoul pour sa mousseline, Damas pour ses toiles « damassées », Fasa pour ses brocarts, Damiette pour ses toiles de lin, ainsi que Tinnis qui avait l’honneur de fournir chaque année le voile noir de la Kaaba. Le monde musulman fournissait le monde chrétien en tissus de soie et on a retrouvé dans les trésors d’église plusieurs vêtements sacerdotaux originaires du Proche-Orient. La Sicile se mit à produire de magnifique tissus en soie brodés d’or.
Le bois
Le travail du bois fournissait lui aussi de véritables œuvres d’art. Les artisans étaient passés maîtres dans la marqueterie, l’assemblage de petites pièces de façon à faire ressortir un décor (moucharabieh) ou dans l’incrustation d’ivoire, d’or ou d’argent. Les mosquées réclamaient ces chefs-d’œuvre pour le minbar, les 76 grilles de la maksoura, les supports de coran. Les demeures privées demandaient un petit mobilier (sièges, coffres, etc.) et des balcons grillagés, d’où les femmes pouvaient voir sans être vues.
Le cuir
L’abondance des peaux favorisait le travail du cuir qui trouvait beaucoup d’utilisations pour le harnachement des chevaux, les reliures, etc.
La métallurgie
La métallurgie n’était pas très développée, aussi fallait-il recourir à des importations. Le fer était utilisé pour la fabrication des lourdes portes de citadelles, pour les chaînes qui fermaient les ports ou retenaient les ponts des bateaux et pour la fabrication des armes. Les lames de Damas et les sabres du Yémen étaient particulièrement renommés ; ils étaient souvent « damasquinés », c’est-à-dire embellis d’incrustations de filets d’or et d’argent. Le cuivre en revanche fournissait une multitude d’objets : coupes, aiguières, lampes, plateaux, chandeliers, brûle-parfum et écritoires, objets qui tenaient une grande place dans le trousseau des jeunes filles à marier. La bijouterie d or et d’argent était remarquable.
Les arts du feu
Les vieilles techniques méditerranéennes sont reprises et donnent des produits de grande qualité en céramique, en poterie ou en verrerie. Les Égyptiens et les Syriens experts en verrerie donnèrent leurs secrets aux Vénitiens au VIIIe siècle. L’art de la céramique atteignit des splendeurs, surtout en Perse, pour la décoration des mosquées et des maisons particulières.
Le papier
En s’emparant de Samarkande, les Arabes y apprirent la technique du papier (venue de Chine) à partir du lin. La première manufacture de papier (de coton) fut créée à Bagdad, en 794. Le papier de soie continuait à venir de Chine.
La production artisanale semble donc variée et abondante, mais elle fournit essentiellement le marché intérieur.