Les Bouddha de vénération
En dehors de la forme du Bouddha historique, vénéré en tant que tel, c ‘est-à-dire comme un Maître, un « montreur de voie », le bouddhisme populaire a consacré deux formes de Bouddha, ou plutôt de substituts de Celui-ci, qui connurent une grande faveur du fait de leur spécialisation même : Bhaishajyaguru et Amitâbha. Ces deux Bouddha, bien qu’essentiellement différents, représentent en fait deux pôles opposés qui se trouvent en dehors de la Doctrine strictement philosophique du Bouddha Lui-même. Le premier représente en effet le « guérisseur », et le second le « consolateur » des êtres.
Bhaishajyaguru (jap. Yakushi Nyorai; chin. Yaoshi Fo;tib. Smanbla Mania ; mongol Otochi)
Rien ne saurait mieux décrire cet aspect de la Divinité bouddhique que les qualificatifs attribués à ce substitut du Boudha, considéré cette fois comme une véritable divinité que l’on invoque pour obtenir quelque chose : le «Maître aux remèdes», le «Médecin des âmes et du corps », le « Sage et Savant Docteur des maux de ce monde », appelé Bhishaka ou Bhaishajyaguru dans les textes indiens. Selon une version tibétaine de ces derniers, Bhaishajyaguru aurait enseigné la médecine à un groupe de Rishi (sages de l’Antiquité indienne). Bien que ce Grand Bouddha se trouve décrit dans de nombreux textes sanskrits, ses représentations n’apparaissent pas avant que les doctrines du Mahâyâna ne lui donnent, selon la logique bouddhique (laquelle s’apparente à la logique médicale), une spécialisation qui en fera le Bouddha guérisseur par excellence. En Inde même comme en Asie du Sud-Est, ses représentations sont relativement rares, alors qu’au Tibet et en Chine, où les bouddhistes étaient fortement influencés par les pratiques paramédicales des taoïstes, son image se retrouve plus fréquemment, surtout pendant l’époque des Wei. Il est alors montré dans les mêmes attitudes et de la même manière que le Bouddha Shâkyamuni dont il ne se distingue que par la figuration, au-dessus de lui, de ses sept « corps ». Au Tibet, où ses images sont assez courantes, il est de couleur bleue. Il peut alors avoir cinq formes qui dérivent peut-être d’adaptations de textes ésotériques des doctrines du Vajrayâna. Dans la plupart des peintures le représentant, il est assis en Vajrâsana sur un socle de lotus. Les paumes de ses mains sont teintes en rouge. Sa main droite est en Varada-mudrâ sur le genou (parfois tenant un fruit de myrobolan), la gauche étant posée dans le giron et portant une coupe (ou un vase plein de médecines ou de fruits de myrobolan). En général sa protubérance crânienne est en forme de petit pain de sucre (contrairement à celle qui caractérise le Bouddha Gautama, qui est large et aplatie).Au Japon, où son culte fut très en faveur jusqu’au X siècle, on le nomme Yakushi Nyorai (Yakushi Rurikô Nyorai), le « Grand Bouddha maître des remèdes à l’éclat de béryl », ou encore Dai-i-ô, « grand roi des médecins ». On le confond également souvent dans ses fonctions, surtout au sein du peuple, avec l’Arhat Pindola Bharadvâja (jap.Binzuru Sonja). Les Japonais lui accordèrent tant d’importance qu’il fut même, en certaines circonstances, principalement dans les sectes ésotériques, placé au centre du panthéon bouddhique, à la place de Dainichi Nyorai (skt. Mahâvairochana) ou d’Ashuku Nyorai (skt. Ak- shobhya) , dans le mandala du Vajradhâtu de la secte Shingon, par exemple . A l’époque de Kamakura (1185-1333), au cours de laquelle la ferveur pour le Bouddha Amida était considérable, certains même n’hésitèrent pas à l’identifier à ce dernier, ce qui était tout à fait inorthodoxe. Trois sectes japonaises lui rendirent un culte séparé et le considérèrent comme l’Entité suprême, celles du Hosshô-shû, du Tendai-shû et du Shingon-shû, alors que les autres sectes ne le regardèrent que comme un simple aspect de la Divinité (secte Zen entre autres). Les sectateurs de la Terre pure d’Amida (Jôdo-shû) et de Nichiren ne lui accordent plus qu’une considération très limitée . Cependant la popularité de ce Bouddha guérisseur dépasse largement les cadres dogmatiques des sectes, et il est encore vénéré, à titre individuel, par beaucoup de Japonais.
Un des traits caractéristiques de ce Bouddha est le fait qu’il aurait prononcé, étant encore un Bodhisattva, douze grands vœux, dont certains concernaient la guérison physique des malades. Un autre de ses vœux était d’éclairer le monde par la lumière émanant de son corps, et c’est la raison pour laquelle il est parfois identifié au Japon au Grand Bouddha de la lumière solaire, Dainichi Nyorai comme chaque Jina, il a une terre de prédication. Celle-ci, que la tradition situe à l’est, c’est-à-dire du côté du soleil levant, le prédestinait à devenir un Bouddha essentiellement japonais, les îles du Japon, les plus orientales de l’Asie, étant placées sous le signe du soleil « né de la mer ». Et c’est peut-être la situation à l’est de sa terre de prédication (océan Pacifique) qui incita les hommes à penser que sa résidence divine, son paradis en quelque sorte (lequel participe de son second vœu), était une terre de « pur béryl», d’où le nom qu’il prend également de Bhaishajyaguru Vaiduryaprabhâsha (jap. Yakushi Rurikô), « à l’éclat de béryl ». Ces particularités furent probablement déterminantes du fait que Bhaishajyaguru fut l’une des premières divinités bouddhiques à être vénérées au Japon, et devint l’une des plus importantes. Le célèbre temple du Hôryû-ji, à Nara, aurait en effet été édifié par le régent Shôtoku pour y abriter une grande statue en bronze de Yakushi Nyorai, dans l’espoir d’obtenir de ce Bouddha-médecin la guérison de l’empereur Yômei (vers 587). En 680 également, le temple du Yakushi-ji fut construit à Nara, alors la capitale du Yamato, sur l’ordre de l’empereur Tenmu afin d’obtenir la guérison de l’impératrice malade. Connu au début par les seuls grands personnages de la cour, puis, au fur et à mesure que les doctrines bouddhiques se répandaient dans le pays, par des couches de plus en plus larges de la population, la réputation de Yakushi Nyorai ne fit que grandir et, à partir du Vlir siècle surtout, son culte prit une grande ampleur. Des lectures du Yakushi-kyô (texte canonique d’invocation à ce Bouddha) étaient faites dans les temples où l’on procédait également à des cérémonies de repentance appelées Yakushi-keka à l’occasion desquelles on abandonnait temporairement toute activité de chasse ou de guerre et on relâchait des animaux prisonniers. Ces cérémonies, qui comprenaient un rite de circumambulation autour de la statue de Yakushi (rite appelé Gyôdo-keka), étaient faites soit dans le but d’obtenir une guérison, soit dans celui de conjurer des malheurs nationaux (calamités diverses, épidémies, sécheresse, etc.) ou personnels. Dans ce même but, les sectateurs du Tendai-shû offraient à Yakushi Nyorai (tout comme à Dainichi Nyorai, d’ailleurs) des lampes et des lumières, par analogie avec un rite magique destiné à augmenter la puissance lumineuse du soleil, alors identifié au « corps lumineux » de Yakushi ou de Dainichi Nyorai, à la fin de l’année, ou pour chasser, en d’autres occasions, les puissances maléfiques des ténèbres.
Les sept corps ou formes de Bhaishajyaguru
Certains textes sanskrits, comme le Saptatathâgata-purva-pranidhânavi- chesba-vistara, ou chinois décrivent sept « corps » ou émanations que Bhaishajyaguru peut assumer lors de ses fonctions de guérisseur, parmi lesquels celui de Bhaishajyaguru lui-même. L’un de ces corps d’émanation (jap. Busshin) est parfois considéré au Japon comme une divinité indépendante : ce Zen Myôshô Kichijô-ô Nyorai est alors confondu avec Yakushi Nyorai. Ces émanations sont généralement représentées au-dessus de l’image de Bhaishajyaguru : elles ont une carnation rouge ou jaune d’or et font des gestes différents, bien que ces divinités soient toutes également assises en Vajrâsana (sur les peintures tibétaines), ou bien placées sur son auréole corporelle, tenant à la main un chintâmani. Ces émanations sont parfois seulement symbolisées par leurs lettres-germes respectifs (bîja ; jap. shûji) tracés en caractères Siddham sanskrits. On attribue à ces sept émanations des paradis distincts, tous situés à l’est, et un certain nombre de vœux.
Les représentations de Bhaishajyaguru
Nous avons vu qu’au Tibet, et dans la peinture lamaïque en général, les images de Bhaishajyaguru suivaient presque toutes le même schéma d’ensemble. En Chine et au Japon, ses images sont plus diversifiées, bien qu’obéissant sensiblement aux mêmes règles : il est généralement représenté assis, la main droite en absence de crainte (Abhaya) ou en don (Varada), la main gauche étendue le long de la hanche (position debout) ou bien reposant dans le giron, tenant (ou non) le pot à médecin. Ce pot à médecine est parfois appelé, à tort, bol à aumônes (pâtra). En fait c’est le « bol à médecine en béryl » (jap. ruri yakko).
La main qui tient la boîte à onguent est toujours simplement en Varada-mudrâ, la boîte (ou le pot, ou le gobelet) est simplement posée dessus, car les images d’un Tathâgata sont toujours immuablement représentées, en Chine comme au Japon, sans objet, en mudrâ simple. Un texte chinois, le Yaoshi Rulai Niansong Yigui (jap. Yakushi Nyorai Nenzu Gikî), précise cependant : « De la main gauche faire porter à Bhaishajyaguru un pot à médecine ou une perle précieuse. La main droite sera dans la mudrâ de l’Union des trois mondes. » Cette dernière mudrâ correspond à celle de l’absence de crainte (Abhaya) ; c’est la forme iconographique la plus courante au Japon et en Chine. Il semblerait d’ailleurs que les plus anciennes représentations de Yakushi Nyorai que nous connaissions au Japon ne possèdent pas de bol à médecine (mais peut-être celui-ci a-t-il simplement disparu). Par ailleurs Bhaishajyaguru suit les formes iconographiques des Grands Bouddha (Tathâgata).
Cependant, il convient de signaler une forme particulière de Yakushi Nyorai (effigie au Hôkai-ji, à Yamashiro, Japon) dont les mains sont en Dharmachakra-mudrâ, tenant le pot à médecine. D’autres formes iconographiques existent, fondées sur des textes différents (par exemple représentant Bhaishajyaguru avec le pouce de la main droite touchant l’annulaire de la main gauche) mais ces diverses formes sont principalement mentionnées dans des traités théoriques ou bien ne se trouvent figurées que sur des mandala.
Enfin, détail non expliqué, au Japon, Yakushi Nyorai ne fait pas partie des deux grands mandala du Vajradhâtu et du Garbhadhâtu de la secte Shingon. Tajima Ryôjun donne les raisons qui pourraient éventuellement expliquer cette absence de représentation. Celles qui nous paraissent les plus évidentes associent Yakushi Nyorai à Aksho- bhya (jap. Ashuku), le Bouddha de l’Est dans le Vajradhâtu Mandala, et à Mahâvairochana (jap. Dainichi Nyorai) dans le Garbhadhâtu Mandala.
Les acolytes de Bhaishajyaguru
Cette divinité se trouve souvent entourée, en sculpture comme en peinture, par deux Bodhisattva, Sûryaprabha (ou Sûryavairochana; jap. Nik- kô Bosatsu), symbolisant la lumière du soleil, et Chandraprabha (ou Chandravairochana; jap. Gakkô Bosatsu), symbolisant celle de la lune, l’un veillant sur les mortels pendant le jour, l’autre pendant la nuit. Ensemble ils forment un groupe appelé « auguste triade de Bhaishajyaguru» (jap. Yakushi Sanzon). Sûryaprabha et Chandraprabha sont montrés debout ou assis en Lalîtâsana. Sûryaprabha est, en peinture, représenté de couleur orangée, alors que Chandraprabha est de couleur blanche. Ils sont vêtus d’une robe monastique à longues manches, sans ceinture, ont des souliers aux pieds (ce qui est exceptionnel dans le cas des Bodhisattva) et les cheveux noués en un haut chignon entouré d’une couronne de soleils (pour Sûryaprabha) ou de lunes (pour Chandraprabha). Cependant leur vêtement peut varier d’une peinture à l’autre, de même que leurs bijoux et diadème. Bien que les mudrâ qui leur sont attribuées ne soient pas absolument fixées, ils réalisent souvent le geste de l’absence de crainte et d’offrande (Abhaya-Varada), symétriquement l’un par rapport à l’autre, ou bien ont les mains réunies en Anjali-mu- drâ. Ils portent aussi parfois un lotus dans la main droite et un disque solaire (Sûryaprabha) ou un lotus dans la main gauche et un croissant de lune (Chandraprabha). On les montre aussi comme des adolescents, avec les cheveux retombant en longues mèches. Le lotus bleu (utpâla) qu’ils tiennent alors à la main est surmonté soit d’un disque solaire, soit d’un croissant de lune. En peinture, Sûryaprabha est parfois représenté sur un char tiré par trois chevaux, ou bien à cheval. Chandraprabha est parfois montré chevauchant une oie. Ces Bodhisattva sont cependant rarement représentés indépendamment de Bhaishajyaguru.
Les douze guerriers de Bhaishajyaguru
Bhaishajyaguru commande également à douze guerriers (parfois considérés comme des Yaksha ou titans), appelés au Japon Jûni Shinshô (ou Jûni Daishô dans le Butsuzô-zu-î). Ils sont censés protéger les fidèles en présidant aux heures de la journée comme aux mois et directions de l’espace. Ce sont douze (parfois seulement neuf) généraux dont les armées combattent les maladies. Ces douze guerriers seraient également représentatifs des douze vœux de Bhaishajyaguru. Ils commanderaient aux quatre-vingt mille pores de la peau, défendant ainsi, au nom de Bhaishajyaguru, la santé des fidèles. Bien que décrits dans les textes sanskrits , chinois et japonais; les attributs qu’on leur donne ainsi que leur couleur (et parfois même leur nom) peuvent varier. Les peintures d’Asie centrale (de Khara-khoto notamment) les représentent comme des Yaksha indiens, avec des expressions farouches, parés comme des Deva ou Asura. Ils sont alors considérés comme des gardiens de l’espace (Dikpâla). Ils sont également assimilés, surtout en Chine et au Japon, aux gardiens des quatre points cardinaux (les Lokapâla ou Chaturmahârâja), comme des guerriers en armure. Ils sont rarement représentés indépendamment de Yakushi Nyorai, sans qui ils ne sauraient avoir d’existence. Ce sont (dans l’ordre donné par le Butsuzô-zu-i et le Bukkyô Daijten) :
- Khumbîra (jap. Kubira), jaune, armé d’un vajra.
- Vajra (jap. Bazara, Bajira), blanc, armé d’un glaive.
- Mikila (Mihira; jap. Mekira), jaune, armé d’un vajra.
- Andira (jap. Anteira), vert, armé d’un maillet ou d’un chasse- mouches.
- Anila (Majila; jap. Anira), rouge, armé d’un trident ou d’une flèche.
- Shandila (jap. Sandeira), gris, armé d’un glaive ou d’une conque.
- Indra (jap. Indara, Indatsura), rouge, armé d’un bâton ou d’une hallebarde.
- Pajira (jap. Haira), rouge, armé d’un maillet, d’un arc ou d’une flèche.
- Mahôraga (jap. Makora, Makura), blanc, armé d’une hache.
- Sindura (Kimnara ; jap. Shindara), jaune, armé d’une corde ou d’un chasse-mouches et d’un bâton de pèlerin (khakhara).
- Chatura (jap. Shôtora), bleu, armé d’un maillet ou d’un glaive.
- Vikarâla (jap. Bikyara), rouge, armé d’un vajra à trois pointes.
Ils sont généralement représentés debout, en armure, dans une attitude martiale ou menaçante, casqués ou les cheveux hérissés, avec une expression féroce. Au Japon, après la période de Kamakura (1185- I 333), ces douze guerriers furent parfois confondus (ou associés) aux douze animaux (Jûni Shi) du cycle des années.
En dehors de ses deux acolytes et de ses douze guerriers, Bhai- shajyaguru est théoriquement entouré de huit grands Bodhisattva qui sont : Manjushrî, Avalokiteshvara, Akshayamati, Mahâsthâmaprapta, Maitreya, Bhaishajyarâja et, au Japon, Hôdange Bosatsu. Ces huit Bodhisattva ont pour tâche de montrer aux fidèles le chemin du paradis d Amitâbha. Parmi ceux-ci se trouvent deux Bodhisattva de la médecine (au Japon Yaku-ô et Yaku-jô) qui seraient deux frères de la suite dAmitâbha dans sa « descente » (jap. Raigô) ou « accueil des fidèles dans le paradis dAmitâbha », et qui représenteraient la puissante purificatrice du soleil . En peinture, ils sont montrés tenant à la main une branche de saule. Cependant ces dernières attributions de Bodhisattva à l’effigie de Bhaishajyaguru nous paraissent très tardives et furent probablement des tentatives des sectes vénérant Amitâbha pour essayer d’englober dans leurs doctrines celles qui se rapportaient à Bhaishajyaguru et ainsi gagner à leur foi une partie au moins de ses fidèles. On ne peut guère accorder de valeur symbolique absolue à ces dernières attributions qui demeurent, du reste, tout à fait théoriques, et dont les fidèles se soucient peu. Le populaire vénère non seulement la divinité de Bhaishajyaguru, mais, par un phénomène qui se retrouve sous toutes les latitudes et à toutes les époques, ses statues elles-mêmes, qui deviennent ainsi, par transfert, des sortes de fétiches. Il vénère ainsi certaines statues de Bhaishajyaguru comme étant plus ou moins efficaces dans leurs pouvoirs de guérison. Les vertus qui sont généralement attribuées par les fidèles aux statues de Bhaishajyaguru sont multiples : on les croit capables de veiller sur la santé des gens, de les protéger contre les épidémies et les diverses maladies, contre les dangers qui guettent leurs familles et les femmes en couches, de les préserver des périls encourus lors des voyages en mer, et même de guérir de la stérilité.
Il existe, au Japon surtout, de nombreuses effigies de Yakushi Nyorai (Bhaishajyaguru) auxquelles le populaire attribue des pouvoirs merveilleux : celle du Kaizô-ji à Kamakura aurait été découverte — la tête seulement — par un moine du nom de Genno alors qu’elle gémissait toutes les nuits dans la terre où elle se trouvait enfouie à la suite d’un cataclysme. Ces gémissements auraient miraculeusement cessé lorsque le moine eut réparé la statue. Les Japonais vénèrent également des statues de Yakushi Nyorai dans les stations thermales, notamment à Kumano Yunomine Onsen.
Enfin, toujours au Japon, une divinité syncrétique appelée Gion Tenjin, protectrice du sanctuaire de Gion à Kyôto, est souvent identifiée comme étant une émanation de Yakushi Nyorai, laquelle ne serait autre que le héros mythique Susanoo no Mikoto, frère turbulent du Kami solaire Amaterasu Omikami des légendes du shinto. Cette divinité n’a pas de forme fixée mais se distingue parfois, sous le nom de Gozu Tennô, par un crâne de bœuf posé sur sa tête. Elle a l’apprence d’un Deva, avec deux ou plusieurs bras. Cependant cette identification syncrétique est souvent contestée.
On voit que, pour Bhaishajyaguru comme pour les autres divinités du panthéon bouddhique, de nombreuses opinions partagent, non pas les fidèles, mais les théologiens. Il est toujours difficile, dans le Mahâyâna, d’affirmer un dogme quelconque et de le définir avec précision : la divinité est, comme l’être humain, sujette à d’infinies variations. Elle aussi n’est qu’un cadre général qui ne peut se satisfaire de règles trop absolues qui risqueraient, dans leur rigidité, et selon l’éthique asiatique, de leur ôter toute vie : ce qui est vraiment vivant, c’est ce qui peut changer, évoluer, surtout ce qui peut être conçu de mille manières différentes suivant les individus. Car en définitive, la Divinité n’est que ce que les hommes veulent bien qu’Elle soit : Elle reste avant tout humaine, se transforme et vit parmi les hommes qu’Elle a pour mission de soulager, d’aider. Les fidèles ne sauraient La concevoir autrement sans s’éloigner d’Elle.
Ambitâbha , le Bouddha de l’au-delà
D’origine indienne comme la plupart des autres formes du Bouddha historique, Amitâbha n’est cependant pas formellement attesté en Inde, peut-être du fait de la perte des textes qui en parlaient. Le plus ancien témoignage que l’on ait d’un culte rendu à Amitâbha paraît en effet dater du voyage que fit en Inde le pèlerin chinois Huiren (Canmin) en 712-719- C’est au VIII siècle seulement que son culte aurait été introduit au Tibet par Padmasambhava . Mais des sûtra à la gloire d’Amitâbha étaient déjà traduits en chinois, dès les II ou III siècles de notre ère : le culte d’Amitâbha avait donc à cette époque une certaine importance. On a parfois tenté de lui trouver une origine iranienne, ce qui paraît plausible en raison de la situation occidentale qu’il occupe dans l’espace bouddhique d’une part, et de son aspect solaire de l’autre. Il était évidemment tentant d’en faire une sorte de « bouddhisation » de Mithra. Mais son origine réelle reste encore à déterminer. Aucun aspect du Bouddha n’a fait couler autant d’encre sous la plume des théologiens et exégètes ni suscité autant d’opinions diverses sur sa personnalité que le personnage d’Amitâbha. Mais c’est justement cela qui nous permet, non pas de le définir (il y faudrait consacrer plusieurs ouvrages), mais de le cerner avec suffisamment de précision pour que nous puissions nous le représenter comme le conçoivent ses fidèles.
Cet aspect du Bouddha, appelé Amida au Japon (Mida par licence poétique), correspond aux formes sanskrites tardives d’Amitâbha d’Amitâyus et d’Amrita car il est pratiquement ignoré des doctrines du Petit Véhicule. On situe sa terre de prédication (son paradis) à l’ouest. Il symbolise donc, à l’opposé de Bhaishajyaguru, le soleil couchant. Et, toujours par opposition (et complémentarité à la fois), la vie dans l’au-delà, ce que nous appelons chez nous la mort et la vie après celle-ci. Son paradis occidental est la Terre pure (Sukhâvatîvyûha ; jap. Gokuraku Jôdo) : « C’est là que les “ âmes ”, débarrassées de leur gangue d’impuretés, pures de tout désir, se rendent à l’appel d’Amitâbha. »
Amitâbha est le Bouddha qui accueille, qui console dans l’au-delà. C’est également un Bouddha de « pouvoir intellectuel » : il est la « cause excellente » de la « sapience du discernement merveilleux » (Pratyavekshanâjnana) Toute compassion, il délivre les êtres de leurs souffrances et les accueille dans sa Terre pure.
Cependant, selon Paul Mus, Amitâbha serait, de même que les autres Jina (aspects du Bouddha), une personnification de l’un des épisodes de la vie du Bouddha historique (voir au chapitre des « Grands Jina »). Alors qu’il n’était encore qu’un Bodhisattva, Amitâbha aurait médité pendant le temps de cinq Kalpa (ères bouddhiques et indiennes) avant de prononcer son grand vœu en quarante-huit points par lequel il s’engage à sauver tous les êtres quels qu’ils soient et où qu’ils se trouvent.
Cette fonction salvatrice, jointe à la simplicité de la doctrine des diverses sectes de la Terre pure, lui valut une popularité considérable, tant au Tibet qu’en Chine ou au Japon (secte du Jôdo-shû qui fit d’Amida sa divinité principale, et secte du Jôdo-shinshû qui en fit sa divinité unique). Il est d’ailleurs difficile de déterminer qui, de la personnalité propre d’Amitâbha ou de la simplicité des doctrines « ami- distes », contribua le plus à l’immense faveur que connut Amitâbha auprès des fidèles. Il est probable que l’aspect consolateur d’Amitâbha parla autant au cœur des hommes que la simplicité des doctrines fondées sur la foi plut aux masses illettrées comme aux guerriers et aux aristocrates, peu soucieux de pratiques rituelles compliquées… Il est d’autre part certain que l’essor des cultes et des doctrines amidistes au Japon à partir du IXe siècle transforma de fond en comble le bouddhisme japonais dans ses rapports avec le peuple, en diffusant des bribes de ses doctrines jusque dans les couches les plus humbles de la population. On peut donc affirmer que l’amidisme (d’abord celui de la secte du Jôdo, puis celui du Jôdo-shinshû) a profondément modifié les processus de pensée du peuple japonais, contrairement aux autres pays où son influence ne fut guère plus importante que celle des autres divinités du panthéon bouddhique. Avant le IX’ siècle, les Japonais voyaient les divinités bouddhiques (peut-être à l’exception de Yakushi Nyorai) comme des entités étrangères, aristocratiques, qu’il était bon, certes, de ne pas offenser et qu’il convenait de révérer, mais avec lesquelles ils n’entretenaient pas de rapports directs, séparés d’elles qu’ils étaient par une masse de textes religieux (pour la plupart écrits en chinois, langue à laquelle leur instruction ne leur permettait pas d’avoir accès, à moins d’appartenir à la classe des grands aristocrates ou à celle des moines) et par des religieux qui se souciaient peu de se mettre à leur portée et dont les discours leur paraissaient fort abscons… Mais à partir du moment où des hommes comme eux, et même des princes de sang (comme nous le verrons plus loin avec Kûya Shônin) et des moines démunis se mirent à parcourir les campagnes et à prêcher dans leur langue aux gens des campagnes, leur racontant des légendes qu’ils pouvaient comprendre et leur expliquant les textes sacrés à l’aide de paraboles et d’images, les Japonais, tant ceux des campagnes que ceux des villes et les guerriers, se sentirent invinciblement attirés par la personnalité toute compatissante d’Amida. À cela s’ajoutait une sorte de terreur sacrée de la fin du monde (la même, à peu de chose près, que celle qui fit trembler le monde occidental aux approches de l’an mil), les moines annonçant la venue du Mappô pour le milieu du XI siècle, « ère de dégénérescence de la Loi bouddhique » qui apparaissait aux âmes simples de ces époques troublées comme devoir être une sorte de fin du monde. En Chine, ce phénomène, bien qu’il fût connu des moines, n’affecta aucunement les populations, le bouddhisme étant déjà à cette époque (et cela depuis l’an 845) une religion peu répandue dans les masses et qui n’intéressait que quelques communautés de fidèles. Chacun avait donc, au Japon, comme une hâte de croire en quelque chose de meilleur, se sentait un besoin immense d’espérance en un au-delà différent des sombres angoisses d’un inconnu qui leur semblait effroyable. Certains qu’ils avaient désormais la possibilité, quelles que fussent leurs errances, d’avoir accès, au prix d’un peu de foi, au paradis de la Terre pure d’Amida, ils en vinrent à considérer leur vie ici-bas d’une manière différente, la concevant désormais comme une simple période transitoire, et leurs conceptions, de concrètes qu’elles étaient, se spiritualisèrent progressivement. Le sentiment de l’impermanence de toute chose, idée chère au bouddhisme, imprégna profondément les esprits japonais et modifia de manière sensible le comportement des hommes : ce nouvel esprit transparaît clairement dans toutes les œuvres de l’époque, dans les romans comme dans les contes épiques et même dans les correspondances particulières et les notes intimes. Au XIIe siècle, période troublée au cours de laquelle de tragiques évènements donnèrent de plus en plus de poids à cette idée de l’impermanence, même les guerriers les plus endurcis ne pouvaient s’empêcher de songer sans cesse à celle-ci : d’une part elle les rendit plus actifs, peut-être parce que plus fatalistes, mais d’une autre elle contribua très fortement à leur faire mépriser la mort, considérée non plus comme une fin inévitable qu’il importait de retarder le plus possible, mais comme un simple « passage » vers une vie meilleure, toute de paix et de sérénité. La société japonaise s’en trouva transformée. En Chine, Amitâbha fut tout d’abord assimilé à un Bouddha particulier, le Bouddha de la Précieuse Loi (Fabao), puis fut finalement identifié comme étant Omituo Fo (transcription d’Amitâbha Bouddha). Son culte parut devenir important vers le V‘ siècle, avec l’apparition des doctrines de la Terre pure ou du paradis de l’Ouest (chin. Xitian).
On le connut là sous de très nombreux noms, tels que « Maître originel » (Upadhyâya ; chin. Benshi Heshang), « Souverain Maître du paradis de l’Ouest » (chin. Xitian Jiaozhu), « Grande Compassion et Sympathie » (chin. Daci Dabei), etc. On croit que le nom même d’Omituo Fo (Amitâbha) fut introduit en Chine par un moine d’Asie centrale, appelé Jilugacan ou Jiloujiachan, qui s’installa au monastère du Cheval Blanc (chin. Baima Si) à Luoyang afin d’y traduire les textes afférents à Amitâbha. Son culte se développa progressivement, mais n’atteignit jamais l’ampleur qu’il eut au Japon. Dans ce pays, les esprits populaires avaient déjà été quelque peu préparés à l’apparition des cultes du Bouddha Amida par les doctrines syncrétiques (apparues au début du IX’ siècle) qui associaient divinités bouddhiques et Kami du terroir. Amida fut tout d’abord, dans cet esprit (et aussi de par sa nature solaire), identifié à une autre divinité solaire, le Kami le plus important du culte shintô, ancêtre de la dynastie impériale, Amaterasu Omikami, vénérée dans le sanctuaire national d’Ise. Dans ce même Ryôbu-shintô (doctrine syncrétique fondée sur le Honji-suijaku, ou « doctrine de la descente », ou avatâra), dans laquelle un rapport de réalité à manifestation était établi entre les divinités bouddhiques et les Kami du Shintô, Amida fut également identifié à Hiyoshi Shoshin, un Kami du mont Hiei (près de Kyoto), à Shôjo Gongen (Ietsu no Mikoto) de Kumano, et à Hachiman (ou Yawata), Kami de la guerre nommé gardien du temple du Tôdai-ji à Nara. À partir de la fin du IX’ siècle, de très nombreux temples amidistes furent élevés dans tout le Japon, soit par des fonctionnaires, soit par des particuliers ou des communautés villageoises, le nombre des fidèles d’Amida ne cessant de s’accroître. Ces temples furent dénommés Amida-dô (salle d’Amida), ou encore Muryôju-in selon les cas ou selon l’appartenance à une secte amidiste ou ésotérique du fondateur. Ces temples tendaient à reproduire sur terre le « paradis d’Amida ». En 1020, par exemple, le régent Fujiwara no Michinaga (966-1027) fit élever le temple du Hôjô-ji dans cette intention et, à son propos, le Eiga-monogatari raconte qu’il « construisit tellement de salles qu’il semblait que l’on avait la Terre pure sous les yeux. » L’architecture des temples bouddhiques s’en trouva également transformée, car il était alors essentiel que la statue d’Amida se trouvât placée au centre de la salle d’adoration, les fidèles devant faire une circumambulation tout en récitant l’invocation rituelle du nom d’Amida ou Nembutsu. Certains temples devaient prendre des dimensions oblongues, afin d’abriter les neuf aspects (Kubon) d’Amida à l’intérieur de la Terre pure (aspects correspondant aux neuf degrés de maturité des êtres reçus par lui dans son paradis). La décoration des temples, d’austère qu’elle était, changea également : les édifices devinrent luxueux, s’ornèrent de fleurs, de jardins et de lumières innombrables. Fêtes et processions s’y déroulaient jour et nuit, parfois avec un faste inouï, dans l’espoir d’arriver à égaler l’enchantement de ce que le peuple pensait devoir être la Terre pure d’Amida. La fine fleur de l’aristocratie passait alors une grande partie de son temps en prières, chansons et danses dans ces temples. Les galants s’y donnaient même rendez-vous, les femmes de qualité venaient y passer la nuit auprès de la Divinité car il était de bon ton d’y venir faire retraite.
Dans les villages, à côté des temples furent dressées des estrades couvertes où paysans et moines venaient danser joyeusement ensemble en chantant et en psalmodiant le Nembutsu (le nom d’Amida). Le 14′ jour du 6′ mois était le plus gai, qui était le jour d’Amida, car ce « jour brillant » (jap. harebi) était également chômé (tout au moins jusqu’à l’époque de Kamukura. En Chine, on célébrait également avec faste le jour anniversaire de la naissance du Bouddha Omituo Fo, le 17 jour de la 11 lune.
La dévotion à Amitâbha était joyeuse et de ce fait eut certainement une grande part dans la diffusion de son culte, les fidèles étant par nature plus enclins à la gaieté qu’aux pratiques austères… Ils avaient alors coutume d’offrir à Amitâbha (Amida ou Omituo Fo) de très nombreuses lampes, afin de redonner plus de force et de vie au soleil couchant, au cours de cérémonies appelées Mando-e (myriade de lumières) au Japon, Amitâbha étant également appelé le « Bouddha aux douze lumières » (jap. Jûnikô Butsu). Mais cette offrande était aussi un symbole : par cet acte, le fidèle offrait lui-même sa propre existence à la divinité, il s’immolait lui-même symboliquement, et ce sacrifice était censé être agréable à la divinité. Nous retrouvons d’ailleurs cette identification de la vie de l’individu et de la lampe allumée, vacillante, dans de nombreux folklores et même dans Les Mille et Une Nuits. Les suicides par le feu dans les pays bouddhistes n’eurent probablement pas d’autre origine : les fidèles s’offraient eux-mêmes, comme une lampe.
Amida Nyorai, dont le culte est devenu l’un des plus populaires et est encore de nos jours extrêmement répandu au Japon (il a pratiquement disparu des autres pays), est généralement invoqué, non pour obtenir des biens dans ce monde-ci, mais plutôt à des fins spirituelles, surtout afin d’obtenir de lui une « bonne mort » et l’accueil dans son paradis de la Terre pure. Pour cela, l’invocation de son nom (jap. Nem- butsu ; formule chinoise Nanwu Omituo ; jap. Namu Amida Butsu), propagée au Japon par le moine Kûya Shônin au X’ siècle, est réputée toute-puissante. Mais si les sectes japonaises du Jôdo-shû et du Jôdo- shinshû (parfois celle du Tendai) font souvent usage de cette invocation, elle est peu utilisée par les sectes Zen et totalement rejetée par les nichirénistes. De très nombreux ouvrages populaires furent écrits et diffusés au Japon sur la dévotion à Amida, et de non moins nombreuses légendes se greffèrent sur ses fonctions, rapportant principalement les miracles que fit ce Bouddha sauveur. On raconte notammentqu’une famille Miyagi (d’Adachi, à Tôkyô) demeurait sans descendance, malgré les prières adressées à Kumano Gongen, une divinité syncréti- que. Cependant, après de longues années une fille vint à naître dans cette famille. Comme elle était d’une grande beauté, on la surnomma Adachi Hime (la princesse du quartier d’Adachi). A l’âge de dix-sept ans on la maria; mais martyrisée par sa belle-mère, elle se suicida avec cinq de ses servantes (cette forme de suicide collectif ou Junshi n’était pas rare dans le Japon ancien, et il arrivait fréquemment que des serviteurs ou des amis suivent dans la mort leur maître ou un être cher, afin de continuer d’être avec eux dans le paradis d’Amida). Son père fit alors sculpter dans le tronc d’un seul arbre six statues d’Amida afin que ce Bouddha daigne accepter dans sa Terre pure les âmes de sa fille et de ses fidèles servantes, et plaça ces six effigies dans six temples de la région. La coutume s’établit alors de faire un pèlerinage annuel dans ces six temples afin de prier pour les défuntes et en même temps supplier Amida de permettre que les pèlerins aient, eux aussi, une « bonne mort ». De ces six temples, seuls demeurent encore ceux du Keimei-ji (à Numada-machi) et du Muryô-ji (à Nishigahara)… Récemment, et dans le même esprit, une statue d’Amida fut réalisée avec des os calcinés des victimes du grand tremblement de terre qui détruisit Tôkyô en 1923. Ce souvenir macabre (il mesure un mètre de haut et se trouve actuellement dans un temple élevé à la mémoire des victimes de cette catastrophe, le Jikô-in, à Tokyo) n’est pas, pour les Japonais, de mauvais goût : habitués à vivre avec l’idée de la mort et point du tout effrayés par celle-ci puisqu’elle doit leur permettre d’accéder à un monde meilleur (celui d’Amida), ils n’ont jamais éprouvé cette terreur et cette horreur qui, chez la plupart des Occidentaux, est presque instinctive face à ce qui touche de près à la mort ; tout au plus considèrent-ils celle-ci comme une souillure (du point1 de vue du shintô). En communion incessante avec la nature, ils se sont toujours habitués à regarder la vie comme une suite ininterrompue de naissances, de dégradations et de morts. L’homme, faisant partie intégrante de la nature, ne saurait échapper à cette Loi universelle. Dès lors, pourquoi perdre sa vie à déplorer une fin que l’on ne saurait éviter ? Seule la peur d’un au-delà inconnu aurait pu faire frémir d’appréhension : mais Amida n’etait-il pas là, prêt à accueillir tous les êtres ? Il suffisait donc d’avoir foi en Lui, en Sa toute-compassion, pour être délivré de l’angoisse de la fin et vivre plus sereinement.
Les représentations d’Amitâbha
On ne trouve pratiquement pas, comme on pourrait s’y attendre, de représentations d’Amitâbha en Inde. En Asie du Sud-Est, on en rencontre sur les monuments appartenant au Mahâyâna, notamment sur le grand stûpa du Borobudur (fin VIIIe siècle – début IXe siècle), à Java, où quatre-vingt-douze de ses effigies (assises en position du lotus avec les mains en méditation, Dhyâna-mudrâ) garnissent les niches des galeries de l’Ouest, ainsi que sur la coiffure des représentations du Boilhisattva Avalokiteshvara (appelé Lokeshvara au Cambodge). Au Népal et au Tibet, Amitâbha est souvent représenté en sculpture et sur les mandala, en étroit embrassement (Yab-yum) avec sa Shakti ou énergie féminine complémentaire Pândarâ. Plus souvent on le montre sur les thangka ou les mandala sous sa forme d’Amitâyus (voir note 170), en Bodhisattva couronnéassis en lotus, mains en méditation (Dhyâna-mudrâ) supportant un vase d’ambroisie (amrita ; jap. kanro), la liqueur divine d’immortalité qui confère la sapience. Il est alors parfois assis à côté d’un arbre Ashoka. En Chine, Amitâbha est montré dans la même position, mais très souvent accompagné de ses deux acolytes, Guanyin (Avalokiteshvara) et Mahâsthâmaprapta assis à ses côtés. Lorsqu’il est représenté debout, il porte alors en Chine le nom de Jieyin Fo, « le Bouddha qui guide au Paradis ». On lui attribue parfois de très longs bras, ce qui lui permet d’atteindre tous ses fidèles.
En Corée et au Japon, les images d’Amitâbha apparurent très tôt, pratiquement en même temps que les doctrines du bouddhisme. Une des plus anciennes images de ce Bouddha au Japon semble être celle du zushi (sorte d’autel portatif en forme d’armoire) ayant appartenu à une dame de la famille Tachibana (VIIP siècle) où Amida est montré assis en Vajrâsana (ou Ardhapadmâsana), cheville droite sur cuisse gauche, les mains faisant un geste d’accueil non défini (la main droite levée, la main gauche en Varada), accompagné de ses deux acolytes debout sur des fleurs de lotus. Sur les autres images japonaises, il peut adopter des positions différentes, avoir les mains en méditation (Dhyâna-mudrâ), posées l’une sur l’autre, pouces et index réunis de manière à former deux triangles accolés (Amitâbha Dhyâna-mudrâ ; jap. Amida Jô-in), ou encore avoir les deux pieds apparents, être assis en Lalîtâsana ou, plus rarement, les mains faisant le geste de tourner la roue de la Loi (Dharmachakra-mudrâ) à hauteur de la poitrine, geste qui, nous l’avons vu, est généralement réservé à Shâkyamuni. En peinture, son image est souvent multiple, comme pour augmenter son efficacité.
En sculpture, Amida est généralement représenté assis avec les mains en Dhyâna-mudrâ ou en Vitarka-mudrâ, seul ou accompagné de ses acolytes. On le montre aussi parfois debout (mais plus particulièrement sur les peintures). Dans ce dernier cas, pour les sculptures appartenant à la secte du Jôdo, son auréole corporelle affecte la forme d’un bateau (jap. funagata-kôhaî), afin de rappeler qu’Amida est le passeur des fidèles au-delà de l’océan des douleurs. Il semblerait que les formes les plus anciennes au Japon (pour la plupart disparues) eurent les mains en Dharmachakra-mudrâ, Amida ayant alors été l’objet d’une certaine confusion avec le personnage du Bouddha historique. Sous l’influence des doctrines japonaises de l’ésotérisme (Mikkyô), Amida présenta ses mains en Dhyâna-mudrâ, surtout à partir de la période finale de Heian (de vers 900 jusque vers la fin du XIIe siècle) et pendant la période de Kamakura, c’est-à-dire jusqu’au début du XIV siècle. La forme d’Amida, qui, dans l’ésotérisme, appartient au mandala du Vaj- radhâtu, appelé Amitâyus (jap. Muryôkô ; chin. Wuliang Guangming), « Lumière infinie », se distingue en ce que celui-ci présente un pan de sa robe retombant sur son épaule droite, alors que dans son aspect d’Amitâyur (jap. Muryôju; chin. Wuliang Shu), « Longévité infinie » dans le mandala du Garbhadhâtu, ses deux épaules sont couvertes par sa robe.
En tant que Bouddha principal de l’ésotérisme, Amida porte une couronne. Son corps et sa robe (pan retombant sur l’épaule droite) sont de couleur rouge : il est alors nommé au Japon Guhari-shiki no Amida, ou encore Guhari no Amida (Amida de couleur pourpre).
Il est parfois aussi, toujours en sculpture, assis avec les pieds entièrement cachés par sa robe (signe d’appartenance à l’ésotérisme), une large coiffure (sa tête étant supposée avoir grossi pendant le temps des cinq Kalpa que dura sa méditation précédant la formulation de son vœu. Ses mains sont alors en Anjali-mudrâ. On nomme cet aspect particulier Gokôshiyui no Amida (Méditation des cinq Kalpa) ou encore Inni Hôzô Nyorai (Grand Bouddha de méditation sur la Cause).
En peinture, Amida est parfois représenté (au Japon principalement) « apparaissant derrière la montagne » (Yamagoshi no Amida, Shutsugen no Amida), comme s’il était le soleil couchant. Sur quelques peintures il est également représenté debout sur un chemin situé entre une rivière de feu et une rivière d’eau séparant son paradis du monde terrestre, invitant du geste les fidèles à le suivre.
Les représentations sculptées ou peintes d’Amitâbha sont extrêmement diverses et nombreuses, étant donné la faveur dont jouissait ce Bouddha. Au Japon, les particuliers lui élevaient de nombreuses statues et faisaient peindre ses images. On raconte que Taira no Shigenori (1138-1179) avait fait réaliser quarante-huit statues d’Amida (sous sa forme de Jûni-ko Butsu), une par point de son vœu. En général (mais cela est loin d’être une règle absolue), les sectes ésotériques l’ont représenté assis sur une fleur de lotus, tandis que les sectes « amidistes » l’ont plus volontiers montré debout, sans couronne, les mains en absence de crainte et don (Abhaya-Varada-mudrâ). Cependant certaines sculptures et peintures, réalisées pour illustrer des croyances particulières, peuvent présenter des formes exceptionnelles.
Enfin il est à noter que l’image d’Amitâbha, debout ou assise, se trouve presque toujours placée dans la coiffure ou sur la couronne d’Avalokiteshvara et de ses émanations, ceux-ci étant considérés comme des hypostases d’Amitâbha. Lors des persécutions antichrétiennes qui eurent lieu au Japon pendant la période d’Edo (XVII et XVIII siècles), certains chrétiens, afin de ne point paraître suspects, firent réaliser des images d’Amida qu’ils placèrent sur une croix, à l’emplacement normalement occupé par l’effigie du Christ. Cette association était toute naturelle pour des hommes habitués au syncrétisme religieux, d’autant plus que la personnalité salvatrice d’Amida pouvait, à certains égards, s’apparenter à celle du Sauveur chrétien. La foi chrétienne pouvait ainsi fort bien, pour des catéchumènes japonais, s’allier à la foi en Amida. Cette association n’était pas aussi hérétique que l’on pourrait le supposer tout d’abord…
Il est remarquable de constater que l’apparition dans le bouddhisme d’un « Bouddha de l’au-delà » tel qu’Amitâbha correspondait à un désir profond des hommes d’être rassurés quant à leur devenir après la mort. Cette vie dans l’au-delà n’avait en effet jamais été envisagée par le Bouddha lui-même, qui ne se préoccupait que de sauver les hommes des douleurs de ce monde. La philosophie du Bouddha historique ne comportant pas de métaphysique, les hommes eurent tôt fait de remédier à cette lacune en créant, toujours dans l’esprit de compassion du bouddhisme, une divinité qui, demeurant dans cet au- delà inconnu, était susceptible de les accueillir et de les réconforter.
Les formes ésotériques d’Amitâbha
Nous avons vu qu’Amitâbha pouvait prendre au moins deux aspects, selon le. mandala considéré : Amitâyus, « Lumière infinie >> et Amitâyur, « Longévité infinie ». Ces deux formes ne furent guère représentées que sur les mandala, sauf peut-être l’aspect d’Amitâyus, qui fut en grande faveur au Tibet où il est représenté comme un Bouddha paré, couronné, orné de joyaux comme un Bodhisattva, les deux pieds apparents sur les cuisses, et tenant dans ses mains en méditation le flacon d’ambroisie. Substitut d’Amitâbha dont il est le principal aspect, Amitâyus est naturellement accompagné des deux acolytes d’Amitâbha. Il est rarement accompagné de sa parèdre Pândarâ, mais peut être parfois représenté avec plusieurs faces (jusqu’à quatre) et plusieurs bras (deux à huit). Sa monture (vâhana) est un paon, qui parfois apparaît sur les images peintes. Quant à Amitâyur, il n’est pratiquement jamais représenté, sauf sur quelques mandala.
Sous sa forme d’Amitâyus (chin. Changsheng Fo; tib. Tse-dpag- med; mongol Chaghlasi ügei Nasutu) ou de Bouddha de la Vie éternelle, il est nettement différencié par les Tibétains de sa forme normale d’Amitâbha, alors que les Chinois et les Japonais confondent les deux formes (sauf cependant dans les mandala). Les images le représentent comme un Bouddha paré, richement vêtu et orné, avec les cheveux tombant sur les épaules ou noués en chignon. Il tient dans ses mains en Dhyâna-mudrâ le vase à ambroisie qui contient la drogue de vie éternelle (parfois symbolisée sur les images tibétaines par des chapelets de pilules ou une branche d’arbre Ashoka). Il n’est jamais représenté sous cette forme en embrassement (Yab-yum) car il ne possède pas de Shakti.
En Chine, où il est appelé Omituo Fo, il fut assimilé par les taoïstes à une divinité de longue vie (dont ils recherchaient depuis longtemps l’élixir). Il conquit donc d’emblée la faveur des foules, et l’importance grandissante de son culte provoqua maintes controverses entre les tenants du confucianisme et les bouddhistes. Il est représenté comme les Bouddha de l’Inde et du Sud-Est asiatique, ou bien debout, avec les bras très longs. Dans ce dernier cas, on le nomme Jieyin Fo (le Bouddha qui guide au paradis).
Les neuf sortes d’accueil (Raigô) d’Amitâbha en son paradis
Au Japon, Amitâbha (Amida) est très souvent représenté (en peinture) en Raigô, c’est-à-dire en position d’accueil du fidèle dans sa Terre pure de l’Ouest, entouré de vingt ou vingt-cinq Bodhisattva, d’êtres célestes musiciens et autres. Amida est alors, suivant les cas, assis ou debout. La description de ce paradis d’Amitâbha, la Sukhâvatî, située à l’ouest, diffère selon les sûtra et les auteurs. Selon le Saddbarmapundarîka-sûtra, les femmes ne sont pas admises dans ce paradis mais peuvent, grâce à leurs mérites, y renaître sous la forme masculine. Dans d’autres Ecritures, le sexe des « invités » au paradis d’Amitâbha n’est pas mentionné du tout. Et, selon le 35 vœu de ce Bouddha, toutes les femmes qui croient en lui doivent renaître dans son Paradis… Selon le texte japonais du Kan Muryôju-kyô, il existe trois classes d’accueil comportant chacune trois degrés correspondant aux qualités du fidèle reçu dans le Jôdo (Terre pure) par Amida assisté de Kannon (Avalokiteshvara) et Seishi Bosatsu (Mahâsthâmaprapta); à chacune de ces classes et de ces degrés correspondrait une mudrâ (jap. bon, in) caractéristique du fidèle impétrant :
- La première classe, la plus haute ( Jôbon ), est celle dite de la contemplation des Bodhisattva. Elle est réservée aux fidèles qui ont en perfection les trois pensées de sincérité, de foi et du ferme désir de renaître dans la Terre pure. Ils sont accueillis sur un trône de diamant.
- La deuxième classe, moyenne (Chûbon), est celle dite de la contemplation des auditeurs (Sbrâvaka’, jap. Shômon). Elle est réservée à ceux des fidèles qui, ayant suivi d’autres voies de salut que la dévotion unique en Amida, n’en ont pas moins eu le désir de renaître dans le Jôdo. Ces fidèles y seront accueillis sur des fleurs de lotus plus ou moins épanouies selon leur pureté.
- La troisième classe, inférieure (Gebon), est celle dite de la contemplation des laïcs. Elle est réservée à tous les autres hommes, même à ceux dont les fautes furent grandes, mais qui ont cependant été instruits de la Doctrine et ont prononcé, ne serait-ce qu’une seule fois, l’invocation au nom d’Amida (Nembutsu) au moment de leur mort.
Les trois degrés de chaque classe correspondent à la maturité et au degré de perfection atteint par les fidèles appartenant à chaque classe. À chacun de ces degrés correspond une mudrâ particulière. Il existe ainsi neuf degrés de perfection entre lesquels sont répartis tous les fidèles ; chacun d’eux reçoit donc, dans le paradis d’Amida, un accueil correspondant à son état spirituel, état qui est signalé par la mudrâ que réalise Amida au moment où il le reçoit en sa Terre pure :
- Jôbon Jôshô : Jô-in, pouce sur index ;
- Jôbon Chûshô : Seppô-in, pouce sur index ;
- Geshô : Raigô-in, pouce sur index ;
- Chûbon Jôshô : Jô-in, pouce sur majeur ;
- Chûbon Chûshô : Seppô-in, pouce sur majeur ;
- Chûbon Geshô : Raigô-in, pouce sur majeur ;
- Gebon Jôshô : Jô-in, pouce sur annulaire ;
- Gebon Chûshô : Seppô-in, pouce sur annulaire ;
- Gebon Geshô : Raigô-in, pouce sur annulaire.
Les positions les plus représentées sont les trois premières, les autres, peut-être à cause de destructions accidentelles, étant beaucoup plus rares. Il est également probable que les artistes eurent à cœur (lorsqu’il ne s’agissait pas d’ensembles pour l’enseignement mais de peintures exemplaires) de montrer comment les fidèles les plus méritants étaient accueillis dans la Terre pure, ce qui leur permettait de réaliser une image du paradis plus frappante et surtout plus représentative aux yeux du peuple (et sûrement à leurs propres yeux); ce serait une des raisons (et à notre sentiment non la moindre) qui font que les images montrant le Raigô d’Amida dans la première classe sont beaucoup plus nombreuses.
On a beaucoup épilogué sur la signification exacte de ces classes et de ces mudrâ d’accueil et l’on a parfois émis l’opinion qu’elles ne concernaient pas uniquement les fidèles d’Amida, mais également tous les hommes (première classe, les fidèles d’Amida étant reçus au premier degré), les Prêta (jap. Gakki) ou êtres fantomatiques affamés errant dans l’attente d’une réincarnation, un peu comme nos âmes du purgatoire chrétien, dans la seconde classe, enfin les animaux dans la dernière…
Ces positions de l’accueil d’Amitâbha sont décrites dans le Sukhâ- vâtîvyûha et sont évoquées dans certaines pièces du théâtre N). Certaines furent même représentées en sculpture, notamment dans l’Amida-dô du Jôruri-ji près de Kyôto, et en peinture sur les murs du Hôô-dô du Byôdô-in à Uji (datant de 1053).
Au Japon, la secte du Jôdo-Shinshû représente généralement Amida debout, avec les mains en Hôben-Hôshin (des moyens du Dhar- makâya), la droite levée paume en avant, index et pouce se touchant, la gauche étendue vers le bas faisant la même mudrâ, qui signifierait l’accueil d’Amida en son paradis de la Terre pure.
En peinture surtout, les Raigô d’Amida sont représentés au Japon à partir du X siècle et semblent inspirés des peintures murales chinoises de l’époque des Tang. Sur ces images, Amitâbha est toujours accompagné de vingt ou vingt-cinq Bodhisattva, parmi lesquels les deux acolytes d’Amitâbha, Avalokiteshvara et Mahâsthâmaprapta. Amitâbha est aussi parfois montré accompagné de ses douze corps de lumière, appelés en japonais Busshin et Kôbutsu. A ces divers Bodhisattva et émanations se joignent de nombreux musiciens ainsi que divers êtres célestes, sortes d’anges (Apsarâs ; jap. Tennin ; chin. Tiannü), ae gardiens de l’espace (Lokapâla), parfois aussi d’Arhat et d’oiseaux chanteurs, Gandharva et Kimnara. Sur la même image, on trouve aussi quelquefois une représentation des six destinées de la transmigration (Gati ; jap. Rokudô) selon la Loi bouddhique du Samsâra (cycle des renaissances). Ces acolytes d’Amitâbha se trouvent soit debout, soit assis ou agenouillés sur des nuages et des fleurs de lotus.
On distingue trois types de peintures de Raigô (jap. Raigô-zu) :
Dans le plus ancien (appelé Muka-e no Mandara au Japon), Amitâbha et son cortège de Bodhisattva sont assis, de face, et leur groupe est dans le lointain, au-dessus d’un paysage.
Ceux que l’on a coutume d’appeler « descente d’Amitâbha » : celui-ci est assis ou debout comme ses acolytes. Le groupe ainsi formé est montré de trois quarts face comme s’il se dirigeait vers la terre, symbolisée dans le bas de l’image par un paysage terrestre.
Amitâbha en « descente rapide ». Ces images, nommées au Japon Haya Raigô-zu (Raigô rapide), montrent le groupe dans un mouvement accentué de « descente vers la terre » et donne une certaine impression de rapidité. Elles furent surtout exécutées au Japon pendant la période de Kamakura (1185-1333).
Enfin il faut citer une forme exceptionnelle de Raigô, particulière au Japon et appelée Amida Jizô Raigô, qui montre Amida accompagné, en plus de ses Bodhisattva habituels, de Kshitigarbha (jap. Jizô Bosat-su). Certaines images, comme l’Ofuda de l’Eikandô, furent également réalisées mais elles sont rares et constituent des exceptions.
Les groupes d’Amitâbha et de ses acolytes
Lorsque Amitâbha est représenté avec seulement deux acolytes, généralement Avalokiteshvara qui personnifie sa compassion envers tous les êtres, et Mahâsthâmaprâpta qui représente sa sagesse et sa force (ce dernier peut parfois, exceptionnellement, être remplacé, comme nous venons de le voir, par Kshitigarbha), la triade ainsi formée prend le nom de vénérable triade d’Amitâbha (jap. Amida Sanzon). Avalokiteshvara tient alors à la main une fleur de lotus pour accueillir le fidèle dans la Terre pure, tandis que Mahâsthâmaprapta garde les mains jointes en Anjali-mudrâ. Parfois ces deux acolytes ont leurs mains en garde du trésor (jap. Hôkyô-in), mais cette position est rare. Dans un cas au moins, ces deux acolytes sont (on ignore pourquoi) debout sur un seul pied et torse nu. Mais ils sont généralement décrits comme étant debout, ou assis en Padmâsana, ou encore agenouillés, parfois simplement accroupis, un seul genou touchant le sol.On montre parfois aussi Amitâbha en compagnie du Bouddha historique, sur le même autel, car Amitâbha est (rarement) aussi associé au Bouddha historique et à Maitreya : cette triade insolite symboliserait, croit-on, les trois âges.
Un autre type d’ensemble, appelé au Japon Amida Goson, « vénérable groupe de cinq », comprend, en plus dAmida et de ses acolytes, deux Shrâvaka ou « auditeurs fidèles de la parole du Bouddha », considérés soit comme des Arhat, soit comme des êtres aspirant simplement à devenir des Bodhisattva. Une tradition japonaise les identifie à Kshitigarbha et au moine indien Nâgârjuna (jap. Ryûju Bosatsu).
Sur les mandala, il se trouve également diversement entouré : sur celui du Vajradhâtu, il se nomme Amitâyus (jap. Muryôkô; chin. Wuliang Guangming). Il est représenté avec une couronne sur la tête, les mains en Dhyâna-mudrâ tenant le vase d’Amrita, la robe lui couvrant les deux épaules. Il est de couleur rouge et est assisté de quatre Bodhisattva.
Sur les mandala d’Amitâbha (tels que Amida Mandara), il est appelé Amitâyur (Muryôju; chin. Wuliang Shu) et est entouré de huit Bodhisattva debout ou assis sur les huit pétales d’une fleur de lotus dont il occupe le centre. Sur le mandala du Garbhadhâtu, il est entouré de quatre Bodhisattva qui symbolisent ses qualités et ses vertus. Enfin, certains ensembles, appelés au Japon Jittai Amida, « des dix corps d’Amitâbha », sont parfois représentés : quatre « corps » sont représentés de face, les autres de trois quarts.
Les acolytes et personnages associés à Amitâbha
Les acolytes habituels d’Amitâbha sont, nous venons de le voir, Avalokiteshvara et Mahâsthâmaprâpta. Ces personnages sont décrits en détail à leur place respective dans les chapitres traitant des Bodhisattva, ainsi que le personnage épisodique du Raigô d’Amida, Kshitigarbha. Cependant, il nous a semblé utile de les évoquer ici (tout au moins les deux premiers), afin de les mieux situer par rapport à Amitâbha.
Avalokiteshvara
Il représente la toute-compassion d’Amitâbha envers les êtres qui souffrent. C’est également une hypostase d’Amitâbha, le dispensateur des mérites de la compassion infinie de celui-ci.
Mahâsthâmaprapta (chin. Daishize ; jap. Dai Seishi)
C’est « Celui qui a obtenu une grande force » et qui représente la forceet la sagesse d’Amitâbha. Il assiste, avec Avalokiteshvara à sa droite, à l’accueil des fidèles dans la Terre pure. Peu représenté en Inde et en Asie du Sud-Est, il figure en compagnie d’Avalokiteshvara dans les grottes de Yüngang en Chine (debout, main droite en Vitarka, main gauche en Varada). Ce Bodhisattva est également considéré comme une déification de Maudga- lyâyâna, un des dix grands disciples du Bouddha Gautama. Peu de temples lui ont été consacrés et par conséquent on trouve très rarement ses effigies isolées de celles d’Amitâbha et d’Avalokiteshvara. Mahâsthâmaprapta (jap. Seishi Bosatsu, Dai Seishi ; chin. Daishizhe, Dashizi) a l’aspect général d’un Bodhisattva. Il est représenté (en dehors des Raigô) soit assis en Lalitâsana, soit debout ou agenouillé. Il a les mains jointes en Anjali-mudrâ ou en Vitarka-Varada-mudrâ (jap. Raigô-in). On le reconnaît principalement à ce qu’il porte un vase précieux sur sa couronne (mais ce signe distinctif est fort souvent absent des représentations, peut-être parce que l’on ne sait pas très exactement ce que signifie la présence de ce vase). Il est parfois montré avec un lotus épanoui à la main droite, la gauche étant en une sorte de Varada-mudrâ (index allongé, autres doigts repliés) ou tenant une fleur de lotus. Cependant, ainsi que nous l’avons signalé plus haut, il peut aussi avoir les mains en « garde du trésor » ou tenant une corolle de lotus pour recevoir le fidèle dans la Terre pure d’Amitâbha. Dans les peintures montrant la « descente d’Amitâbha », Mahâsthâmaprapta est pratiquement toujours représenté à gauche d’Amitâbha.
Enfin, on peut rattacher au culte d’Amitâbha au Japon les œuvres d’art représentant le moine Kûya Shônin, religieux japonais (904-972) que l’on dit être un fils de l’empereur Uda. Ce moine aurait, en 937, prêché le Nembutsu Odori ou invocation chantée et dansée du nom d’Amida, et contribué au développement au Japon de la fête des Défunts (Ullambana ; jap. Urabon-e) et des danses qui se pratiquent à cette occasion (Bon Odori) pour invoquer les esprits des morts. Kûya Shônin eut de son temps une grande activité itinérante et fut à l’origine de la construction de nombreux temples amidistes et des estrades de danse. On le représente comme un moine, maigre, le crâne rasé, marchant en s’appuyant sur un long bâton surmonté d’un bois de daim ou de cerf et frappant sur un gong placé sur sa poitrine. De sa bouche jaillissent des effigies représentant Amida, liées entre elle comme le sont les paroles d’un sûtra (ce mot signifiant à la fois « fil » et « texte sacré ») : elles représenteraient les invocations ou Nembutsu prononcées par lui. Cependant, certaines statues ou peintures le représentent comme un moine errant, sans attribut particulier.