Le Prophète Mohammed et la révélation
De tous les fondateurs de religion. Mohammed (ou Muhammad) est certainement celui qui a la plus forte présence historique et pourtant on ne peut pas toujours parler de lui en toute certitude. En particulier sa vie, avant la révélation, n’est connue que dans ses grandes lignes.
Le Prophète
Les sources de la biographie du Prophète
La première source est le Coran qui fait souvent allusion aux difficultés , à ses relations avec du Prophète ses adversaires, à l’organisation de la communauté, mais comme le Coran est la parole même de Dieu, il est difficile à interpréter comme source historique. Ensuite, vient la Sunna (« tradition ») que toutes les écoles juridiques considèrent comme un complément et un instrument d’explication du Coran. Elle est constituée des actes et déclarations du Prophète, mais comme la masse des notations fut considérable, une véritable discipline, la science du hadith, naquit. Toutefois, il faut reconnaître que les hadiths sont plus utiles pour l’étude juridique ou théologique que pour la connaissance de la biographie du Prophète. Les autres sources sont constituées par les biographies dont on retiendra celle de Ibn Ishaq (mort en 834), d’Ibn Hisham, de Wakidi (mort en 833) et par les ouvrages des historiens comme Tabari (mort en 923), Al Masudi (mort en 956) et Yakubi (mort en 905).
La jeunesse : un orphelin dans une ville dominée par le commerce
Pour l’enfance et la jeunesse, il est difficile de séparer l’histoire et la légende qui fait souvent.intervenir des
événements surnaturels et miraculeux.Mohammed, fils d’Abdallah et d’Amina, est né vers 570, l’année de l’Éléphant, à la Mecque, dans la tribu de Qoraish, mais il appartenait au clan des Banu Hashim qui paraît alors bien appauvri par rapport au clan des Abd Shams. Orphelin de père avant sa naissance,il fut placé, comme c’était la coutume, à La Mecque, en
nourrice, dans une tribu nomade du désert. A six ans,ayant perdu coup sur coup sa mère et son grand-père Abd Al Mottalib, il fut recueilli par son oncle paternel Abu Talib, un commerçant caravanier qui allait par-
fois jusqu’en Syrie. Il y aurait emmené le jeune Mohammed, qui rencontra au cours d’un voyage le
moine chrétien Bahira. Les renseignements sur sa jeunesse sont bien fragiles : par exemple, nous ne savons rien sur sa formation. Il est resté célibataire beaucoup plus longtemps qu’il n’était coutume. Est-ce par pauvreté ? Vers vingt-cinq ans, il épousa une riche commerçante de quarante ans au service de laquelle il était entré, Khadija, ce qui lui permit de commercer avec un capital important. Des quinze années suivantes, nous ne savons rien sinon que ses concitoyens.
lui avaient donné le surnom d’Amin (« le digne de confiance »). Après son mariage, il aurait pu ne se soucier que d’affaires et d’enrichissement ; or, il semble préoccupé par les problèmes religieux et il se retire pour des retraites de plus en plus fréquentes sur le mont Hira, au-dessus de La Mecque. C’est là que, âgé d’environ quarante ans, il reçut la révélation.
La révélation 3t la prédication à La Mecque
Dans les grottes du mont Hira, il eut des visions, des rêves étranges et il entendit une voix, qu’il identifia
bientôt comme celle de l’ange Gabriel (Jibril), lui dire : « Tu es l’envoyé de Dieu. » Il commença par douter ; puis, soutenu par Khadija et ses amis, il acquit la conviction qu’il était bien appelé à remplir la tâche particulière de messager de Dieu.
- Les premières révélations portent sur l’unicité de Dieu et sur le jugement dernier ; ellfes contiennent des attaques contre le luxe et la richesse des dirigeants mecquois et dénoncent les idoles. Les réactions à sa prédication furent divergentes : sur les uns, jeunes gens de clans très importants ou au contraire gens sans protection, il exerça une grande attirance, tandis que la classe dirigeante manifesta immédiatement son opposition, car elle se sentit menacée sur tous les plans : économique, car si on s’attaquait à la Kaaba et au pèlerinage, la position de La Mecque et des Qorais- hites risquait de déchoir ; religieux, car elle ne pouvait supporter l’idée que ses ancêtres aient vécu dans l’erreur et se retrouvent ainsi condamnés à la damna¬tion. Enfin, il était à prévoir que si Mohammed était le messager de Dieu, il ne tarderait pas à prendre une influence prépondérante dans la société mecquoise.
- Les rapports entre la communauté naissante et les L’hostilité des dirigeants mecquois prirent plusieurs formes : vexa- Mecquois tions diverses, boycottage économique du clan desBanu Hashim, persécutions envers les pauvres et les mal protégés qui durent s’exiler en Abyssinie. Tant qu’il se sentait soutenu par son clan dirigé par son oncle Abu Talib, Mohammed pouvait tenir ; mais la mort de celui-ci (en 619) mit sa vie en danger, car le nouveau chef du clan Hashim Abu Lahab, était un adversaire déclaré. Le Prophète se mit à la recherche d’une autre protection. Cette même année, il perdit son épouse Khadija.
L’hégire et l’installation à Médine
Le Prophète tenta en vain de s’installer à At-Taif située à proximité de La Mecque, puis un appel opportun vint des habitants de l’oasis de Yathrib. Cette oasis vouée à l’agriculture était composée de plusieurs villages aux mains de clans rivaux qui éprouvèrent le besoin d’un arbitre pour mettre fin à leurs luttes incessantes. Il accepta et, précédé par soixante-dix disciples, il partit, craignant pour sa vie pendant le trajet de neuf jours entre les deux localités. Il arriva le 24 septembre 622 à Yathrib. C’est l’hégire (« émigration »), qui marqua le début de l’ère musulmane que l’on fit commencer le 1er moharrem (16 juillet 622).
À Yathrib, devenue Médine (Madinat an Nabi : « la ville du prophète »), Mohammed se proposa deux objectifs : installer et organiser sa communauté d’émigrés et entreprendre une lutte contre La Mecque.
La naissance de la communauté
À Médine, le Prophète imagina une nouvelle organisation sociale : la communauté (Ummah), qui coiffe les tribus et les clans. Les émigrés mecquois (muhajirun) forment un clan aux côtés des clans médinois (ansar). Fraternité, égalité, entraide, solidarité sont les principes sur lesquels se fonde cette communauté. La jus¬tice n’est plus une affaire individuelle, mais relève de la collectivité. Le Prophète joue le rôle d’arbitre qui grandit avec le nombre des adhésions à l’islam. Pour que sa position soit solide à Médine, il lui fallait d’abord remporter des succès sur La Mecque .
La lutte contre La Mecque
La lutte contre la métropole commerciale prit plu¬sieurs formes : d’abord la razzia nécessaire pour subvenir aux besoins des émigrés, puis, à la suite du meurtre d’un Mecquois à Nakhla, la lutte ouverte qui connut trois épisodes : Badr (624), succès pour les Médinois (Coran, VIII, 45-48) ; Uhud (625), revanche mecquoise ; et enfin le siège infructueux de Médine par les Mecquois en 626 car la ville résista grâce au fossé (khandaq) creusé à l’initiative du Persan Salman. Durant ces épreuves, le Prophète dut affronter les Hypocrites (munafiqun), des convertis très tièdes qui en fait ne l’approuvaient pas, et il élimina les trois clans juifs qui se trouvaient à Médine. Il avait cru d’abord pouvoir obtenir leur conversion, mais devant leur refus et leur hostilité, il fixa leur sort : deux clans furent expulsés et le troisième exterminé au lendemain du siège de Médine.
Mohammed, bien installé à Médine, peut désormais prendre l’offensive. A la suite d’un rêve, il décide de faire le pèlerinage à La Mecque. Les Mecquois lui barrèrent la route à Al Hudaybiyah à la limite du territoire sacré, mais Mohammed obtint habilement la signature d’un traité : les deux parties abandonneraient la lutte pendant dix ans et l’année suivante, le Prophète pourrait faire le pèlerinage dans la Ville sainte, que les habitants quitteraient pendant trois
jours. Ce pèlerinage eut effectivement lieu avec deux mille hommes (629) et comme promis, les Mecquoi s’étaient retirés. Ils ne manquèrent pas d’être surpris par la cohésion des musulmans et par le caractère arabe du pèlerinage. Une évolution nette des esprits était d’ailleurs bien amorcée chez les Mecquois découragés par la baisse du commerce.
La prise de La Mercque,la réconciliation et la mort
Après avoir fait preuve d’habileté diplomatique dans La prise l’affaire du pèlerinage, le Prophète estima que l’heure de La Mecque, de marcher sur La Mecque était arrivée. En 630, une la réconciliation armée médinoise divisée en quatre colonnes pénétra et la mort dans la ville sans rencontrer de forte résistance. Ainsi, dix ans après avoir été chassé de sa ville natale, le Prophète revenait triomphant. Il accorda son pardon et se montra même particulièrement généreux envers les Mecquois lorsqu’ils participèrent aux côtés des Médinois à l’expansion vers l’est. Beaucoup de chefs de tribus scellèrent des alliances avec le Prophète. Quelle était l’étendue de son pouvoir en Arabie à la fin de sa vie ? Les opinions divergent, mais il semble que l’Arabie se présentait comme une sorte d’association de tribus autour d’un foyer central : Médine. En 632, le Prophète dirigea le pèlerinage — pèlerinage de l’« Adieu » — en accomplissant tous les rites, désormais marqués pour la postérité, et il mourut quelques mois plus tard dans la maison d’Aïsha, son épouse préférée, sans avoir désigné de successeur (juin 632).
Ainsi apparaît Mohammed, à la fois prédicateur religieux, législateur, homme politique habile et bon chef de guerre. « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens et l’immensité des résultats sont les trois me¬sures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ?» se demande Lamartine. Un Américain,Michael Hart, a récemment placé le Prophète de l’islam au premier rang des cent personnalités qui ont eu
Mohammed, réformateur social. « Les croyants sont frères » Coran, XLIX, 10 le plus d’influence dans l’histoire du monde depuis les origines ( The 100 : a renking of the most influential persons in historÿ). Contrairement à la plupart des fondateurs de religion. Mohammed ne vécut pas en ascète et ne connut pas le martyre. Il n’acceptait aucun miracle, sinon celui d’avoir été le messager de Dieu : « Dis, je ne suis qu’un mortel semblable à vous » {Coran, XVIII, 110).
Mohamed réformateur social
À Médine, le Prophète a fait œuvre de réforme sociale. La révélation insiste sur la bonté morale, sur l’honnêteté, la sincérité et la générosité. Si le châtiment religieux ne relève que d’Allah, il fallait bien donner des prescriptions pénales et créer une justice humaine. Le Prophète, sans rompre avec la tradition arabe, l’a modifiée. Il a canalisé la vendetta en encourageant la compensation et en proclamant que le vengeur ne devait jamais infliger un plus grand mal et qu’une vengeance ne devait plus entraîner de nouvelles vengeances. Pour le vol, il institue la peine de l’ablation de la main.
Dans le domaine de la famille, de nombreuses règles concernent les femmes qui sont maintenues sous l’autorité du mari, mais qui sont protégées contre les abus par la garde de la propriété du douaire. La femme conserve un droit absolu sur ses biens. La sourate LXV du Coran insiste sur la bonté et la bienveillance des hommes envers les femmes. Mohammed fut monogame tant que vécut Khadija, puis il épousa huit femmes et eut des concubines dont Maria qui lui donna un fils, Ibrahim (mort à seize mois). Le Coran limite la polygamie à quatre épouses, à la condition toutefois qu’elles soient placées sur le même pied d’égalité. Cette obligation est un argument en faveur de la monogamie et le texte sacré y insiste d’ailleurs beaucoup : « Vous ne pouvez être parfaitement équitables à l’égard de chacune de vos femmes même si vous en avez le désir » {Coran, IV, 129) et « Épousez comme il vous plaira, deux, trois ou quatre femmes. Mais si vous craignez de n’être pas équitable, prenez une seule femme » {Coran, IV, 3). A propos du mariage, le Coran estime que le consentement doit être libre et réciproque. Le Prophète insiste sur le rôle de la femme comme mère de famille et dans son sermon de l’« Adieu » prononcé à Arafa lors du pèlerinage de 632, il lance ce dernier avertissement : « Craignez donc Dieu dans votre comportement avec vos ! femmes. Elles ont des droits sur vous et vous avez des droits sur elles. »
La désagrégation du système tribal appelait de nouveaux règlements concernant l’héritage. Chacun reçoit sa part mais les femmes sont désavantagées puisqu’elles ne reçoivent que la moitié de la part des hommes.
L’esclavage fut maintenu mais plusieurs versets du Coran (X, 60 ; XC, 13 ; II, 177) recommandent de bien traiter les esclaves et de les affranchir, surtout s’ils sont convertis.
Dans le domaine économique, le Prophète, de par ses origines, semble naturellement bien disposé vis-à-vis du commerce, mais il recommande l’honnêteté et le Coran interdit le prêt à intérêt. Le Prophète adopta l’année lunaire ce qui semble indiquer comme le sou¬ligne M. Watt, le caractère non agraire de l’Islam.
D’ailleurs, dans le monde musulman, les paysanneries ont continué à utiliser un autre calendrier.
Le Coran
Le coran,parole dieu
Le Coran (« récitation ») est le message de Dieu, Le Coran, parole la «dictée surnaturelle», c’est-à-dire la parole même de Dieu de Dieu et non pas une œuvre écrite sous l’influence divine comme la Bible. Le Prophète l’a reçu par fragments depuis la première révélation (vers 610) jusqu’à sa mort. Au début, il paraissait alors dans des états seconds, entrait en transe et s’enveloppait dans un grand manteau. Ces fragments étaient retenus ou notés par ses disciples. Ils furent d’abord conservés par la mémoire ; puis, après la mort de Mohammed, sous le calife Othman (644-655), ils furent rassemblés en chapitres ou sourates classés par ordre de longueur. En tête, se trouve la Fatiha, la plus récitée. Le Coran est divisé en 114 sourates comportant 6 211 versets.
Le Coran contient non seulement un message religieux, mais il a une portée également politique, juridique et morale car il n’admet aucune distinction entre le sacré et le profane. « Ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre appartient à Dieu »{Coran, IV, 131).
« Monument des lettres arabes », il est écrit dans une langue très belle, très pure et très poétique par son rythme incantatoire. La beauté et la perfection de la langue sont pour les musulmans un signe du caractère divin du Coran. Il le proclame d’ailleurs lui-même : « Dis, si les hommes et les djinns s’unissaient pour produire quelque chose de semblable à ce Coran, ils ne produiraient rien qui lui ressemble, même s’ils s’en¬traidaient » (Coran, XVII, 88). Il fournit pour le jeune musulman les premiers exercices scolaires et, appris par cœur, il continue à imprégner toute l’existence du croyant d’autant plus qu’il répond, à ses yeux, à tous les problèmes que se posent l’homme et la société. Il est de ce fait une des sources essentielles de la littéra¬ture arabe. « Le Coran n’est pas seulement l’œuvre par excellence de la littérature arabe ; il crée pour une large part cette littérature, non seulement parce qu’il lance dans le monde une civilisation que cette littéra- ,«£ ture exprimera, mais plus précisément parce que la
religion qu’il résume est à l’origine d’un grand nom¬bre de démarches intellectuelles où s’illustrent les écrivains », A Miquel (La littérature arabe, « Que sais-je ? », P.U.F., n° 1355). Le Coran constitue l’élément essentiel d’unité du monde musulman.