Les grandes religions
Les données chiffrées que nous venons de présenter, malgré leur caractère approximatif, montrent déjà la grande diversité des religions et, surtout, laissent percevoir comment chaque courant religieux se fractionne en tendances jusqu’à aboutir à l’émiettement final que nous constatons tous : il n’y a pas deux individus qui pensent exactement de la même façon.
Tout en gardant cette vérité fondamentale à l’esprit, on peut aussi valablement constater que cette infinie variété se regroupe autour des croyances fondamentales caractéristiques des grandes religions ou des grandes philosophies.
Ce sont ces croyances fondamentales que nous allons décrire maintenant mais, plutôt que de les présenter dans le désordre, nous suivrons un plan qui fait ressortir leur relative continuité.
Trois grands groupes se dégagent :
-Certaines religions se disent révélées, c’est-à-dire que Dieu s’est manifesté pour indiquer en quoi consistent les rapports qu’il entend voir s’établir entre Lui et les hommes. Par ordre d’apparition dans l’Histoire, ces religions sont le judaïsme, le christianisme, l’Islam et la religion des mormons. Toutes sont très clairement monothéistes – elles ne reconnaissent qu’un seul Dieu – et elles comportent des règles nombreuses et précises touchant non seulement le culte rendu à Dieu mais aussi la vie en société. Ce sont des religions intégrales.
– Un autre groupe de religions donne, par comparaison avec les précédentes, l’impression d’être moins décantées, moins organisées, plus touffues. Sans que cette réflexion soit le moins du monde péjorative, on y constate vin foisonnement de cultes qui peuvent s’interpréter comme une réticence ou une impuissance à formuler l’idée d’un Dieu unique. Généralement, ces religions connaissent des variantes qui se rapprochent du monothéisme, mais sans qu’il soit clairement affirmé. Ce type de religion se rencontre le plus souvent dans les civilisations très anciennes, le contenu en est rarement conceptualisé de façon précise, un certain flou dans les croyances est communément admis. En transition entre ce groupe et le précédent, on trouve le zoroastrisme, forme récente et élaborée de la religion avestique. Au stade ultime de son évolution, c’est pratiquement un monothéisme ; dans une phase antérieure, il existait deux divinités, celle du Bien et celle du Mal, et, à l’origine, une multiplicité de dieux aux fonctions diverses. Parmi les religions actuelles qu’on peut rattacher à ce deuxième groupe, on compte l’hindouisme, auquel est lointainement apparenté le zoroastrisme, mais également les différentes religions traditionnelles, dont ce qu’on appelle les animismes. Elles se trouvent sous des formes diverses sur tous les continents. La grande majorité des religions antiques se rattache à ce groupe.
– Le troisième groupe comprend des quasi-religions, c’est-à-dire que ce sont essentiellement des philosophies : elles ne rejettent pas l’idée d’un dieu, mais s’en passent le plus souvent, considérant qu’il est hors de portée. Ces « religions » proposent surtout un comportement, c’est- à-dire une morale. En transition avec le groupe précédent, le bouddhisme, issu de l’hindouisme, connaît des variantes populaires où sont quasiment divinisés ceux qui ont atteint l’état de Bouddha. Ce type de bouddhisme résulte souvent d’un amalgame avec un fonds animiste plus ancien.
Ainsi, l’ordre dans lequel nous présenterons les principales religions sera le suivant :
religions révélées :
• judaïsme
• christianisme
• mormons (qui se rattachent au christianisme)
• Islam
religions de transition :
• zoroastriens
• sikhs
religions « polythéistes » :
• hindouisme
• religions traditionnelles et animisme (shinto, vaudou…)
• religions antiques
religions « morales » :
• bouddhisme
• confucianisme
• taoïsme
Nous compléterons par quelques indications sur les religions syncrétistes qui cherchent à rassembler dans un culte unique ce qu’elles jugent le meilleur dans les autres religions, puis nous évoquerons les
sectes sous leur1 différentes formes, et enfin le communisme stalinien, considéré sous l’angle de ses rites.
Ce plan tente de faire ressortir une impression qui n’engage que l’auteur : les religions monothéistes ont, en quelque sorte, une position médiane entre les religions apparemment polythéistes et les religions dont le contenu est essentiellement moral.
Seules les religions révélées affirment clairement l’existence d’un dieu unique qui se manifeste aux hommes. Les religions polythéistes ressentent, consciemment ou non, le besoin d’intermédiaires entre l’homme et l’absolu. Quant aux religions « morales », elles hésitent à formuler explicitement l’existence d’un dieu, mais elles recommandent un comportement qui converge étonnamment avec celui des autres religions.
Si Dieu existe et qu’il cherche à se faire connaître, Ses voies sont aussi variées que les hommes, Ses créatures sont diverses. Peut-être attend-Il, pour accélérer notre progrès vers Lui, que nous mettions en commun l’expérience de nos différentes approches ?
Si telle est Sa volonté, il est intéressant de constater à quel point la liberté de l’homme est respectée et avec quelle délicatesse et quelle sage lenteur II suggère où se trouve l’essentiel.
Les grandes religions révélées
Les trois grandes religions révélées sont le judaïsme, le christianisme et l’Islam1. Toutes trois affirment nettement qu’il n’y a qu’un dieu2. La filiation entre ces religions est évidente, elles se réfèrent toutes à Abraham, le « père des croyants », chef de tribu sémite qui nomadisa au Moyen-Orient, entre l’Iraq et l’Egypte, vers le XIX siècle avant notre ère.
Son descendant, Moïse, reçut sur le mont Sinaï les Tables de la Loi, marque de l’alliance de Dieu avec son peuple : c’est le début du judaïsme.
La longue histoire de ce peuple guidé vers Dieu par ses prophètes doit selon la Bible, conduire à l’apparition du Messie, l’envoyé de Dieu. Les
1. Ce ne sont pas les seules religions qui se réfèrent à une révélation. L’Eglise des mormons, par exemple, se rattache à la mouvance chrétienne au sens large, mais fait état d une révélation distincte : le « Livre de Mormon ».
2. D’où le nom de monothéistes qu’on leur donne, du grec mono, « un », et théos, « dieu
chrétiens l’ont reconnu en la personne de Jésus-Christ : c’est le début du christianisme.
Près de sept siècles plus tard, Mahomet reçoit la révélation du Coran qui lui est dicté personnellement. Le Coran est, selon les musulmans, l’accomplissement de la révélation faite aux prophètes et à Jésus.
Les trois grandes religions révélées se réfèrent ainsi à des textes sacrés : la Torah pour les juifs, la Bible pour les chrétiens1, le Coran pour les musulmans. Les croyants trouvent dans ces textes la parole de Dieu et l’inspiration de leurs actions en ce monde.
Ces textes comportent de nombreux éléments communs. Cependant, la façon dont Dieu s’y révèle aux hommes n’est pas identique dans les trois religions.
Dans la Bible, le plus connu des livres saints et le plus important par son influence, Dieu ne s’exprime pas directement mais II inspire différents personnages, prophètes, rois ou autres, dont chacun garde son style et écrit sur un sujet particulier : histoire, poésie, morale…
Ainsi, dans l’Ancien Testament la parole de Dieu n’est pas toujours clairement apparente et elle doit se découvrir en tenant compte de la personnalité de l’auteur et du contexte historique et culturel de l’époque.
Dans les Evangiles, qui relatent l’enseignement de Jésus-Christ, ses paroles sont rapportées par des témoins, les quatre évangélistes, et l’existence de quatre textes exposant sensiblement les mêmes événements permet d’intéressantes comparaisons2.
Le Coran, au contraire, est, pour les musulmans, la parole même de Dieu : rien ne peut y être ajouté ou retranché et seul le texte original en arabe fait foi.
Les textes sacrés n’ont donc pas la même situation dans les trois grandes religions révélées. L’opposition est nette entre le judaïsme et l’Islam d’une part et le catholicisme dont la référence fondamentale est la personne du Christ, vivant dans son Eglise, plus encore que la trace écrite de son enseignement. A cet égard les protestants auraient, au moins pour certains d’entre eux, une position intermédiaire de par l’importance qu’ils donnent à la Bible.
La certitude de bénéficier d’une révélation donne assez normalement à ces religions une très grande confiance en elles-mêmes : il existe une seule vérité et elles en détiennent l’accès. D’où leur tendance très nette
1. Comme nous le verrons plus loin, la Torah « écrite » correspond sensiblement aux cinq premiers livres de ce que les chrétiens appellent F Ancien Testament, partie de la Bible antérieure à Jésus-Christ, le Nouveau Testament comprend les quatre Evangiles, les Epîtres, les Actes des Apôtres et l’Apocalypse.
2. Les Evangiles ont été écrits un certain temps après la mort du Christ. Les spécialistes ne s’accordent pas sur les dates qui pourraient être les suivantes : Marc, 70 ; Matthieu et Luc, 80 ; Jean, 90.
à formaliser précisément cette vérité en lois ou dogmes et à s’efforcer d’en convaincre tous ceux qui s’égarent à penser autrement.
Cette attitude est fort différente de celle des religions de nature plus philosophique de l’Orient qui ont une conception du monde assez lâche et admettent en leur sein bien des tendances et expressions divergentes.
D’un point de vue extérieur, on ne peut manquer d’être frappé d’une certaine incompatibilité apparente de ces trois religions dites révélées.
On peut en déduire :
– soit qu’il n’y a aucune révélation et que tout cela n’est qu’un produit de l’illusion humaine ;
– soit qu’il existe bien une révélation et que deux religions sur trois, au moins, se trompent ;
– soit que la révélation est beaucoup moins précise et contraignante que les religions le pensent généralement. Il existerait alors un « fonds commun » de vérité révélée que chaque religion aurait « habillé » d’éléments inutiles rendant ainsi leurs messages apparemment incompatibles.
Si révélation il y a, le choix entre les deux dernières hypothèses ne doit pas, semble-t-il, relever de l’opinion de chacun mais de l’analyse appro¬fondie du contenu des révélations. Peut-être certains musulmans ne mettent-ils pas assez en position centrale de leur comportement la phrase du Coran « pas de contrainte en matière de religion » tandis que certains chrétiens ne donnent pas toute sa place à l’Amour des autres, et donc à leur respect.
Pour le moment, nous nous contenterons de décrire les croyances de ces trois grandes religions révélées en les présentant selon l’ordre de leur arrivée dans l’Histoire.
– le judaïsme ;
– le christianisme ;
– l’Islam.