L'attente du Messie: Le retour de la royauté
Le retour de la royauté ?
Quelques siècles plus tard, dans un texte particulièrement énigmatique et grandiose à la fois, le prophète Daniel nous transporte sur un tout autre registre ; avec lui, nous réentendons la promesse de la venue d’un roi, mais le pouvoir royal est confié à un peuple (Daniel 7).
Il faut savoir d’abord que le prophète Daniel écrivait à une époque particulièrement douloureuse pour le peuple juif. Le roi grec, Antiochus Épiphane, venait de se lancer dans une effroyable persécution contre les juifs, vers 165 av. J.-C : malheur à ceux qui faisaient circoncire leurs fils, ou qui pratiquaient le shabbat, ou qui refusaient de manger du porc, ou de faire brûler de l’encens devant la statue du roi païen. L’objectif de Daniel, c’était donc d’encourager ses contemporains à tenir bon dans la persécution, à ne pas abjurer.
Et c’est dans ce contexte qu’il raconte sa fameuse vision qu’on appelle la vision du fils d’homme (la difficulté consiste pour nous à entrer dans ce genre littéraire de la vision, ce n’est pas un reportage). Le prophète, donc, nous transporte là-haut, « sur les nuées du ciel », comme il dit : des trônes sont installés ; un Vieillard s’assied ; son vêtement est blanc comme neige, ses cheveux sont blancs également, et soyeux comme de la laine d’agneau. Il est environné de feu, et une immense armée céleste le sert. A cette description, tout le monde comprend, dans le monde juif : il s’agit de Dieu lui-même. Il vient présider le tribunal céleste. Devant lui vont comparaître tous les rois qui ont dominé et parfois même persécuté le peuple de Dieu. Le tribunal s’installe, on ouvre des registres et alors commence l’audience.
Bien sûr, le prophète ne dit pas noir sur blanc : « Mes amis, rassurez-vous, Antiochus Épiphane n’en a plus pour longtemps, Dieu va régler son sort. » Un tel discours, s’il tombait dans les mains de la police, serait par trop compromettant.
C’est pour cette raison que le prophète utilise des images, mais tout le monde les comprend. Il ne cite pas « Antiochus Épiphane », il parle d’une Bête redoutable, terrifiante, et terriblement vigoureuse pour désigner la dynastie des rois grecs qui se sont succédé au pouvoir sur la région de Syrie et Palestine ; quant à Antiochus Épiphane lui-même, il le décrit comme une corne qui a poussé sur la Bête et qui a des yeux d’homme et dont la bouche profère des paroles monstrueuses. Le tribunal est réuni pour juger, bien sûr, et le jugement ne tarde pas ; la Bête est condamnée, tuée, brûlée ; c’est bien peu, penseront les lecteurs, après tous les crimes qu’elle a commis.
Le fils d’homme
Mais ensuite, la vision devient plus surprenante : un nouveau personnage apparaît sur les nuées du ciel ; Daniel l’appelle « un fils d’homme » ; il s’agit donc d’un homme : car l’expression « fils de » est typique de l’hébreu, c’est une manière un peu emphatique de parler ; fils d’homme veut dire homme (de la même manière, on rencontre parfois dans les Psaumes la formule « fils de roi » qui veut dire roi).
En même temps, Daniel dit que ce fils d’homme est apparu sur les nuées du ciel ; ce qui à l’époque est une manière classique de parler du monde de Dieu. Et Daniel ajoute que ce personnage est conduit jusqu’au trône de Dieu. Il faut lire la suite de la vision dans le texte : « Le fils d’homme arriva jusqu’au Vieillard, et on le fit approcher en sa présence. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera
jamais détruite » (Daniel 7, 13-14).
Cette expression d’une royauté stable et définitive nous rappelle quelque chose : cela ressemble à la promesse que le prophète Natan avait faite au roi David de la part de Dieu. David avait bien entendu de ses oreilles cette promesse inespérée : « Ta maison (au sens de dynastie) et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi » (2 Samuel 7,16). Et l’on sait que c’est sur cette promesse que beaucoup de croyants en Israël s’appuient (avant la venue de Jésus et même encore aujourd’hui) pour continuer à espérer la venue d’un Messie qui sera un roi.
Or, cette vision grandiose de Daniel redonnait force à cette espérance messianique ; du coup, peu à peu, l’expression « fils d’homme » est devenue une nouvelle manière de parler du Messie. Plus nouvelle encore que nous ne le pensons : Daniel avoue qu’il aimerait en savoir plus sur ce mystérieux fils d’homme ; qui est-il ? Alors il interroge quelqu’un qui se trouvait là ; et voici l’explication qu’on lui donne : ce « fils d’homme », c’est tout simplement « le peuple des Saints du Très-Haut », c’est-à-dire les croyants. Voilà donc la deuxième annonce dans l’Ancien Testament d’un Messie qui est un peuple et non un individu particulier, ou peut-être d’un individu à la tête du peuple des croyants.
Peut-être est-ce pour nous, les chrétiens, que cette notion est le plus surprenante ?