Les cinq grands Bouddha de sagesse: bouddha de la sagesse
Les Cinq Grands Bouddha de sagesse, appelés aussi les Cinq Jina (d’un terme sanskrit signifiant « vainqueur »), ou encore les Cinq Tathâgata, ont des origines mal déterminées, bien que leur existence et leurs représentations paraissent relativement anciennes en Inde. De nombreuses théories ont vu le jour, tendant à éclaircir leur origine et leur raison d’être. Correspondant aux cinq « orients » de l’espace indien (les quatres points cardinaux et le zénith), ils symboliseraient les cinq membres du Bouddha historique. Le roi indien Ashoka aurait en effet, si l’on en croit un récit du pèlerin chinois Xuanzang , fait ériger près de Pâtaliputra (Patna), sa capitale, cinq stûpa en l’honneur du « Tathâgata composé de cinq parties». Selon certains auteurs, ces Cinq Jina seraient des individualisations des principales mudrâ utilisées pour symboliser, dans le bouddhisme ésotérique, les moments les plus caractéristiques de la carrière du Bouddha Gautamaselon d’autres, ils représenteraient les cinq Bouddha historiques. Paul Mus, sans rejeter ces explications, est d’avis que la pensée bouddhique peut avoir conçu un Bouddha spirituel condensant dans cinq hypostases les cinq grands moments historiques de la vie du Bouddha, les Cinq Manushi Buddha (Bouddha humains, Nirmânakâya), les cinq éléments typesde la philosophie indienne et les cinq orients. On peut néanmoins penser qu’en fin de compte, pris solidairement, ils hypostasient cinq attitudes, fonctions et attributs du seul Bouddha Shâkyamuni. Ils en substantifient pour ainsi dire cinq épithètes, ils fixent cinq épisodes marquants de sa carrière dont cinq statues distinctes commémoreraient le souvenir.
C’est là un point que les recherches de Paul Musont admirablement mis en lumière. Selon Werner, « l’idée semble être que chaque Bouddha mortel (ceux du passé, le Bouddha historique et celui du futur) possède sa contrepartie, pure et glorieuse, dans le monde spirituel, et libre des conditions contraignantes de cette vie matérielle ; ou alors que le Bouddha (historique) dans Sa condition matérielle n’est qu’une apparence, le “ reflet ” ou émanation d’un Bouddha immanent vivant dans les régions d’un monde d’idée et de transe mystique. En conséquence, le nombre de ces Bouddha de sagesse est théoriquement infini comme le nombre des Bouddha, bien que cinq seulement d’entre eux aient été reconnus. »Les stûpa, que l’on dit dérivés des tumuli funéraires et devenus tardivement des monuments commémoratifs particuliers au bouddhisme, étant eux-mêmes des images du cosmos et symbolisant le Bouddha et Sa Doctrine, devaient, par voie de conséquence, symboliser également les cinq aspects sous lesquels le Bouddha pouvait être conçu. Mais il semble que les images des quatre Jina hypostases du Bouddha ne furent apposées que tardivement sur les flancs orientés des stûpa. Quoi qu’il en soit, ces Cinq Jina représentent, pour le bouddhisme des écoles du Nord et en particulier pour les sectes ésotériques, le symbole essentiel de la Doctrine. Ces Cinq Bouddha de sagesse (Dhyâni-Buddha, comme on les appelle dans certaines écoles du Nord) furent par la suite identifiés avec tous les groupes de cinq objets ou idées existant dans la conception hindoue du monde : les cinq Bouddha historiques, les cinq sens, les cinq Skandha (forme, perception, conscience, action et connaissance), les cinq points cardinaux, les cinq vertus, etc., et un point de l’espace fut attribué à chacun de ces Bouddha. De même, par la logique des choses, ces Bouddha de sagesse, étant également des Bouddha de méditation (Dhyâni-Buddha) par la puissance de leur concentration et de leur méditation contemplative, donnèrent naissance à des sortes de reflets agissant d’eux-mêmes, ou Bodhisattva de méditation (Dhyâni-Bodhisattva), aussi appelés Bodhisattva de sagesse, dont la mission est de créer le monde et de veiller sur lui. C’est ainsi que chaque Jina est censé être, selon certaines théories, le reflet ou la protection magique d’un des cinq Bouddha historiques (au nombre de sept au Népal). En fait, chacun de ces Jina serait trois entités en une seule : un Bouddha historique, sa projection mystique et son émanation agissante. Nous avons donc la correspondance :
- Zénith : Mahâvairochana – Krakucchanda – Samantabhadra
- Est : Akshobhya – Kanakamuni – Vajrapâni
- Ouest : Amitâbha – Gautama – Avalokiteshvara
- Sud : Ratnasambhava – Kâshyapa – Ratnapâni
- Nord : Amoghasiddhi – Maitreya – Vishvapâni
Cependant, selon la tradition ésotérique, ces Cinq Jina correspondraient également aux cinq étapes sur la voie du salut :
- Mahâvairochana : esprit immaculé, moyens de salut ;
- Akshobhya : esprit emmagasiné, éveil du cœur ;
- Amitâbha : esprit pur, éveil spirituel ;
- Ratnasambhava : esprit passionné, ascèse ;
- Amoghasiddhi : les cinq sens matériels, entrée dans le Nirvâna.
Alors que les sectes du Petit Véhicule n’ont accepté pour leur vénération que la personne du Bouddha Gautama, celles du bouddhisme du Nord ont fait de l’un ou de l’autre de ces Bouddha de sagesse l’objet principal de leur vénération. C’est ainsi que la secte japonaise du Jôdo-shinshû ne vénère qu’Amitâbha (Amida), alors que les sectes éso¬tériques du Tendai et du Shingon ont fait de Vairochana leur divinité principale. Les autres « aspects » n’ont jamais occupé qu’une place secondaire dans la vénération des fidèles et n’ont, la plupart du temps, été représentés que sur des mandala, ou en groupe avec les autres Jina. Selon le bouddhisme ésotérique des écoles du Nord, la réunion des deux grands mandala du Vajradhâtu et du Garbhadhâtu montre l’harmonie existant dans l’univers entre les forces qui le régissent, et concilie unité divine et diversité des aspects ces aspects étant entité potentielle (Vajradhâtu) et manifestations dynamiques (Garbhadhâtu). Les places respectives des Bouddha de sagesse et de leurs Bodhisattva correspondants y sont marquées en raison de leur puissance potentielle ou de leur activité dans le monde. Ces deux mandala sont orientés à l’inverse l’un de l’autre car leur réunion ne peut se faire que par confusion (ou coïncidence), face à face. Dans certaines cérémonies ésotériques, ils sont placés l’un en face de l’autre, de part et d’autre des officiants, le mandala du Vajradhâtu étant suspendu au mur ouest, l’autre au mur est…
Le Wajradhâtu Mandala montre, au centre du diagramme, Vairochana en concentration (mudrâ en Chikenin), entouré des quatre autres Jina qui éveillent les forces dynamiques de l’univers. Ils sont assistés chacun de quatre Bodhisattva et ont tous un halo blanc.
Le Garbhadhâtu Mandala montre les divers groupes de divinités et les êtres divins disposés selon leurs intentions, leurs forces ou bien leurs possibilités d’action. Le centre de l’univers y est symbolisé par un lotus au centre duquel siège Vairochana, les mains en Dhyâna-mudrâ, et sur les huits pétales duquel se trouvent les quatre autres Jina et quatre grands Bodhisattva entourés d’un double halo de couleur rouge. Toutes les autres manifestations sont disposées autour ainsi que leurs attributs, symboles et lettres-germes représentant le son (la vibration sonore créatrice) qui leur correspond. Ces divinités sont séparées en deux classes principales, de sagesse et de contemplation. Diverses autres divinités sont parfois associées, nous le verrons plus loin, aux Cinq Bouddha de sagesse. Elles se trouvent également représentées sur d’autres mandala. Les deux grands mandala du bouddhisme ésotérique furent probablement importés de Chine au Japon par Kûkaien 806, bien qu’il ne soit nullement impossible que d’autres copies aient pu être introduites au Japon et en Corée avant cette date. Leur ésotérisme fut principalement utilisé par la secte Shingon, mais aussi, de manière plus accessoire et moins rigide, par les sectes Tendai et quelques autres. L’ordre de description et les noms mêmes des Cinq Jina varient selon les sectes. C’est ainsi qu’il arrive (au Japon principalement) que Bhaishajyaguru se trouve parfois mis à la place d’Akshobhya (ils sont tous deux à l’est), que Prabhutaratna remplace Ratnasambhava et que, dans certains cas, le Bouddha historique remplace Amoghasiddhi. Kshitigarbha est parfois également considéré comme un Bouddha de sagesse.
Les sectes qui vénèrent Amitâbha considèrent que tous les Bouddha de sagesse sont de simples émanations d’Amitâbha, et ne leur rendent aucun culte particulier. Les autres sectes du Mahâyâna les vénèrent de manières très différentes, mais ce sont principalement les diverses formes de Vairochana d’une part et le personnage d’Amitâbha de l’autre qui obtinrent la plus grande faveur auprès des fidèles. On rend généralement aux autres un culte global avec celui des autres Bouddha de sagesse.
Les représentations des Cinq Tathâgata sont relativement rares dans la sculpture indienne où on les trouve sur les faces des stûpa tardifs (comme le Dhâmek à Sarnâth, et à Nâlandâ par exemple, vers le VII siècle). En peinture, ils sont plus souvent représentés, principalement sur les ouvrages techniques et parfois sur les auréoles des Dhyâni-Bodhisattva. Au Népal, les statues des quatre Bodhisattva se trouvent souvent autour de la base des stûpa, Vairochana étant symbolisé par le corps même du stûpa. Ils sont également bien représentés dans le grand stûpa-mandala du Borobudur, à Java (VIIIsiècle), où leurs statues (quatre-vingt-douze de chaque côté) se trouvent situées dans des niches correspondant à leurs horizons. Les statues de Vairochana sont disposées à l’intérieur des stûpa ajourés des trois terrasses terminales de cet ensemble.
Au Japon, où les doctrines ésotériques connurent un assez grand succès du IXe au XIV siècle, les Cinq Jina (jap. Gochi Nyorai) se trouvent souvent représentés en sculpture, disposés comme sur les manda- la… Un aspect de Vairochana (jap. Dainichi Nyorai), commun aux deux mandala et qui semble faire la liaison entre eux, est également parfois représenté : il est appelé Ichiji Kinrin Nyorai (skt. Ekâkshara Ushnî- shachakra Tathâgata). Enfin, certaines sectes reconnaissent un sixième Tathâgata, Vajrasattva. Nous l’étudierons plus loin .
L’étude de ces divinités ésotériques est souvent ardue, et il est souvent très difficile de comprendre quelles furent leurs fonctions dans l’esprit des religieux qui les créèrent ou qui les vénèrent. Mais elles furent si fréquemment représentées que leur description s’impose, même si, parfois, celle-ci s’avère quelque peu aride.