Les douze grands Deva : Vinàyaka
Cette divinité hindoue, surtout vénérée au Japon, est parfois syncrétique. Elle est également connue dans ce pays sous les noms de Daishô Kangi-ten (le Grand et Noble Dieu réjoui), de Shôten-sama, de Tenson-sama. C’est certainement une des divinités les plus secrètes et les plus difficiles à saisir du panthéon bouddhique japonais : peu de traités lui sont consacrés, et les moines n’en parlent pas volontiers, en raison de la puissance cachée qu’il recèle. Kangi-ten représente le dieu hindou Ganesha à tête d’éléphant, le fils de Shiva. On le nomme également Binayaka, simple phonétisation japonaise de son nom sanskrit. C’est aussi Nandikeshvara, « Celui qui écarte les obstacles ». Il est réputé être le fils de Daijizai-ten (Shiva) et de Shô Kannon Bosatsu (Aryâvalokiteshvara) sous une forme identique à celle d’Umâ, l’épouse de Maheshvara-Shiva. Dispensateur des richesses, il serait doué d’une puissance formidable et redoutable. Il est invoqué comme protecteur de l’Etat aussi bien que des particuliers. Sa nature étant double, masculine et féminine (Shiva et Aryâvalokiteshvara), alliant ainsi le brahmanisme et le bouddhisme, il est à la fois maléfique et bénéfique. Il est représenté par deux corps étroitement entrelacés (ceux de Shiva et d’Aryâvalokiteshvara sous la forme de Jûichimen Kannon « à onzetêtes »). Selon les sectes ésotériques (ou tantriques), la partie masculine ne serait autre qu’une métamorphose de Mahâvairochana (jap. Dainichi Nyorai), et le couple représenterait l’union intime du fidèle avec le Bouddha – principe de toutes choses. Selon la philosophie chinoise, les deux corps symboliseraient l’union parfaite du Ciel et de la Terre ou ceux des principes confucéens du Li et du Ji (jap. Ri et Ki). Cette divinité secrète, introduite au Japon par la secte Shingon, fut reprise par la suite à des fins tantriques, par la secte Tendai entre autres. Son image n’est jamais exposée à la vue des fidèles. Des rites particuliers, comprenant des immersions de sa statue dans l’huile, lui sont attachés. Dans les sectes ésotériques japonaises, la double nature de Kangi-ten symboliserait l’union intime des deux grands mandala de la secte Shingon (Ryôbu Mandara).
L’atmosphère de secret qui entoure ses images, « et, de façon générale, tout ce qui touche le dieu, explique que celui-ci soit, dans le panthéon bouddhique, une des très rares divinités qui inspirent aux Japonais un sentiment de crainte ». On représente Kangi-ten par des effigies, généralement de petites dimensions, le plus souvent en métal (à cause des immersions dans l’huile), le bois n’étant pas exclu mais plus rarement utilisé.
On rencontre parfois son image au centre des anneaux des bâtons de pèlerin (khakkhara), à la place du petit stûpa qui s’y trouve habituellement : il indique alors que le pèlerin appartient à une secte tantrique. Kangi-ten peut présenter un assez grand nombre d’aspects qu’il est possible de ranger, tout au moins au Japon, sous deux rubriques principales : aspects tantriques et aspects normaux.
Aspects tantriques
Kangi-ten a, dans le tantrisme surtout, nous l’avons vu, une double nature. Il est donc représenté par deux figures humaines à tête d’éléphant, face à face et étroitement enlacées. Leurs attributs sexuels sont parfois apparents et joints, mais cela est assez rare. Ils ont une étoffe jetée sur les épaules, et leurs hanches sont également drapées. L’élément féminin porte une couronne simple (ou un diadème), des bijoux et des bracelets ; ses pieds marchent sur ceux de son partenaire. Ce corps féminin serait censé être une métamorphose assumée par Avalokiteshvara afin de contenir et rendre bénéfique la redoutable énergie de Vinâyaka. Sa défense droite est cassée. Les deux corps sont de couleur blanche. On en connaît au moins trois formes :
- Têtes joue à joue et regardant du même côté, trompes enroulées.
- Têtes reposant sur l’épaule droite de la divinité complémentaire, et regardant dans des directions opposées.
- Le mâle a une tête d’éléphant, la femelle une tête de laie (forme très rare et très secrète).
Ces formes sont vénérées secrètement car elles sont supposées posséder une puissance terrifiante. Elles sont soigneusement tenues à l’abri des regards dans de petits sanctuaires portatifs (jap zushi) dans les temples des sectes ésotériques. Nul n’en parle à celui qui n’en est pas adepte.
Aspects normaux
Ces aspects sont généralement constitués par une seule figure de Vinâyaka, sans contrepartie féminine. Ils sont moins secrets et sont généralement vénérés par des particuliers qui leur attribuent une grande puissance. Ces Kangi-ten peuvent prendre plusieurs formes :
- Une seule figure humaine à tête d’éléphant (Ganapati); il est assis, avec deux bras, et tient des attributs divers : dans la main droite un radis japonais (daikon), dans la main gauche une pelote de fil (également un parasol, un arc et des flèches, un rosaire, un glaive).
- Avec quatre bras et quatre jambes (usage parfois tantrique). Dans ses mains droites, il tient une hache, une pelote de fil (parfois sur un plateau) ou une corde et un trident ; dans ses mains gauches il tient une défense d’éléphant et un bâton (ou une hache et un vajra à une pointe).
- Avec six bras : il a la tête tournée vers la gauche, la trompe relevée, la défense droite cassée, le corps de couleur orangée ou rouge. Dans ses mains droites, il porte un bâton, une corde, une défense d’éléphant (ou une aiguille) ; dans ses mains gauches un glaive, un plateau de fruits (ou une pelote de fil), un chakra.
- Debout sur un rocher, avec quatre bras. Dans ses mains droites il porte une hache et une pelote de fil ; dans ses mains gauches une corde et un couteau.
- Debout sur un rocher, avec six bras. Mains droites tenant un vajra à cinq pointes, une corde et un sceptre (ou un bâton) ; mains gauches tenant un glaive ayant la poignée ornée d’un vajra à cinq pointes, une pelote de fil et un chakra.
Ces formes sont loin d’être les seules car on ne les connaît pas toutes, de même qu’on ignore la raison d’être de leurs attributs. On vénère tout spécialement Kangi-ten dans le sanctuaire de Matsuchiyama à Asakusa (Tôkyô) et dans celui d’ikoma à Nara.
Il ne semble pas que Vinâyaka ait été l’objet d’un culte particulier au Tibet. En fait, on ne rencontre son image que sous sa forme brâhmanique de Ganesha (aussi appelée ici Vinataka), en tant que démon (tenant dans les mains une fleur, un rat ou une calotte crânienne), sous les pieds d’un des aspects de Mahâkâla. D’autre part, son culte ne semble pas attesté en Chine, bien qu’il soit presque certain que cette divinité complexe ait été vénérée secrètement dans les temples des sectes ésotériques… Cependant, nous n’en possédons, tout au moins à notre connaissance, aucune image.
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