le jaïnisme
Dans le sillage de l’hindouisme se sont développées des religions originales dont certaines sont encore très vigoureuses. Nous avons déjà évoqué les sikhs qui font transition entre le monde de l’Islam et celui de l’hindouisme ; nous parlerons plus loin du bouddhisme à propos des religions « philosophiques » ; il nous reste à traiter ici du jaïnisme, proche de l’hindouisme par bien des aspects, qui compte environ 5 millions de fidèles.
Cette religion est surtout répandue dans les Etats de l’Ouest de l’Inde, au Gujarat et au Rajasthan, mais son rayonnement dépasse largement le cercle de ses pratiquants.
Selon les jaïns, leur religion est éternelle, elle a toujours existé et existera toujours quels que soient les aléas de l’Histoire. Cette position est cohérente avec l’idée qu’ils se font du monde : lui non plus n’a pas été créé, il a toujours existé. Il n’y a donc pas de Dieu créateur.
Si le jaïnisme existe, en théorie, de toute éternité, les observateurs extérieurs considèrent que le fondateur en est un prince de l’Etat de Bihar, dans la basse vallée du Gange, près du Bengale, lequel vivait vers le VF siècle av. J.-C. Vardhamana Jnata, c’est son nom, était surnommé Mahavira1 « grand héros », ou Jina, « victorieux ». C’est ce mot qui est à l’origine de jaïn : un jaïn veut vaincre les passions du monde.
Ce prince était donc sensiblement contemporain, quoiqu’un peu plus ancien, de Gautama qui est devenu le Bouddha. Tous deux renoncèrent au monde et vécurent de façon ascétique pour se délivrer du cycle des réincarnations. C’est ainsi que Jina prêcha pendant 30 ans, entièrement nu, dans la région de Patna, au Bengale.
Historiquement, le jaïnisme est antérieur au bouddhisme mais il procède d’une évolution comparable à partir des idées ambiantes de réaction contre les brahmanes.
Bouddhisme et jaïnisme représentent tous deux des courants matérialistes qui sont apparus dans le monde hindouiste 500 ou 600 ans avant notre ère. Il s’agissait de faire échapper l’âme à la souffrance des vies successives. Seuls le renoncement et la sagesse permettent d’atteindre la paix d’un anéantissement mal défini, le nirvana.
Cependant, si le bouddhisme est une doctrine du juste milieu, le jaïnisme est parfois beaucoup plus extrême.
Le jaïnisme repose sur trois principes :
– il n’y a pas d’absolu ;
– l’action a une efficacité spirituelle ;
– toute vie est sacrée, ce qui implique la non-violence.
Le jaïnisme rejette complètement le système des castes ainsi que les cérémonies excessives dédiées aux multiples divinités accessoires du panthéon hindou. En fait, le jaïnisme est agnostique, c’est-à-dire qu’il ne se préoccupe pas d’un au-delà qu’il ne peut pas connaître mais qu’il ne nie pas explicitement. Il peut arriver qu’on y parle de dieux mais il s’agit, selon les jaïns, de mortels qui ont particulièrement réussi leur existence, des prophètes en quelque sorte, mais qui n’ont ni rôle ni pouvoir. Les jaïns les appellent tirthankara (littéralement « faiseurs de gués ») et en honorent 24. Seuls les deux derniers, un ascète du VII siècle avant notre ère et Mahavira, sont attestés historiquement. Leur statue dans les temples jaïns les représentent impassibles, debout ou assis, généralement nus. Ils sont parfois peints d’une couleur symbolique et accompagnés d’un animal qui les caractérise (jaune d’or et lion pour Mahavira).
Après un succès initial presque aussi brillant que celui de son contemporain le bouddhisme, le jaïnisme a commencé à stagner vers le IX’ siècle, peut-être parce que certaines de ses théories avaient été partiellement assimilées par l’hindouisme. Il reste cependant très vivace et a même fondé en 1946 une organisation missionnaire pour sa propagande mondiale dont le siège est à Aligarh, dans l’Etat indien d’Uttar Pradesh.
Le mouvement jaïn est en effet relativement riche et puissant. La plupart de ses adeptes vivent en milieu urbain, ils exercent fréquemment des professions commerciales et leur influence politique est importante.
En ce qui concerne la pratique du jaïnisme, il existe deux courants distincts qui proviennent d’un schisme datant de l’an 79 de notre ère.
L’un, dit digambara, est d’un extrême ascétisme. Le mot signifie « vêtu d’espace », ce qui veut dire que les adeptes sont généralement nus. L’autre, dit shwetambara, c’est-à-dire « vêtu de blanc » est beaucoup plus accommodant avec les principes. Les jaïns comportent en outre de nombreuses sous-sectes, près de 80 dit-on.
Pour s’en tenir à ce qu’il y a de plus frappant dans la morale jaïn la plus stricte, les deux caractéristiques sont un respect poussé à l’extrême de toute forme de vie et la recherche d’un dépouillement personnel total.
En ce qui concerne le respect de la vie, la crainte de tuer par inadvertance un insecte, interdit, par exemple, de pratiquer l’agriculture, car bêcher la terre est dangereux pour les habitants de l’humus. Par extension, il est tout à fait déconseillé de manger des légumes qui nécessitent d’ouvrir le sol, comme les oignons ou les pommes de terre. Il est aussi recommandé de ne se nourrir que durant le jour, pour éviter d’avaler un insecte que l’on n’aurait pas vu. Inutile de dire que le régime est totale-ment végétarien. Toujours dans le souci d’éviter d’absorber par hasard un quelconque moucheron, il est prudent de porter un morceau de tissu sur la bouche.
De la même façon, il est souhaitable de ne marcher qu’en manipulant une balayette devant soi pour éviter d’écraser quelque bestiole.
En ce qui concerne la morale personnelle, la tendance est à la rigueur. Vivre de mendicité est un idéal auquel se consacrent moines et nonnes. Ceux-ci prononcent cinq grands vœux perpétuels :
– épargner toute vie ;
– être chaste ;
– ne rien posséder ;
– ne rien acquérir ;
– ne jamais mentir.
On peut aussi prononcer des « petits vœux », moins exigeants en matière de chasteté et de propriété.
Les jaïns s’infligent parfois volontairement de très dures pénitences qui peuvent aller jusqu’au suicide rituel, en jeûnant jusqu’à la mort.
Les moines ont un rôle de prédicateur mais les jaïns n’ont, à propre-
ment parler, ni prêtres ni clergé. Il n’existe pas non plus de véritable culte mais des rites semblables à ceux de l’hindouisme. Curieusement, les offrandes, crémations et mariages sont célébrés par des brahmanes hindouistes. Ces derniers, qui appartiennent à la sous-caste bodjak, ne sont pas jaïns et ignorent les traditions et textes sacrés d’une religion à laquelle ils n’apportent qu’un savoir-faire purement formel. On dit que cet usage est une concession faite aux brahmanes pour éviter qu’ils ne persécutent les jaïns. Quoiqu’il en soit, le jaïnisme est le seul exemple d’une religion dont les rites sont exécutés par des prêtres qui lui sont étrangers.