Les religions et la mort
Rien de plus naturel que les religions se préoccupent de la mort, mais le lien avec Dieu qu’elles proposent est-il hors du temps comme Dieu Lui-même ou limité à la durée de la vie ? Puisque la relation avec Dieu ne peut être établie que par Lui, il paraîtrait logique qu’elle soit éternelle. Pourtant nous constatons que toute création est vouée à la mort.
Rien de ce qui existe n’échappe, semble-t-il, à la fatalité d’avoir un début et une fin. Même les étoiles et l’univers n’échappent pas à cette loi qui concerne tout ce que nous pouvons observer. Les savants ont déterminé avec une précision assez grande la date de naissance de l’univers
– il y a environ 15 milliards d’années -, ils ont observé la mort de nombreuses étoiles, ils ont compris le mécanisme de leur évolution et ils connaissent le processus qui détruira notre Soleil.
La « vie » des étoiles se compte en milliards d’années, celle des êtres vivants va de quelques heures pour certains insectes à quelques siècles pour certains arbres. La durée de vie de l’homme s’est considérablement allongée grâce aux progrès de la médecine, surtout par la victoire sur les maladies, mais on ne sait pas lutter contre le vieillissement et il est exceptionnel qu’un être humain dépasse 100 ou 120 ans.
D’ailleurs ceux qui vivent le plus longtemps ne sont généralement pas ceux qui ont le plus bénéficié de la science médicale.
En fait, tout se passe comme si notre univers était créé pour se renouveler et non pas pour durer.
Quoiqu’il en soit, notre mort, la mort de chacun d’entre nous, est inéluctable, tôt ou tard.
Une autre caractéristique de la mort est qu’elle est imprévisible. Certes, un centenaire peut valablement prédire qu’il mourra dans les dix ans et chacun peut prédire, avec de bonnes chances de ne pas se tromper, qu il
jnourra dans les cent ans à venir. Toutefois l’instant de la mort nous est connu : certains malades condamnés résistent au-delà de toute espérance et des hommes en pleine santé apparente sont frappés subitement.
Devant ce phénomène implacable de la mort, quelle est l’attitude de homme ? Cela dépend, pour une large part, de l’environnement culturel et particulièrement de la religion mais, dans l’ensemble, il existe toujours un sentiment de peur, compensé parfois chez les grands malades ou les vieillards par un besoin de délivrance ou une aspiration profonde au
repos.
Cette peur de la mort et l’instinct de conservation conduisent à refuser le plus longtemps possible l’idée de la mort et la conscience de sa présence en nous. Cette politique de l’autruche a l’avantage d’être la plus simpliste, elle ne fait preuve ni de courage ni d’imagination.
somptueuses. Dans les favellas du Brésil, on prépare toute l’année les danses et les costumes étincelants du carnaval.
Compensation aux misères de la condition humaine, la fête se veut richesse, exubérance, joie et espoir. C’est en cela qu’elle se rapproche des religions qui s’efforcent, sur un autre plan, d’apporter consolation et espérance à l’humanité. Les deux plans sont cependant distincts et les fêtes religieuses pourraient se passer de calendrier, d’extériorisation et de faste. C’est le souci des religions de « coller » à l’homme tel qu’il est, qui semble la véritable raison des fêtes religieuses.
Pourtant, s’il est un problème qui a toujours préoccupé l’homme, c’est bien celui de la mort. Mais, à cet égard, il semble que le monde occidental s’efforce d’éluder la question et d’en oublier ainsi le sens religieux.
En France, nous avons réussi en une génération à escamoter la mort. Avant la Seconde Guerre mondiale, à chaque décès, un catafalque noir portant l’initiale du nom du défunt était placé à la porte de son immeuble ; le corbillard, tiré par des chevaux et couvert de fleurs, était suivi de la famille et des amis ; la circulation s’arrêtait à son passage, les passants se découvraient respectueusement ou faisaient un signe de croix. Pendant plusieurs mois, les proches prenaient le deuil et progressivement passaient au demi-deuil avec un brassard noir pour les hommes et des robes sombres pour les femmes.
Dorénavant, la circulation a priorité et les corbillards n’ont survécu qu’en se motorisant. Pour oublier la mort, on a enterré les manifestations qui raccompagnaient. La mort est devenue une maladie honteuse.
Que sont devenues, dans ce chambardement, les croyances religieuses ?
Aujourd’hui, les croyances de l’humanité en ce qui concerne les conséquences de la mort se partagent en trois grandes tendances d’importance numérique sensiblement comparable :
-Pour les incroyants, les athées ou les sceptiques, la mort est une fin absolue. Au-delà, il n’y a que le néant. Seul peut subsister le souvenir du défunt dans la mémoire de ceux qui l’ont connu ou ont connu son œuvre.
– Pour les chrétiens et les musulmans, il y a une résurrection des morts avec un Jugement dernier qui conduit à une autre vie, de nature différente, au paradis ou en enfer.
– Pour les hindouistes et une bonne part des bouddhistes, la mort libère 1 âme qui se réincarne dans un autre être en fonction des actes de la vie Passée. Ce cycle permanent de réincarnations ne peut s’achever, selon les
bouddhistes, que si la perfection des actes est telle que l’âme puisse se fondre dans un absolu mal défini, le nirvana1.
Ce classement est grossier : certains chrétiens et juifs prennent la vie éternelle dans un sens très symbolique et n’imaginent pas un autre monde. On trouve même un nombre non négligeable d’occidentaux recensés comme chrétiens qui croient à la réincarnation.
Cette schématisation a le mérite de faire apparaître que le christianisme et l’Islam sont, curieusement, les seules grandes religions qui maintiennent la croyance d’une vie après la mort2. Pourtant cette croyance est apparue depuis les âges les plus reculés de l’humanité. Les archéologues voient la preuve de l’existence d’idées religieuses en ces temps lointains précisément dans le soin apporté à donner aux morts une sépulture en conformité avec la croyance en une autre vie. C’est ainsi qu’on place dans la tombe à proximité du cadavre des provisions de route, des moyens de transport ou même des serviteurs sacrifiés pour qu’ils puissent continuer à assister leur maître.
Dès qu’on entre dans la période historique, ces suppositions deviennent des certitudes : toutes les mythologies imaginent le séjour des morts comme une autre vie. Les anciens Egyptiens, au premier chef, ont parfaitement décrit leurs croyances par des inscriptions confirmées par le contenu des tombes. On y trouve notamment des bateaux miniatures pour accéder à l’au-delà. L’idée d’un océan ou d’un fleuve à traverser exprime le caractère d’un voyage dont, le plus souvent, on ne revient pas. Dans la mythologie grecque également, on accédait au séjour des morts en traversant un fleuve, le Styx.
De tels exemples se rencontrent dans de nombreuses autres civilisations. Comme personne n’a la moindre certitude sur l’existence et la nature de ce séjour des morts, l’imagination se donne libre cours. De nombreux animistes croient que les esprits des ancêtres ont le pouvoir de protéger ou de tourmenter les vivants. D’autres personnes pensent que les morts ont la capacité de se manifester sur terre et de communiquer avec elles, ce sont les adeptes du spiritisme. D’autres encore croient qu’on peut entretenir un lien de nature spirituelle avec les défunts par la prière.
Souvent, la mort est associée à l’idée d’un jugement : les actes du défunt conditionnent sa vie après la mort. En particulier les grandes religions révélées reconnaissent en Dieu le Juge suprême qui récompense ou punit. Les hommes sont alors destinés au paradis ou à l’enfer.
L’imagerie populaire a donné de ces lieux des descriptions aussi fleuries que fantaisistes, toutes marquées par notre expérience terrestre : les
flambes où rôtissent les damnés comme les jardins enchantés où coulent le lait et le miel relèvent de la fantaisie pour ne pas dire des phantasmes.
La croyance en une résurrection dans un autre monde, quelle que soit la façon dont on l’imagine, est une des caractéristiques des religions révélées, mais elle plonge ses racines dans la profondeur de la psychologie collective de l’humanité.