Les attitudes du corps
Certaines attitudes du corps portent en elles-mêmes une signification dont il faut rechercher le sens au fond de notre nature. Se prosterner, se plier devant quelqu’un est partout une marque apparente de respect. Il n’existe pas de peuple où la marque de respect consiste à se mettre sur la pointe des pieds ou à faire saillir l’abdomen. S’abaisser devant l’autre, c’est reconnaître sa grandeur, sa supériorité.
Par transposition, s’abaisser devant Dieu va de soi : plier le genou ou se mettre à genoux se retrouve dans la prière chrédenne ou musulmane. Cette dernière répétée cinq fois par jour, est une succession d’attitudes symboliques, debout, assis, prosterné. Dans l’ordination des prêtres catholiques, les nouveaux clercs s’allongent complètement sur le sol, face contre terre en signe d’humilité et de soumission.
Le symbolisme des gestes est aussi très explicite dans le bouddhisme Gédéons le fait pour la Bible. Le héros du Mahabharata est Krishna, incarnation de Vishnou, qui trouve dans les épisodes de la bataille l’occasion d’exposer la philosophie du Vedanta.
Le Ramayana évoque pour sa part un autre épisode dont le fonds est historique, la conquête du Sud de l’Inde et du Sri Lanka par les Aryens. La forme est cependant très romanesque et tourne autour d’une histoire d’amour de Rama, autre incarnation de Vishnou.
Comme on le voit, les livres sacrés de l’hindouisme sont de genres très variés et ne se limitent pas aux sujets religieux. Cette imposante littérature constitue plutôt un environnement culturel, fonds commun de tous les peuples hindouistes, depuis le Népal jusqu’à Bali. En réalité, le terme de sacré employé pour désigner ces livres est peut-être à prendre paradoxalement dans un sens profane, comme on parle de l’héritage sacré de nos traditions ancestrales.
Par contraste la Bible, dont les genres littéraires sont également variés, paraît très monolithique, centrée qu’elle est sur l’histoire du peuple élu et de ses rapports avec son Dieu. C’est cette omniprésence de Dieu qui, peut-on dire, lui donne son caractère sacré.
En comparaison avec l’imagination débordante des textes mythiques de l’Inde, les Evangiles ont la sobriété d’un moderne reportage journalistique. Pourtant leur témoignage de la vie de Jésus peut difficilement se comparer à un article de fait divers relaté par différents chroniqueurs.
A l’époque l’écriture était peu répandue alors que la tradition orale constituait la méthode normale et sûre de transmission de la pensée. Les premières relations écrites des événements de la vie de Jésus sont donc apparues au bout de quelques années, quand la multiplicadon et la dispersion des communautés chrétiennes les rendirent vraiment nécessaires
Le plus ancien Evangile semble être celui de Marc. Il est aussi le plus court et aurait été rédigé vers l’an 70. Les Evangiles de Luc et Matthieu dateraient des années 80 et celui de Jean, plus élaboré, de l’an 90 envi¬ron. 2.
Seuls deux évangélistes, Jean et Matthieu, faisaient partie des douze apôtres. Marc et Luc sont des personnages relativement secondaires, compagnons de saint Pierre et de saint Paul. Luc est également l’auteur des Actes des Apôtres, relation historiquement très précise des premières années de l’Eglise.
Aucun original des Evangiles n’a subsisté. Les plus anciennes copies datent du XVI siècle, ce qui est déjà remarquable. Par comparaison, les écrits de César ne sont connus que par des copies postérieures de neuf siècles à son œuvre.
Trois Evangiles ont été écrits en grec. Seul celui de Matthieu l’a été dans une langue sémitique, hébreu ou araméen.
Aucun Evangile n’a l’ambition d’être exhaustif, chacun constitue toutefois un ensemble qui se suffit à lui-même. Trois Evangiles sont d’une présentation assez semblable : on peut comparer leurs descriptions des mêmes événements, c’est pourquoi on les appelle synoptiques (en grec : « à voir ensemble »). Celui de Jean est assez différent.
Il est certain que de nombreux autres textes relatant la vie de Jésus- Christ ont été composés et ont circulé. Certains nous sont parvenus, ils sont appelés apocryphes (en grec : « caché »). Très tôt en effet, la tradition a rejeté ces textes, souvent parce qu’ils embellissaient l’histoire de faits merveilleux, mais aussi parce qu’ils ont été rédigés plus tardivement, à partir du ir siècle semble-t-il. Les noms des rois mages et des parents de la Vierge, la présence du bœuf et de l’âne dans la crèche, sont issus des apocryphes.
Ainsi les responsables de l’Eglise primitive, encore imprégnés de la tradition orale, n’ont conservé que les textes qui leur paraissaient rigoureusement conformes à ce qu’ils avaient entendu.
Dès l’origine, les Evangiles avaient pour souci d’être pédagogiques, seules les paroles et les actes importants du Christ ont été transcrits, sans souci véritable de les placer précisément dans le temps. Seuls les derniers jours de sa vie, son procès et sa mort sont, pour ainsi dire, minutés.
A la lecture des Evangiles, on ne peut manquer d’être frappé par le caractère précis des descriptions et la simplicité des paroles de Jésus, ce qui contraste vivement avec les miracles qu’il accomplit. On ne sent à aucun moment une quelconque emphase de conteur mais au contraire la conviction de témoins pour qui le doute n’est pas possible.
Les deux exemples des livres sacrés de l’Inde et des Evangiles illustrent bien à quel point les textes sont révélateurs du contenu profond des religions.
L’hindouisme est avant tout une culture avec ce que cela implique de traditions, de mythes, de rites et de règles auxquelles la société s’astreint.
En revanche, le christianisme a vocation d’être assimilable par n importe quelle culture. Seul un événement historique, la vie de Jésus- Christ, est le commun dénominateur des croyances de tous les chrétiens du monde. Chacun d’eux doit s’en faire un modèle qu’il applique à sa propre situation.